Les livres et moi, mes coups de coeur, mes découvertes, mes créations ou mes voyages : intellectuels, spirituels, botaniques ou culinaires...
Ce fut un jour à marquer d'une pierre noire, un pas de plus dans notre lente descente aux enfers. L'ancienne Vienne, la ville tolérante et ouverte de mes jeunes années, la capitale cosmopolite de Zweig, n'était plus. La liberté d'expression n'y serait bientôt plus qu'un lointain souvenir. L'antisémitisme, chaque jour plus violent, se radicalisait. A croire qu'il était viscéralement ancré dans la mémoire collective de nos compatriotes.
Dès le lendemain de l'Anschluss, le pays fut en proie à de violentes manifestations d'antisémitisme qui explosèrent en un torrent de jalousie, d'amertume, d'aveuglement, de revanche...les Viennois se montrèrent particulièrement inventifs et sadiques, sans aucune retenue morale.
Je n'aurais pas imaginé me sentir un jour appartenir à la communauté juive, tant mon éducation et mon style de vie m'en avaient éloigné. Je cédais à des attitudes qui me révulsaient : rester discret, passer inaperçu, baisser les yeux, raser les murs...J'avais adopté un pas rapide et régulier, j'essayais de me fondre dans la foule.
Voilà une série en 4 tomes que je voulais lire depuis longtemps ce que j'ai commencé à faire durant les vacances d'été. Je viens de la terminer maintenant. Je vais donc vous présenter deux tomes par semaine en alternance avec la visite du Vieux Lyon, commencée hier.
Almah Kahn et Wilhelm Rosenheck se rencontrent dans les années 30. C'est le coup de foudre et une complicité immédiate les unit. Ils décident de ne plus se quitter et de se marier.
Leurs familles sont aisées. Julius le père d'Almah est un chirurgien renommé, et sa mère Hannah, très fragile psychologiquement, est musicienne. Du côté de Wil, Jacob est imprimeur et Esther, une femme douce et discrète qui se consacre à sa famille.
Almah poursuit ses études pour devenir dentiste. Wilhem a délaissé l'imprimerie familiale pour devenir journaliste.
Ils vivent à Vienne, une ville magnifique, d'une grande richesse culturelle dans laquelle les amateurs d'art, de musique, de théâtre trouvent leur bonheur. Ils sortent, fréquentent les milieux intellectuels, les bars où on parle souvent politique. L'ambiance est légère.
Ils ne se doutent pas un instant de ce qui les attend...car nous sommes dans les années 30. Le climat se détériore, les violences montent en puissance et cela s'aggrave brutalement après l'Anschluss quand, en 1938, Hitler envahit et annexe l'Autriche...la traque des Juifs a commencé.
Myriam, la sœur de Wilhem qui vient de se marier avec Aaron, décide de s'exiler à New York, mais Wil et Almah ne veulent pas abandonner leurs parents.
Cependant, la situation devient tellement intolérable et violente qu'ils doivent se décider à fuir d'autant plus que les voilà devenus parents d'un petit Frédérick, né en 1936.
Sur les routes de l'exil, de nombreuses péripéties et drames les attendent : ils découvrent arrivés en Suisse, que leur visa pour les Etats-Unis est un faux. Ils vont alors attendre durant des mois avant d'accepter de partir pour la République Dominicaine, afin de participer avec d'autres exilés à la fondation d'une sorte de communauté dans la pure tradition des Kibboutz.
Ils apprendront beaucoup plus tard dans leur vie, que le dictateur, Rafael Trujillo, a donné 100 000 visas aux juifs d'Europe uniquement pour éviter des sanctions diplomatiques consécutives au massacre de 20 000 haïtiens (hommes, femmes et enfants), massacre perpétré par le dictateur entre le 2 et 4 octobre 1937, appelé aussi le massacre du Persil.
Après un passage éprouvant par Ellis Island, où ils espéraient encore pouvoir débarquer à New York, et y rester, Almah et Wil arrivent à Sosúa. Là, ils vont réapprendre à vivre, se sentir à nouveau en sécurité, tout en découvrant la vie de groupe. Car au cœur de cette colonie pas comme les autres, l'amitié, l'entraide, la générosité sont bien là et la vie de famille prend un tout autre tournant dans un environnement quasi paradisiaque. Cependant, si Almah pourra continuer à exercer son métier, Wil devra renoncer au sien.
Mais pour eux, malgré des périodes de doute, le plus important est finalement d'être en vie. Ils vont apprendre à apprécier ce qui leur est offert, et au lieu de se retourner sur leur passé, de penser à tout ce qu'ils ont perdu, et à ceux qu'ils ont laissé là-bas, c'est vers l'avenir qu'ils vont irrémédiablement se tourner...
