Les livres et moi, mes coups de coeur, mes découvertes, mes créations ou mes voyages : intellectuels, spirituels, botaniques ou culinaires...
Enfant, il avait toujours pensé que les choses cessent d'exister lorsqu'elles prennent fin. Demain ça n'existera plus se disait-il. Pour lui, les erreurs figuraient parmi les événements qui s'autodétruisent en s'achevant. Elles existaient comme telles uniquement au moment où elles se produisent, voilà pourquoi il était légitime de les qualifier d'erreurs.
"Tu sais comment je suis tombée amoureux de ta mère ? "lança-t-il au silence.
Ainsi dans la pénombre menaçante, il entama le récit qu'il avait conservé au fond de lui, telle une bouteille de bon vin qu'on garde à la cave pour la déboucher dans une grande occasion...
Nous sommes en Italie dans le Haut-Adige et l'hiver approche.
Alors que ses parents se sont arrêtés au bord de la route pour satisfaire une envie naturelle, Michele, leur fils âgé de 11 ans disparait mystérieusement. Michele Ludocisi était un enfant et élève surdoué. Il s'ennuyait à l'école et se trouvait souvent rejeté par ses camarades de classe. Incompris aussi par ses parents, son institutrice leur avait demandé de réfléchir à une solution alternative et de le placer dans un institut pour enfant surdoué...ce qu'ils avaient refusé de faire.
Sergio Striggio est commissaire dans la ville de Bolzano, une ville plutôt tranquille. Chargé de l'enquête, il va interroger les parents et chercher des témoins. C'est un maniaque des détails autant dans sa vie professionnelle que dans sa vie personnelle. Il étudie chaque personne et n'hésite pas à mettre en doute même ceux qui paraissent les plus innocents.
Tout en enquêtant sur Michele et les milles raisons que peut avoir un jeune préado de disparaitre, il se rappelle sa propre enfance, ses difficultés à vivre son attirance pour les garçons, le fait de provoquer sans cesse son père, comme un appel au secours pour qu'il devine son homosexualité sans avoir à l'expliquer. Peu à peu, une incompréhension mutuelle s'était installée entre eux. Il se souvient comme lui aussi a été un enfant difficile, fantasque, imaginatif, perturbant pour ses parents qui ne le comprenaient pas. Et aussi comment il a déçu son père qui ne le voyait pas devenir un simple flic, comme lui l'avait été.
Souvent encore aujourd'hui, Sergio doit faire un véritable effort pour parler de lui à ses collègues de travail et c'est la même chose dans sa vie privée. C'est le cas actuellement avec Léo qu'il connait pourtant depuis des années. Il a déménagé pour lui pour qu'ils se voient le plus souvent possible, car Léo est instituteur mais pris par les tourments de leur métiers respectifs, ils passent parfois par des moments difficiles.
Voilà qu'en plus pour compliquer le tout, son père, devenu veuf et ayant refait sa vie depuis, vient passer quelques jours avec lui. Alors que Sergio était bien décidé à lui ouvrir son cœur enfin, et à lui révéler son homosexualité, car il en a assez de mentir par omission à ses proches, son père lui apprend qu'il a une maladie incurable et n'en a plus que pour quelques semaines à vivre. Sergio décide de se taire encore une fois, à quoi servirait en effet de lui faire à présent cette révélation qui pourrait le bouleverser ? Le moment est mal choisi.
Sergio a donc bien du mal à se concentrer sur l'affaire, d'autant plus que les enquêteurs n'ont pas la moindre piste, que le prêtre Giuseppe, qui est le principal témoin n'a rien à révéler d'important, et que les parents semblent lavés de tout soupçon, même après avoir examiné de près le téléphone portable du père, et vu les photos qu'il y stocke.
Mais comme vous vous en doutez, des rebondissements vont prouver aux enquêteurs qu'ils ont tout faux, et qu'il y a toutes les chances que Michele soit bel et bien toujours en vie.
Léo (...) avait déclaré que, pour un homme qui s'intéressait si peu à son père, il s'inquiétait anormalement de son avis sur leur relation. Et Sergio avait été d'une certaine façon touché par la franchise avec laquelle le garçon savait mettre à nu ses faiblesses.
