Les livres et moi, mes coups de coeur, mes découvertes, mes créations ou mes voyages : intellectuels, spirituels, botaniques ou culinaires...
Dès que les premiers rayons de soleil allument l'écorce blanche du bouleau, quelques minutes avant neuf heures, des nuées d'oiseaux s'abattent sur l'herbe trempée du jardin.
Parfois ce sont des rouges-gorges, des mésanges bleues. Ce matin, j'ai sous les yeux deux bandes rivales, une troupe de pinsons, une de verdiers. Ils ne s'affrontent pas, ne se mélangent pas. Ils tracent une frontière imaginaire dans la haie...
René vit dans l'arrière-pays provençal près de Manosque. Il partage ses jours avec Isabelle, l'institutrice des petits, chez qui il s'est installé pour écrire. Son grand plaisir est d'aller marcher dans les collines, seul en pleine nature ou alors avec elle, quand elle sort de l'école.
Mais ce bonheur simple va être interrompu par un coup de fil et l'arrivée imprévu chez lui d'un ancien détenu qu'il a croisé lorsqu'il animait des ateliers d'écriture dans les prisons. Kader vient de s'évader de la prison des Baumettes et lui demande de l'aide pour se cacher, non seulement de la police, mais aussi d'anciens complices qui sont à sa recherche.
Pris au dépourvu, devant l'incongruité de la demande, le généreux René qui ne peut dire non quand on l'appelle à l'aide, le planque dans son ancien appartement. Il apprend que Kader, multirécidiviste a menacé des gardiens avec un faux révolver (en carton) pour réussir à s'enfuir, a volé une moto qu'il lui faut cacher rapidement.
René n'en dort plus car il va être aspiré dans une tourmente impossible à arrêter, les événements s'enchainent l'obligeant à en faire chaque jour davantage pour aider Kader, jusqu'à l'impensable, tellement opposé à sa vie habituelle et à sa vision du bien et du mal...
- Quelqu'un a écrit une phrase sur un mur, à cinquante mètres de chez moi : "Je ne porte ni kippa, ni tchador, ni crucifix mais juste une certaine mélancolie de l'époque où tout le monde s'en foutait."
Je trouve ça très beau. Durant toute mon enfance, Marseille ressemblait à cette phrase. On ne parlait pas des quartiers nord, de l'islam, tu étais marseillais, que tu sois du Roucas, d'Endoume ou de la Castellane.
Ce roman est un roman noir qui mêle fiction et réalité. D'ailleurs le narrateur s'appelle carrément René Frégni. Le livre est présenté comme un journal que le narrateur écrit jour après jour dans son cahier à la couverture rouge. Mais le lecteur oublie très vite cette forme narrative. Comme souvent avec René Frégni, le début se passe tout en douceur jusqu'à ce que le récit devienne noir et même dans ce roman-là, très noir !
L'alternance entre la sérénité de la nature, la cavale de Kader, et le stress lié aux évènements qui oblige René à prendre des décisions rapidement, est très intéressante dans ce roman et crée un rythme particulier qui tient le lecteur en haleine.
Les chapitres sont courts, le suspense bien présent et le lecteur est emporté dans l'action sans avoir le temps lui-même de se poser des questions. Le roman est court, 188 p. à peine, et se lit quasiment d'une traite. C'est finalement très cinématographique. Le lecteur ressent l'angoisse de René, qui va crescendo, voit sa vie se déliter et la solution ultime lui apparait comme inévitable.
Comme toujours les propos de l'auteur sont emplis d'humanité. Le personnage de Kader, pourtant un dangereux malfaiteur, est présenté dans son côté le plus humain. Le lecteur découvre ainsi l'amour qui le relie à son fils, sa sincérité en matière d'amitié et d'honneur familial, sa droiture quant à la parole donnée, qui bien entendu encore une fois n'excusent pas ses actes. Le lecteur est invité à un peu d'humanité lorsqu'il découvre l'autre facette des détenus, ce qu'ils cachent de faiblesses, sous leur dureté.
Ce roman peut se lire même si vous n'êtes pas amateurs de romans policiers, car celui-ci est un polar social aussi sombre que lumineux, car très humain. J'ai aimé le découvrir car je ne l'avais jamais lu auparavant.
Il m'a donné envie de relire "La fiancée des corbeaux" que je vous présenterai donc très bientôt (j'entends certains dire, encore René Frégni !) car dans ce roman, Isabelle l'institutrice est celle qu'il surnomme ainsi.
Comme l'indique la quatrième de couverture : " Lorsque le douzième coup de midi tombe du clocher des Accoules, un peu plus bas, sur les quais du Vieux-Port, les poissonnières se mettent à crier : "Les vivants au prix des morts !" Et chaque touriste se demande s'il s'agit du poisson ou de tous ces hommes abattus sur un trottoir, sous l'aveuglante lumière de Marseille..."
A découvrir donc comme toute l'œuvre de René Frégni...décidément mon auteur chouchou de l'année 2023 !
Voilà ce que je vais faire depuis vingt ans dans les prisons, j'apporte les clés et personne ne s'évade...Personne ne naît monstrueux, monsieur Thalès [c'est un flic qui interroge René], ce sont certains quartiers et les prisons qui nous rendent monstrueux. Je ne leur apporte aucune arme, je leur apporte des mots. Je leur apporte ce qu'ils n'ont jamais eu.