Les livres et moi, mes coups de coeur, mes découvertes, mes créations ou mes voyages : intellectuels, spirituels, botaniques ou culinaires...
L'étrangeté de ce monde s'ouvrait à elle.
Ada dressait des listes de mots nouveaux et refusait de parler anglais à table, même avec Guy. Ses belles-soeurs continuèrent néanmoins à la surnommer Jane. "N'y prête pas attention, s'excusait Geneviève, c'est que des "badabeu"...
Geneviève lisait les listes à sa bru en rigolant. "Tu entends tout et tu es drôle, c'est un talent ça !".
Personne n'avait jamais dit à Ada qu'elle était drôle. Belle, oui, obstinée et impulsive, secrète et solitaire. Jamais drôle.
On ne peut éternellement serrer ceux que l'on aime, la vie contient trop d'imagination. Des lignes de faille, des sorties de route, des glissements de terrain et des carrefours invisibles.
Commençons le mois de mai avec ce roman d'amour léger et poétique qui fait du bien tant il est empli d'humanité...
Ada se sent vieille depuis qu'elle a 70 ans, qu'elle est veuve et a perdu l'espoir de voir l'avenir lui apporter des joies. Elle a eu une belle vie d'adulte, n'a pas manqué ni d'amour, ni d'argent, a tenu un temps la librairie du village. Mais à présent elle se sent très seule et inutile. Son mari était le médecin du village et d'une famille très connue dans la région. Elle a toujours vécu dans son ombre. Rebecca (Becca) leur fille unique, née sur le tard, est prisonnière d'une secte depuis sept ans et refuse de lui parler et de venir la voir. Pourtant des membres appartenant à la secte (appelée "Les Simples") s'installent de temps en temps sur le marché du village de La Roque, mais quand Becca aperçoit sa mère, elle fuit immédiatement.
Depuis qu'Ada est veuve, elle s'est enlisée dans ses habitudes. Elle continue pourtant à surprendre les habitants de ce petit endroit du Massif central un peu refermé sur lui-même. Elle passe pour une originale parce que dès le matin elle sort de chez elle pour aller se baigner dans la rivière et nager parfois jusqu'à épuisement. Elle qui est venue par amour pour Guy, son mari, se perdre dans ce coin de France alors qu'elle pensait vivre toute sa vie en Angleterre dont elle est originaire, a finalement décidé de rester là, près de sa fille, près de la famille de son mari, près de la nature qu'elle aime par dessus tout.
Mais le destin a décidé qu'elle avait encore des choses à vivre et à dire.
Un jour, elle croise Graff. C'est un ancien funambule reconverti, mais son groupe a été obligé de partir finir la tournée sans lui, le laissant-là dans sa caravane, car après une stupide chute d'une échelle, il se retrouve avec un bras et une jambe dans le plâtre et sa vieille jument elle-aussi blessée, pour seule compagnie. Graff est installé sur un terrain qui appartient à Ada et les gens du village voient d'un mauvais œil sa présence...comme souvent quand il s'agit des tziganes. Lui en a l'habitude, il ne s'étonne plus de susciter curiosité et intolérance, et regarde tout cela avec un certain recul et un brin d'humour, mais leur attitude choque profondément Ada.
Elle va aller le voir pour lui parler.
Tous deux sympathisent. Ada l'autorise à rester le temps nécessaire sur son terrain, s'il lui raconte un peu de sa vie. Ils se voient de plus en plus souvent et apprennent à mieux se connaître, mais la rumeur de leur étrange union, gagne peu à peu du terrain dans le village...
Quand la nuit s'y prêtait et qu'une histoire la prenait, la grand-mère de Graff rassemblait la "Kumpània" et imposait le silence, élément rare chez les Lovara qui apprécient la clameur des voix. Elle disait que conter était une forme de médecine, que sans histoires, l'esprit s'assèche et le coeur tombe malade.
D'abord je tiens à préciser que le lieu "La Roque" où se déroule l'histoire, est fictif. Il se situe dans le roman entre la Haute-Loire et l'Ardèche. L'environnement, la nature, la rivière sont autant importants que les personnages.
J'ai trouvé que le roman était avant tout, un roman d'amour léger et poétique, drôle et grave à la fois qui fait fi des différences et de l'âge. Nos deux personnages, tous deux septuagénaires sont attachants et le lecteur est content de les voir évoluer au fur et à mesure des événements, tout en douceur et en prenant leur temps. Ensembles, ils vont trouver un nouvel équilibre bienfaiteur.
Ce roman est aussi un prétexte à nous faire voyager entre le Pays de Galles où Ada a vécu une enfance compliquée, endeuillée par des catastrophes minières et l'Europe de l'Est, d'où les tziganes sont originaires et où l'histoire de Graff débute. Il est en effet né dans un camp de concentration...mais je ne vous dirai rien ni des circonstances, ni de la suite de sa vie pour vous laisser les découvrir.
C'est un roman qui nous parle aussi de l'enfermement et de l'emprise psychologique des sectes.
C'est donc un roman qui nous parle de différences culturelles, de l'importance de les connaître et de les comprendre, et de la richesse que constituent ces différences dans notre propre vie quand on sait les apprécier à leur juste valeur.
C'est un roman qui fait du bien car plein d'espoir, d'humanité et de tolérance tout en nous rappelant des éléments tragiques de l'Histoire de l'Europe et du XXe siècle, que nous ne devons pas oublier.
Il fait partie de la première sélection du Prix des Lecteurs des 2 Rives 2023.
Bonne première semaine de mai à tous !
Où va l'amour quand il se détache ? La question lui évoque les "koans" zen, ces énigmes censées stopper la pensée et libérer l'esprit. "Quel est le son d'une seule main qui applaudit ? A quoi ressemblait ton visage avant la naissance de tes parents ? Comment éteindre le feu de l'autre côté de la montagne ?"