Julius et Almah avaient choisi de quitter ce monde ensemble. Un geste d'amour l'un envers l'autre pour se protéger de ce qui devait advenir ? Un geste d'amour envers Almah qu'ils libéraient de ses attaches à Vienne ?
La joie de vivre d'Almah, son énergie et sa détermination en toute chose m'émerveillaient. Elle savait ce qu'elle voulait et comment l'obtenir, encouragée par un père fou d'elle, qui lui avait passé bien des caprices...
Almah avait une farouche résolution : le bonheur immédiat et absolu.
La dernière image que je garderais de mes parents n'avait pas changé. C'était celle d'un couple de vieux vêtus de noir, drapés dans leur chagrin, un homme de haute stature au visage sévère et une petite femme brisée, debout sur le quai d'une gare...
J'eus le pressentiment fugace que c'était la dernière fois que je les voyais. Dans un sursaut d'instinct de conservation, je me dis qu'il était vain de faire l'inventaire de ce que nous quittions. C'était trop douloureux...
C'est un premier tome qui ne peut laisser personne indifférent. Tout d'abord tous les événements historiques sont basés sur des faits réels.
Les évènements ayant lieu à Vienne, la montée du nazisme et la persécution des Juifs est un sujet qui me touche beaucoup.
Je ne savais pas grand chose de l'Anschluss avant de lire le récit d'Eric Vuillard "L'ordre du Jour", présenté ICI. Dans ce roman, les évènements sont relatés différemment puisqu'il s'agit d'une fiction, l'auteur se place non pas du côté de l'Histoire et des acteurs comme l'avait fait Eric Vuillard, mais du ressenti des personnes auxquelles le lecteur s'est déjà attaché.
Je ne savais rien du tout par contre de la DORSA, cette organisation qui avait réussi à obtenir des VISAS pour sauver des juifs en leur offrant l'accueil dans d'autres pays comme Cuba ou la République Dominicaine.
C'est grâce à la DORSA que nait la colonie de Sosúa qui a réellement existé. Tous ces juifs exilés, venus de différents pays, nantis pour la plupart, exerçaient tous un métier qu'ils aimaient. Ils ont souffert de se retrouver étiquetés à cause d'une religion que la plupart ne pratiquait pas. Là, ils deviendront charpentiers, agriculteurs ou autres et feront tout pour retrouver une vie normale.
Le roman nous fait entrer dans la psychologie des personnages avec beaucoup de délicatesse. On découvre leurs hésitations, la peur de l'inconnu et la douleur d'abandonner leurs proches, et le mal du pays qui ne les quittera jamais. Cela rend les personnages particulièrement attachants et nous donne envie de poursuivre la lecture de la série pour savoir ce qui va leur arriver, quelle décision ils vont prendre, s'ils vont un jour rentrer chez eux.
Le lecteur s'attache particulièrement au couple formé par Almah et Wil que nous allons suivre dans ce tome pendant 40 ans (1921-1961). L'amour fusionnel qui règne entre ces deux-là est plus fort que tout et sera renforcé par leur éloignement de leur famille et de leur pays. Mais les personnages secondaires ne sont pas en reste et nous allons les suivre aussi avec beaucoup d'attention, tout comme les enfants, Frederick et la petite Ruth, la première née de la communauté quelques mois à peine après leur arrivée en 1940.
Peut-on réellement reconstruire sa vie après avoir vécu tous ces événements, et surtout peut-on retrouver le bonheur ensuite, au point de donner envie aux générations futures de continuer à vivre ?
C'est toute la question de cette excellent série que j'ai lu avec beaucoup d'émotions et que je vous conseille vivement de découvrir si ce n'est pas déjà fait pour vous.
D'autres avis chez Eve (ICI) et Marion (ICI) que je remercie pour m'avoir donné envie de la lire à mon tour.
Des questions me taraudent. Est-il possible de vivre pleinement heureux avec ceux qui vous ont coûté vos rêves ? Le sacrifice de ce qui faisait l'essence même de votre vie vous rend-il meilleur ? Porterai-je à tout jamais le regret de ce qui n'a pas été ?
Ruth était beaucoup plus qu'un nourrisson. Elle était tout à la fois un symbole, un antidote à nos démons, la preuve de notre formidable vitalité, la première racine qui germait à Sosúa...
Ruth était comme investie d'une mission, porteuse d'un message...il était possible d'écrire une histoire heureuse sur un passé douloureux.