L'autre moitié du monde / Laurine Roux

Nous sommes dans les années 1930, en Espagne dans les rizières du delta de l'Ebre, où travaillent toute la journée des paysans qui s'épuisent pour un salaire de misère.

Les terres et le domaine appartiennent à la famille Ibañez. Doña Serena, la marquise, exploite sans pitié les paysans. Son mari don Ignacio ne dit rien car se laisse mener par le bout du nez et leur fils Carlos est encore plus dangereux que ses parents, car d'une très grande cruauté. 

C'est là que vit Toya, une jeune adolescente de 12 ans et sa famille. Le père Juan travaille aux champs, Pilar la mère fait la cuisine pour la Marquise. Elle va au domaine la peur au ventre car elle se fait violer régulièrement par Carlos qui abuse d'elle quand ça lui chante, puis l'oblige quand elle tombe enceinte à avoir recours à Maria, la faiseuse d'anges, pour faire passer l'enfant. Celle-ci un peu sorcière la prévient du danger de recommencer encore une fois de plus, mais comment peut faire Maria pour échapper à son bourreau ?

Un jour, c'est la fois de trop...et Maria meurt d'une hémorragie devant Toya qui comprend alors abruptement le terrible destin de toutes les femmes du delta. Juan est dévasté et pour le soutenir les paysans décident de se mettre en grève. 

Déjà, dans tout le pays la révolte gronde, on parle de soulèvements ici ou là. Les paysans ne veulent plus avoir faim, subit des humiliations quotidiennes.  Ils veulent récupérer leurs terres.

Dans le domaine, ils vont s'organiser plus sérieusement encore autour d'Horacio, l'instituteur arrivé depuis peu au village, avec ses idéaux et son piano, et de son ami José qui vient de Barcelone et y connait du monde. José est avocat et défendra leur cause jusqu'au bout. 

Toya grandit. Elle n'est jamais allée à l'école, ne sait ni lire ni écrire mais va apprendre toute seule, juste en écoutant Horacio apprendre aux autres enfants. Peu à peu, elle va s'attacher terriblement au jeune homme.

Mais 1936 arrive et bientôt la Guerre Civile éclate dans tout le pays. Les militaires veillent et sont prêts à tout pour soutenir les "riches" et les hommes d'église, qui comme le père Miquel, sont de leur côté et les soutiennent afin qu'ils gardent le pouvoir.

Toya ne veut pas être écartée, elle aussi veut prendre les armes ! Elle ne sait pas qu'elle joue son destin dans un pays où désormais le franquisme va dominer. 

C'est un auteur que j'avais déjà noté dans mes listes pour la découvrir un jour et j'ai été heureuse de pouvoir emprunter ce titre à la médiathèque. 

Je découvre la plume de Laurine Roux avec ce roman. Il est facile à lire même si certaines scènes sont difficiles, vu le sujet. Je découvre son amour de la nature, et sa façon de décrire les paysages et la vie dans le delta. Tout cela plante un décor tellement réaliste que le lecteur est immédiatement immergé dans l'ambiance et l'émotion qui va avec. 

Elle sait aussi parfaitement démontrer les contradictions des hommes, leur emportement ou leur sagesse. Mais elle sait nous les rendre attachants en nous décrivant leur besoin viscéral de liberté et la vague qui va les emporter vers la révolte puis la violence. Guidés par les valeurs auxquelles ils croient, solidaires de leurs camarades de galère, leurs espoirs vont être souvent déçus et leurs destins tragiques. 

J'ai trouvé que Pilar était une personne magnifique et très représentative des femmes de cette époque, drapée dans sa dignité, dans sa souffrance et le silence pour épargner ses proches, en particulier Juan son mari et la petite Toya. 

Toya est une jeune fille attachante. Elle voit et comprend beaucoup de choses. Elle ne redoute pas la vie dans le delta car elle le connait depuis sa petite enfance. L'auteur la décrit avec une sorte de tendresse. Elle qui était au départ une petite sauvageonne choyée par ses parents, va peu à peu découvrir une autre facette de l'existence et entrevoir un autre avenir possible, même si elle restera toute sa vie très attachée au delta. 

Certes, le comportement de Carlos, le fils de la Marquise correspond exactement à ce que le lecteur avait imaginé, le voir abuser des jeunes filles et jeunes femmes ne nous surprend donc pas, sa cruauté non plus. Mais le fait pour le lecteur de le vivre de l'intérieur c'est-à-dire du point de vue du ressenti des intéressés, rend les événements encore plus révoltants. 

J'ai eu du plaisir à découvrir ce roman historique, juste et profondément humain, qui nous parle de l'Histoire de l'Espagne. La musique, les chants sont omniprésents pour aider les hommes à expurger leur rage et leur frustration. 

C'est un roman lumineux qui n'est jamais éloigné des hommes car c'est avant tout par leur vie quotidienne que l'auteur nous touche, par un bouquet au bord d'une route, un plat qui mijote avant d'être dégusté entre amis, un morceau de musique, un regard empli d'amour ou de fierté.

Bien entendu, je ne vous dirai rien de l'étrange destin de Toya...il faut juste que vous sachiez que "Les anguilles cherchent toujours à retourner là où elles sont nées". Vous comprendrez toute la signification de cette phrase en lisant ce roman. 

Une très belle découverte ! 

Prix Orange du Livre 2022, un prix attribué depuis plus de 10 ans à un livre français de la rentrée littéraire d’hiver. 

Vous pouvez aller découvrir l'avis de Violette ICI sur son blog, et celui de Binchy ICI .  Merci à elles deux de m'avoir donné envie de le lire.