Les livres et moi, mes coups de coeur, mes découvertes, mes créations ou mes voyages : intellectuels, spirituels, botaniques ou culinaires...
On s'empare des actes qui nous font du mal. On croit, on voudrait, y avoir joué le rôle principal même si ça fait mal, juste pour ne pas être totalement impuissant face à ce qui arrive. Mais toutes ces années lui ont appris que ce qui se passe dans le cœur et la tête de chacun n'appartient qu'à celui dont le souffle anime ce cœur et cette tête.
Peu à peu, il a appris à écouter chacun de ses patients comme on écoute un chant.
Un long poème balbutiant.
Lui seul pour en saisir le rythme. Avec pour unique outil le silence. Peu à peu il a appris à entendre quand quelque chose cherchait à venir, d'une séance à l'autre. Il a aidé au miracle laborieux du lien qui s'élabore.
Simon Lhumain est psychanalyste.
Il suffit d'un bol auquel il tenait particulièrement, qu'il lâche malencontreusement par terre un matin en buvant son café, pour que tout bascule dans sa vie. D'avant, il n'avait gardé que deux objets, une aquarelle accrochée au mur, et ce bol bleu. Quelque chose se brise en lui. Il réalise que s'il a passé sa vie professionnelle à être à l'écoute des autres, il n'a pas gardé pour autant assez de place pour s'écouter lui-même.
Il décide de tout quitter pour partir pour un temps incertain, vers un lieu inconnu de lui, et isolé du monde, une île au large du Japon faisant partie de l'archipel de Yaeyama. La mer qu'il aime par dessus tout ne sera pas loin et il pourra aller nager. Là, il espère aller mieux et guérir des maux qui l'anéantissent jour après jour davantage, faire le deuil de ses pertes (son ami d'enfance Mathieu et son premier amour Louise), oublier ses patients qui deviennent lourds à porter.
Il délaisse donc ses amis et connaissances du moment, dont Hervé avec qui il joue habituellement de nombreuses et passionnantes parties d'échecs. C'est d'ailleurs lui qui l'a aidé à organiser ce voyage. Il laisse aussi derrière lui sa jeune collègue, Mathilde, rencontrée depuis peu.
Sur cette île, un couple discret et attentionné l'attend mais avec eux aussi, la sérénité, les rituels, la passion du travail bien fait...et la nature florissante et généreuse.
Akiko est passionnée par les tissus anciens, les méthodes ancestrales pour les colorer uniquement à la main et avec des végétaux, et les habits confectionnés avec. Elle n'hésite pas à voyager pour aller les chercher, connaître leur histoire et celles de ceux qui les ont créés.
Daisuke lui, s'adonne à l'art du Kintsugi, un art ancien qui consiste à réparer les objets brisés, en les rendant plus beau grâce à de la laque et des dessins dorés au lieu de masquer tout simplement leur fêlure avec une colle. Il parle une langue inconnue pour Simon mais quand ce dernier pénètre dans son atelier, il se sent bien et tous deux communiquent et se comprennent avec le cœur.
Jour après jour, Simon s'interroge sur son métier, l'aide qu'il a ou pas apporté à ses patients qui venaient dans son cabinet chercher des réponses à leurs problèmes. Il n'est à présent plus sûr de rien.
Sont-ils repartis le cœur plus confiant, l'esprit plus libre ? A-t-il pu leur être d'une aide suffisante ? A-t-il été suffisamment bon à ce qu'il faisait ?
Il est en particulier obsédé par une femme Lucie F., qui un jour est partie sans jamais revenir suite à une malheureuse phrase qu'il avait prononcé ce jour-là. Il croit l'avoir vu à l'aéroport, mais c'est peut-être l'œuvre de son imagination (le lecteur seul sait qu'il s'agit bien d'elle, il est mis par l'auteur dans la confidence...il n'y a pas de véritable hasard dans la vie).
Comme la raie manta qu'il croise en nageant se nettoie et se débarrasse de ce qui l'encombre en se frottant aux coraux, Simon va peu à peu jeter un regard différent sur son passé...en prenant son temps.
La connaissance fine de notre malheur permet-elle une vie meilleure ? Comme un vêtement qui s'ajuste bien sur notre corps et ne gêne plus nos mouvements ?
Quand on a ouvert le coffre, plus rien n'est à l'abri. Il le sait. Les souvenirs ont leur vie propre. Ils n'ont que faire de nos peurs. Il n'y a plus qu'à être à la hauteur. La liberté est à ce prix. La seule qui vaille.
Il [Daisuke] portait en lui suffisamment d'amour pour consoler cette femme [Akiko]. Aucun enfant ne grandirait auprès d'eux mais son amour à lui pouvait grandir. Il décida d'élever son amour comme on élève un fils ou une fille, avec infinie tendresse et exigence. Et son amour avait bien grandi...
Je connais depuis longtemps cet auteur que j'aimais beaucoup pour ses livres jeunesse toujours bouleversants. J'avoue pourtant avoir peu lu ses romans pour adulte.
Elle nous offre ici un roman magnifique, touchant et généreux, d'une grande délicatesse, riche en rencontres et en découvertes.
Lire ces lignes, c'est entrer dans un havre de paix, poétique et contemplatif, mais aussi réfléchir sur notre vie, nos amitiés et nos amours, tout comme notre jeunesse qui souvent nous a marqué plus que de raison et tous les événements de la vie qui continuent inconsciemment à nous détourner de notre présent.
Le chemin qui mènera Simon vers une plus grande liberté, est peuplé de solitude, de silence mais aussi de sagesse. La sollicitude et la discrétion de ses hôtes, des personnes que nous aimerions tous rencontrer un jour, l'aident à accepter ses ressentis et à voir avec un regard nouveau ses fêlures.
C'est une véritable quête initiatique qu'il entreprend et elle ne peut s'effectuer qu'en prenant son temps, ce que le lecteur fait aussi en abordant cette lecture.
L'amour et l'amitié lui ont été donnés un jour. La vie a été généreuse. Aujourd'hui son coeur s'en souvient. Ce matin, il peut remercier d'avoir connu cela. Après tout on peut passer une vie entière sans.