Les livres et moi, mes coups de coeur, mes découvertes, mes créations ou mes voyages : intellectuels, spirituels, botaniques ou culinaires...
Autre fait simple et néanmoins terrible : le système judiciaire vous laisse démuni face à la plupart des violences_ verbales, émotionnelles, psychologiques_ et, plus encore, ne fournit pas de contexte. Il n'y autorise pas la présence de certains groupes de victimes. "En mettent en avant les violences physiques au détriment de toutes les autres subies par les femmes battues, écrit le professeur de droit Leigh Goodmark, en 2004, le système judiciaire a créé des critères qui permettent de hiérarchiser les expériences de ces victimes. S'il n'y a pas d'agression [aux yeux de la loi], elle n'est pas une victime, peu importe la brutalité de son expérience, la dureté de son isolement, ou l'enfer émotionnel qu'elle a subi.
Ce livre n'est pas un roman mais une histoire vraie romancée, un témoignage, un récit et même un essai tant il est riche en réflexions.
J'avais entendu parler de cet auteur et je savais qu'elle était lesbienne. Tous les lecteurs étaient enchantés d'avoir découvert sa plume et je m'étais donc promis de le faire un jour, moi-aussi. C'est chose faite et je ne le regrette pas du tout.
...selon quels critère juge-t-on qu'un narrateur est digne ou pas digne de confiance ? Et une fois la question tranchée, que fait-on de celles et ceux qui essaient de construire leur propre vision de la justice ?
L'auteur (Carmen donc dans le livre) raconte comment, alors qu'elle était toute jeune et débutait son travail d'écrivain, elle s'est retrouvée enfermée dans une relation difficile parce que devenue réellement toxique, avec une autre jeune femme, qui était devenue sa compagne.
Cette jeune femme jolie, intelligente, amoureuse, s'est révélé, au fil du temps parano, jalouse, violente verbalement et capable des pires colères quasi inimaginables à soupçonner même parmi son entourage proche.
Cette maison rêvée où toutes les deux se retrouvent pour vivre librement leur amour, devient pour la narratrice (l'auteur donc) un lieu de souffrance. Sa compagne la déprécie sans cesse psychologiquement, puis elle affirme ensuite qu'elle a tout oublié des événements violents, et revient vers elle, toute souriante et aimante.
Mais les dérapages se multiplient, les crises de jalousie et de colère se succèdent pour un rien et la relation après être devenue étouffante, devient carrément toxique et insupportable.
Bien entendu, lors des "premières fois", la narratrice est sidérée : elle met du temps à comprendre que sa compagne veut la dominer ; elle ne réagit pas et se contente d'espérer retrouver un jour prochain celle qu'elle aime. Carmen ne sait plus où elle en est. Elle mettra des mois, elle qui est écrivain, à mettre des mots sur son ressenti et surtout sur son vécu.
Les lieux ne sont jamais seulement des lieux dans une oeuvre écrite. S'ils ne sont que cela, alors l'auteur a échoué. L'environnement n'est pas inerte. Il est mis en mouvement par un point de vue.
Plus tard, tu apprendras qu'un facteur récurrent de la violence conjugale est la "dislocation". A savoir que très souvent la victime vient de s'installer dans un nouveau lieu, ou a atterri dans un endroit dont elle ne parle pas la langue, ou a été coupée de tout soutien, de ses amis ou de sa famille, et ne peut plus communiquer. Les circonstances, son isolement l'ont rendu vulnérable. Son seul allié est son agresseur, autrement dit, elle n'en a aucun.
...En un trajet, elle a le temps d'écouter soixante-quinze pour cent d'un livre audio. Sachant qu'elle conduit à cent cinq kilomètre-heure et qu'un livre audio dure en moyenne dix heures, combien de mois lui faudra-t-il pour qu'elle prenne conscience qu'elle a gâché la moitié de son master à conduire ainsi jusqu'à la maison de sa petite amie pour se faire hurler dessus pendant cinq jours ? Et combien de mois lui faudra-t-il pour digérer le fait qu'elle ne doit s'en prendre qu'à elle-même ?
Parfois quand tu regardes ton téléphone, elle t'a envoyé quelque chose d'horriblement cruel, et la peur te fait l'effet d'un coup de poing entre les omoplates. Parfois, quand tu la surprends qui te regarde, tu as l'impression qu'elle réfléchit à un moyen de t'éradiquer.
Dans ce récit, qu'elle écrit des années après alors qu'elle a trouvé l'amour et vit une vie stable et heureuse avec sa nouvelle amie avec qui elle s'est mariée, l'auteur revient sur ces mois difficiles où elle a vu ses sentiments bafoués et son couple s'effondrer.
