Les livres et moi, mes coups de coeur, mes découvertes, mes créations ou mes voyages : intellectuels, spirituels, botaniques ou culinaires...
Sur ce mur il avait vu remuer, apparaître et vivre plus de forêts, de ports, de jardins, de fontaines, d'immondices, de fenêtres, d'îles, d'herbe, de poussière, de corps que s'il avait tourné autour de la Terre durant toutes ces années, jour et nuit sans répit, sans fermer l'oeil, sans cesser de scruter chaque détail de la vie.
Encore un roman noir pour clore la semaine ! Désolée pour ceux qui n'aiment pas les romans noirs, mais cette fois il est écrit par un auteur dont j'ai décidé de lire toutes les œuvres, et qui est mon auteur préféré de l'année, mon auteur "doudou", René Fregni. C'est un roman court qui fait à peine 123 pages. Il se lit vite tant l'intensité des propos nous "parle".
La ville rouge c'est Marseille, avec tout ce qu'elle contient de secrets et de violence. Le rouge est celui de la colère et celui des magnifiques couchers de soleil sur la mer surtout quand le vent, le Mistral est annoncé pour le lendemain.
Là habite Charlie Hasard, un écrivain en mal de reconnaissance. Il n'en peut plus de recevoir sans cesse des avis négatifs des éditeurs à qui il envoie son dernier manuscrit "Géronimo". Entre temps, lassé d'attendre depuis dix ans une réponse positive, il continue à écrire un nouveau roman, tout en recopiant des pages de Flaubert dont il décore les murs de la cuisine. Entre deux écrits, il se rend régulièrement dans une salle de boxe où il aime s'entrainer pour se défouler et aussi y retrouver des amis. Ainsi, il arrive à maintenir sa colère...
Lorsqu'un écrivain célèbre vient présenter son dernier livre à Marseille, Charlie ne peut s'empêcher d'y aller. Il est choqué de le voir déguerpir bien avant la fin des dédicaces alors que ses lecteurs l'attendent et sont encore présents sur le lieu. Il décide de le suivre...et ne peut maîtriser sa rage devant une telle attitude et un tel manque de respect pour ceux qui font chaque jour sa notoriété en lisant ses oeuvres.
Un autre jour, il reçoit un appel d'un éditeur qui lui annonce qu'il a été troublé par la lecture de son manuscrit...il saute alors dans le train pour aller le rencontrer, espérant enfin voir ses rêves se réaliser. Mais c'est trop tôt la réunion qui doit décider si son manuscrit sera ou pas édité n'est pas terminée et son roman n'obtient pas l'unanimité. En effet, il s'est emballé trop vite : un des éditeurs de la maison, s'oppose à la publication de son ouvrage...or l'unanimité est nécessaire.
C'est la déception, et encore une fois l'humiliation.
A partir de cet instant, Charlie n'a plus qu'une envie, se rendre dans le village de Lourmarin pour se venger de celui qui a refusé de voter pour son manuscrit.
Mais tuer un homme n'est pas un acte gratuit et Charlie va le payer très cher...
Comme une brute il frappait sur ce petit monde arrogant et repu qui le méprisait. Ce tout petit monde d'élus qui veillaient jalousement à ce que personne ne pénètre dans ce cercle très privé d'honneurs et de lumière.
Il boxait au milieu d'un peuple d'humiliés, de bafoués qui musclait sa revanche. Un peuple qui n'existait que sur le ring en rendant coup pour coup.
L'auteur nous livre un portrait sans concession d'un écrivain humilié, tant il est obsédé par son désir d'être publié un jour.
Le lecteur comprend très vite le message de ce livre, les questionnements des écrivains, les difficultés qui attendent ceux qui ne sont rien aux yeux des médias et ont pourtant des choses à nous dire. Il est en effet très difficile de percer dans ce milieu fermé. L'attitude des éditeurs parisiens qui vivent bien loin des préoccupations de la province, est décrite avec beaucoup de réalisme, tout se passe ou presque par relations comme pour beaucoup de métiers, hélas...
Le personnage de Charlie est surprenant à bien des égards. Il vit dans la misère et la solitude, dans un quartier populaire, écrit sur une petite table dans sa cuisine sur un petit cahier rouge, pense à sa mère qui était la seule à savoir le réconforter. Son seul moment de bonheur, c'est la salle de boxe où il retrouve Karim et Patrick, son ami qui a fait de la prison pendant une partie de sa vie.
Le lecteur assiste à sa révolte, au crime et à ses suites dans une sorte de rêve comme si tout cela tenait plus d'une fable que d'une histoire "réelle". N'est-ce pas un peu le cas quand un écrivain accouche enfin de son texte, ne vit-il pas un peu comme un zombie, loin de tout le monde, oubliant de manger, passant plus de temps avec ses personnages que dans le monde réel ? Ne devient-il pas un être solitaire que rien ni personne ne peut sauver tant que le dernier mot n'a pas été écrit ?
Le lecteur se promène encore une fois dans cette ville tant aimée de l'auteur, Marseille, une ville à la fois ensoleillée et lumineuse, et sombre et sale, violente mais tellement réconfortante pour celui qui la connait parce qu'il y est né.
Le roman alterne des propos magnifiques et des scènes très noires, nous faisant passer par de multiples sentiments contradictoires.
Encore un roman de l'auteur que j'ai eu beaucoup de plaisir à découvrir...car je ne l'avais jamais lu.
Il adorait ces odeurs d'automne que l'humidité des nuits soulève. Celle du figuier, sa préférée, lui rappelait sa banlieue et les heures si libres après l'école, les soirs d'octobre dans ces petites rues qui s'en allaient vers les collines et les jardins. La fumée des premiers feux de broussailles qui se confond avec la brume...