Les livres et moi, mes coups de coeur, mes découvertes, mes créations ou mes voyages : intellectuels, spirituels, botaniques ou culinaires...
Ces images, que j'ai collectées et accrochées depuis un an, composent une mosaïque de visages et de corps_ connus ou inconnus, imaginaires ou non_ tous, comme moi, condamnés par l'Histoire à l'incertitude de l'exil. Chaque regard suspendu est un roman ; chaque pas perdu, un destin. Ces êtres migrateurs, égarés dans les marges de la terre, suspendus dans la nébuleuse spirale du temps, me regardent chercher désespérément mes mots, mes souffles, afin de pouvoir décrire leurs rêves, conter leurs périples, porter leurs cris...
...elle avait peur des mots. Elle en avait peur parce qu'elle y croyait. Trop. Elle croyait à leurs magies, à leurs secrets insondables, à leur pouvoir maléfique ou archangélique.
De cet auteur, j'avais beaucoup aimé "Syngué sabour. Pierre de patience" qui avait obtenu le Prix Goncourt en 2008. Un livre marquant que j'ai présenté ICI sur mon blog.
Dans ce livre, le troisième de l'auteur écrit en langue française, l'auteur revient sur son enfance et son exil qui l'a mené bien loin de sa terre natale, l'Afghanistan.
Après que son père, juge de la Cour suprême, ait été arrêté puis emprisonné en 1973 pour avoir simplement fait un jeu de mot idiot avec les lettres de son pays, la famille s'exile en Inde. Au départ, les trois enfants restent avec les grands-parents, puis l'auteur les rejoint. C'est en Inde qu'il va découvrir le monde, une croyance différente de la sienne puisqu'il est musulman, et l'importance de l'art et de la culture dans ce pays. Tout cela l'oblige en pleine adolescence à se poser des questions autour du corps, de la sexualité, de la nudité.
Il migrera bien plus tard en France (en 1984). Il a aujourd'hui obtenu la double nationalité.
Pour écrire ce récit un peu particulier, il a eu du mal nous dit-il, sa page restant blanche et les idées absentes. Et puis, il s'est souvenu de son enfance et de ses premiers pas dans l'apprentissage de l'écriture, donc de la calligraphie. Il dit qu'il a eu besoin de son passé pour mieux raconter le présent.
En Afghanistan, c'est avec un calame (une plume taillée dans un roseau) que les enfants apprennent l'alphabet persan et arabe. Ils tracent les lettres les unes après les autres avec application sur une page blanche, et apprennent très vite la rigueur, mais aussi la poésie qui se dégagent de ces signes. Pour le petit garçon rêveur et déjà poète, c'est à la fois une écriture et un dessin, souvent formé de plusieurs autres signes juxtaposés. C'est à la fois l'histoire de la langue qui est écrite dans chacun de ces signes mais aussi une œuvre d'art. Le petit Atiq n'a que faire de s'appliquer, il préfère le dessin, aidé par sa mère qui enseigne les Beaux-Arts, qui est si fière de le voir développer ce qu'elle aime par-dessus tout.
Pour l'auteur l'important au delà du trait c'est la ballade de son calame. D'où le titre du livre !
C'est l'imagination qui prend le dessus, la poésie, la beauté du dessin, les formes féminines qui naissent sous sa plume. Ses créations qu'il appelle ses "callimorphies", parsèment le récit. Elles sont superbes, terriblement émouvantes, et tellement vivantes entre écriture et dessin.
Ses "callimorphies "au fil du récit deviennent autant de messages, qui prennent corps tout en ressemblant de plus en plus à de véritables corps, corps de femmes rêvées et fantasmées, corps interdits mais si beaux.
C'est donc un véritable récit autobiographique, poétique et léger, que l'auteur partage ici tout en nous incitant à réfléchir sur le monde, sur le sens de l'écrit qui reste et se transmet, de génération en génération. Ce qu'il écrit est un hommage à sa mère tant aimée qui lui a transmis cette envie de créer, et à son père qui a su lui donner la force d'avancer.
Il enrichit son récit de multiples citations d'auteurs, de poètes, de calligraphes, cinéastes, philosophes connus ou pas.
Il nous offre ici "une méditation sur ce qui reste de nos vies quand on perd sa terre d'enfance" et un livre à la fois littéraire, artistique, poétique et lumineux...qui nous parle de façon magnifique d'amour, de création et de religion.
Un livre riche et dense, mais qui se lit tout en douceur, en se laissant porter par la poésie des mots et des dessins. Il n'est pas facile à lire mais je l'ai beaucoup aimé.
Mon pays a sombré dans la terreur de la guerre, dans l'obscurantisme, et, là-bas, j'ai perdu les clefs de mes songes, de ma liberté, de mon identité...
L'exil ne s'écrit pas. Il se vit.
Alors j'ai pris le calame, ce fin roseau taillé en pointe dont je me servais enfant, et je me suis mis à tracer des lettres calligraphiées, implorant les mots de ma langue maternelle.
Pour les sublimer, les vénérer.
Pour qu'ils reviennent en moi.
Pour qu'ils décrivent mon exil.
On me demande souvent si je me sens plutôt afghan ou français.
_Afghan quand je suis en France, français quand je suis en Afghanistan.
Je suis donc toujours ailleurs.
Ailleurs, c'est l'espace de mon errance.
Là où se perd mon corps : "Je suis là où je ne suis pas".
Là où s'évadent mes souvenirs, mes rêves, mon désir...