Elle nous livre ses réflexions d'aujourd'hui, étayées par de nombreux exemples concrets, sur la manière dont le harcèlement moral et la violence psychologique, se mettent en place peu à peu. Elle évoque aussi son ressenti face à cette alternance de "coups" et de réconciliations, tout à fait déstabilisants et qui fragilisent encore davantage celle qui les subit.
La maltraitance dans un couple homosexuel, je savais bien qu'elle existait mais ce livre nous la fait vivre à la fois différemment et de manière semblable que dans un couple hétéro. En effet la mise en place de la violence est la même et n'est pas que l'apanage des hommes. L'auteur brise les tabous à ce sujet, démontre que même les juges ne savent pas juger ces cas de maltraitance, sans se référer à ce qu'ils connaissent de la violence dans les couples hétéro, parce qu'ils n'acceptent pas, inconsciemment, que deux êtres de même sexe, puissent vivre ensemble une vraie sexualité.
En plus de son sujet fort intéressant qui ne peut que nous toucher, il faut noter que ce livre est très original et même carrément étonnant par sa construction littéraire que je n'avais encore jamais lu, ni vu auparavant dans un témoignage.
L'auteur bâtit en effet ses chapitres de différentes longueurs (parfois très courts quelques lignes à peine) en racontant les événements dans le désordre et "à la manière de"... C'est très étrange, car cela peut être "à la manière" d'un conte, d'un film d'horreur, d'un road movie, d'un vaccin, d'un manoir hanté, d'un naufrage, d'une cabane dans les bois, d'un mythe, d'un roman d'espionnage ou d'un voyage dans le temps, "d'un livre dont vous êtes le héros" ou....autre méthode.
Elle fait référence à des livres, des auteurs ou philosophes, classiques ou contemporains, des films connus ou moins connus et je suis bien certaine que je n'ai pas trouvé toutes les références en le lisant.
Mais qu'importe, cela donne du rythme au récit et nous permet surtout de rentrer dans cette histoire d'amour qui dérape, tout en gardant une certaine distance face à l'émotionnel et au contenu poignant de ce qu'elle nous raconte.
La seconde originalité de ce livre c'est que l'auteur parle de son histoire mais qu'en même temps, dans certains chapitres, elle s'adresse à celle qu'elle était à cette époque, il y a donc des années.
Peu à peu, sans forcément chercher à reconstituer les événements de manière chronologique car cela n'a aucune importance, le puzzle se met en forme.
Petite, j'ai appris qu'on développe une immunité quand une maladie fait rage dans notre corps. Votre corps est génial, indépendamment du fait que vous le soyez ou non. Il ne se contente pas de guérir_ il apprend. Il se souvient. (Si toutefois le virus ne vous a pas tué).
Après la Maison rêvée, j'ai développé un sixième sens. Celui-ci se déclenchait de façon aléatoire_ lorsque je rencontrais une nouvelle camarade de classe ou une collègue...
Désagréable, irritant et néanmoins capital : l'avertissement génial de mon corps non moins génial
J'ai trouvé ce livre édifiant. Même s'il est question de souffrance dans une relation homosexuelle, même si l'auteur y parle de son expérience personnelle, il concerne tout le monde car il a un côté universel. Il peut être lu par tous et toutes car il explore remarquablement bien la mise en place de la violence psychologique qui peut advenir en amour comme en amitié d'ailleurs, et aussi les violences au sein des couples homosexuels qui sont finalement très rarement traitées encore aujourd'hui car tabous. Il casse aussi les clichés que nous pouvons avoir sur les relations au sein d'un couple homosexuel. Si dans les couples hétérosexuels, c'est le plus souvent l'homme qui fait preuve de violence, comment expliquons-nous que dans un couple homosexuel, une femme puisse faire de même...or la violence n'est pas que l'apanage des hommes, ce livre nous le prouve si vous en doutiez.
Je ne regrette pas d'avoir découvert cet auteur et sa plume. C'est un texte féministe et militant, dans lequel l'auteur s'adresse à nous avec réalisme et sensibilité, mais aussi les années aidant, avec une pointe d'autodérision. Je reconnais cependant avoir gardé une certaine distance en le lisant.
Ce livre-témoignage autobiographique a reçu plusieurs prix et été élu meilleur livre de l'année non-fiction en 2019 dans plusieurs pays.
Il y a un conte du Panama qui se termine sur ces mots :"Mon récit s'achève ici ; il est terminé et le vent l'emportera." Il s'agit de la seule fin digne de ce nom. Quelquefois tu dois raconter une histoire et, quelque part, tu dois t'arrêter.