Les livres et moi, mes coups de coeur, mes découvertes, mes créations ou mes voyages : intellectuels, spirituels, botaniques ou culinaires...
Le soleil est un astre froid. Son coeur, des épines de glace. Sa lumière, sans pardon. En février, les arbres sont morts, la rivière pétrifiée, comme si la source ne vomissait plus d'eau et que la mer ne pouvait en avaler davantage. Le temps se fige. Le matin, pas un bruit, pas un chant d'oiseau, rien.
La corruption est un poste incompressible du budget des grandes entreprises, cela porte plusieurs noms, lobbying, étrennes, financement des partis.
Voilà une éternité me semble-t-il que ce récit a obtenu le prix Goncourt et pourtant ce n'était qu'en 2017.
Il avait soulevé une belle polémique à ce moment-là et je n'avais pas eu envie de le lire tout de suite. Et puis les avis chez les uns ou les autres étaient mitigés. Il fallait donc que je me décide un jour d'autant plus que ce récit ne comporte que 150 pages, mais quelles pages !
L'auteur se lance dans le récit des années qui ont précédé la seconde guerre mondiale alors que le parti nazi monte en puissance et que l'Anschluss, c'est-à-dire l'annexion de l'Autriche à l'Allemagne, n'est plus qu'une question de temps. Nous en avons une vision restreinte souvent celle d'ailleurs de nos livres d'histoire, mais l'auteur va lui, nous raconter sa propre interprétation, et nous énumérer la liste de tous ceux qui ont de près ou de loin participés à la montée du nazisme dont nous connaissons tous les horribles conséquences.
Le récit débute en 1933 au mois de février. Une réunion quasi secrète se tient au Palais du présidant du Reichstag, dans le petit salon. Se retrouvent réunis les grands noms des entreprises de l'époque. Ils sont vingt quatre exactement dont les représentants d'Opel, BASF, Bayer, Agfa, Siemens, Allianz et bien d'autres...et Hermann Goering qui les accueille leur demande de passer à la caisse : ces entreprises vont toutes financer le parti nazi et permettre à Hitler d'accéder au pouvoir. Un événement à ne pas oublier d'autant plus que ces entreprises existent toujours même si les dirigeants ont changé, et qu'elles ont exploité pendant la seconde guerre mondiale, des milliers de déportés en les faisant travailler dans leurs usines où ils constituaient une main d'œuvre rentable.
Puis, nous nous retrouvons en 1938 en Bavière, alors que Kurt Schuschnigg, le chancelier autrichien est convoqué par Hitler qui va lui poser un ultimatum et l'obliger à intégrer dans son gouvernement plusieurs personnes appartenant au parti nazi... dont Arthur Seyss-Inquart au ministère de l'intérieur. Il deviendra très vite chancelier.
Le 12 mars 1938, les troupes allemandes entrent en Autriche et ne rencontrent aucune opposition en apparence, mais de nombreuses personnes opposées au régime se sont subitement "suicidées" et la manipulation de la population a été telle que bien entendu, ils sont attendus comme des "sauveurs", en apparence. Mais que de violence, d'incendies, de scènes effroyables, restés cachés.
Et en Europe me direz-vous ? Les différents traités signés interdisent cette annexion et pourtant la France et le Royaume uni, ne réagissent pas...pour des raisons différentes.
Hitler continuera à s'emparer d'autres territoires. Il compte bien étendre son pouvoir. Le Troisième Reich n'a pas de limite. Nous en connaissons tous les conséquences.
C'est sublime un moteur, un vrai miracle si l'on y pense. Un peu de carburant, une étincelle, et hop ! la pression augmente, repousse le piston, qui entraine la rotation du vilebrequin et c'est parti ! Mais voilà, ce n'est simple que sur le papier, dès que ça tombe en panne, quelle mouscaille ! On n'y pige plus rien. Il faut foutre les mains dans le cambouis, dévisser, revisser...Pr, ce 12 mars 1938, malgré le grand soleil, il faisait un froide de gueux...
Hitler est hors de lui, ce qui devait être un jour de gloire, une traversée vive et hypnotique, se transforme en encombrement...
Je ne vais pas bien évidemment vous raconter toute l'histoire juste vous dire qu'il faut cependant malgré le sujet et le peu de pages, s'accrocher pour lire ce livre.
Je m'intéresse beaucoup à cette période de l'histoire mais je l'avoue, je ne savais pas tout des événements relatés, ni ne connaissais tout des personnages évoqués dans ce récit. J'ai trouvé que du coup la lecture de ce livre demandait beaucoup de concentration. Il m'a fallu rechercher souvent quel rôle connu avait joué tel ou tel personnage et je n'avais pas le déroulé exact et précis des différents événements. Cela m'a déconcentré mais comment comprendre le récit de l'auteur si on ne sait pas exactement de quoi ou de qui il parle.
De plus, l'auteur s'amuse à nous balader d'un personnage à l'autre, d'un lieu à l'autre et d'un événement à un autre. Je me suis parfois un peu perdue dans son propos.
J'ai donc trouvé cette lecture à la fois enrichissante car j'ai appris beaucoup de choses et fastidieuse, car s'il faut avoir recours sans cesse à un livre d'histoire pour s'y retrouver vraiment et j'imagine que peu de lecteurs auront envie de le faire. C'est dommage je trouve.
Il ne reste pas moins que le style bien que déroutant, est intéressant...
Avec son cynisme habituel et sa culture générale incroyable, l'auteur nous relate ces diverses scènes de manière très personnelle. On aime ou pas, forcément.
Certaines scènes sont surprenantes, presque "drôles", je sais c'est étonnant vu le sujet et je n'osais pas le dire mais ainsi narrées par l'auteur, elles sont à la fois comiques et tragiques, car nous savons tous les horreurs qui seront perpétrées par le troisième Reich. Je retiendrais la panne générale des blindés au moment de franchir la frontière autrichienne, et l'obligation pour Hitler de les faire charger sur des trains pour arriver à Vienne dans les temps pour les cérémonies prévues.
D'autres sont choquantes et montrent le mépris profond d'Hitler pour ceux qui gênaient son ascension au pouvoir, mais aussi le déni des principaux protagonistes lors du procès de Nuremberg, la lâcheté des politiques qui ont laissé faire.
L'auteur nous livre aussi au passage son analyse de quelques photographies d'époque connues, mettant le doigt sur l'interprétation que nous en faisons (et qui restera dans l'histoire pour les générations futures) une fois la photo recadrée ou sortie de son contexte.
Il compare de façon tragique ce qui va suivre et les événements dont on a tous connaissance, à la peinture aux doigts, noire et macabre, de Louis Soutter, reclus dans son asile...un peintre que je ne connaissais pas.
Un livre à lire un jour si vous ne le connaissez pas encore et que vous vous intéressez à cette période de l'histoire mais ne vous y trompez pas. Il est court, il n'a que 150 pages mais il est dense et difficile à lire, mais je ne regrette rien des efforts effectués. Lu cet hiver, il était temps que je lui trouve une place sur ce blog.
D'autres avis mitigés ou enthousiastes chez Hélène, Eve, Alex, Zazy...qui comme habituellement l'ont lu avant moi, mais aussi Dasola.
D'Eric Vuillard, j'avais aimé "Tristesse de la terre", présenté ICI qui revisitait le personnage de Buffalo Bill, un livre beaucoup plus accessible à mon avis, si vous désirez faire connaissance avec l'auteur.
Les plus grandes catastrophes s'annoncent souvent à petits pas...