Voilà un roman qui n'est pas un classique du genre car s'il s'agit bien d'un roman noir, c'est avant tout un roman psychologique et très littéraire, que l'on peut même qualifier d'intimiste car la vie privée des protagonistes se mêle totalement à l'enquête.
Sergio est un personnages complexe qui a beaucoup souffert de la mort de sa mère et a toujours pensé que son père ne l'aimait pas et lui en voulait de ne pas être à la hauteur de ses rêves. Il s'est d'ailleurs engagé dans la police pour le provoquer et remonter dans son estime, mais a l'impression de l'avoir tout de même déçu. Il a été lui aussi un enfant et un adolescent fantasque sans être non plus surdoué comme Michele, mais assez étrange tout de même pour contrarier ses parents.
Le roman est interrompu par des extraits de récits que Sergio avait écrit alors qu'il n'avait que 13 ans à un âge où l'architecture, la mythologie et l'histoire en général le passionnaient au point qu'il avait inventé le journal imaginaire de Leon Battista Alberti, une personne qui a réellement existé. C'était un humaniste du XVe siècle, philosophe, mathématicien, et théoricien de la perspective à la Renaissance. Il a été entre autre l’architecte de l'église Santa Maria Novella de Florence.
Les personnages secondaires sont tous autant intéressants. Il y a beaucoup de dialogues et les échanges ne sont pas toujours très compréhensibles à la première lecture, mais on en comprend leur importance par la suite.
L'enquête piétine car tous les enquêteurs ont l'esprit occupé ailleurs et ne savent pas par quel bout l'attraper n'ayant aucune piste sérieuse. De plus les nombreux non-dits entre les différents protagonistes, ainsi que les secrets de famille compliquent les choses, tout comme les mensonges intentionnels, ou par omission, empoisonnent les relations humaines.
Heureusement des rebondissements vont advenir et le début du roman nous met, nous lecteurs, sur une piste que nous sommes soulagés de les voir enfin emprunter, même si ce ne sera qu'à la toute fin que la solution sera trouvée et que les différentes pièces du puzzle finiront par s'emboiter.
Le thème principal, c'est le père, la relation au père, l'absence ou la présence, la fuite ou le rejet du père, le père biologique et celui qui ne l'est pas, bref la paternité !
C'est un roman noir assez complexe dans sa construction mais qui nous offre de beaux portraits psychologiques. Le fait que le lecteur doive interpréter à sa façon pas mal de non-dits ou de silence, ou de phrases qui ne vont pas jusqu'au bout, peut cependant perturber certains lecteurs, car ce n'est pas une lecture facile.
J'ai aimé que l'auteur nous laisse une marge personnelle d'interprétation, car on élabore des hypothèses, on cherche à comprendre pourquoi l'auteur nous met sur telle ou telle piste, nous donne telle ou telle info et puis nous laisse en plan. Le suspense monte en puissance, et à la fin tout ce qu'on n'avait pas compris sera révélé.
L'auteur a écrit une quinzaine de romans et a obtenu plusieurs prix. Ses romans sortent tous de l'ordinaire car il aime parler de la société et des gens avant tout. Il a une sensibilité à fleur de peau, une écriture toute en finesse, et sait nous émouvoir tout en ne cachant rien de la réalité sociale ou politique de l'Italie.
Bravo à la traductrice, Nathalie Bauer, d'avoir su préserver tout cela.
Sur ce blog, je vous ai présenté deux des trois romans appartenant à une trilogie "historique" qui se déroule en Sardaigne, mais il faut noter que les romans peuvent se lire séparément. Il me reste à lire "C'est à toi" qui se situe entre les deux titres suivants.
J'ai découvert dans un ancien carnet qu'en fait j'avais découvert cet auteur avec "Shéol" paru en 1997 et "Sempre caro" paru en 1999, deux romans qu'il me faudrait relire à présent car je serais bien en peine de vous en parler.
Bon week-end à tous !
Il aurait pu hasarder que certains adultes ne méritent pas la charge qu'on leur a confiée et que les enfants dissimulent parfois leur être véritable pour s'adapter aux attentes de ceux qui devraient leur apprendre à s'exprimer librement. Mais cette théorie n'aurait pas convenu à son cas : sa mère l'avait adoré au point de considérer son moindre souffle, comme un bien précieux.
...l'amour n'est pas un vol, mais un don.