Les livres et moi, mes coups de coeur, mes découvertes, mes créations ou mes voyages : intellectuels, spirituels, botaniques ou culinaires...
Il y avait de la colère en elle. Ou plutôt, il y avait toujours de la colère en elle. Une colère sourde qu'elle devait canaliser sans cesse. Elle souffrait sans parvenir à mettre des mots sur ce qu'elle ressentait. Cet endroit avait vu ses ancêtres parler avec les dieux. Ces pierres sur lesquelles la mousse avait poussé avaient été posées par les siens, et cette profanation qu'elle était en train d'immortaliser lui était douloureuse. Elle ne savait pas ce qui la révoltait le plus : qu'on ait profané le temple ou les crimes qui y avaient été perpétrés.
Voici un thriller bien noir pour les amateurs du genre avec des scènes quasi insoutenables, des récits de violence, du suspense et une écriture sans fioriture. Âmes trop sensibles ou amateurs de feel-good passez votre chemin, vous risqueriez de faire des cauchemars. Vous voilà prévenus et surtout je ne vous en voudrais pas !
Cependant vous devez savoir qu'il a été sélectionné par le Prix Bête noire des Libraires en 2019, et qu'une grande partie de l'action se passe en Polynésie française sur des îles paradisiaques. C'est tentant n'est-ce pas, histoire de voyager un peu ?
Lilith Tereia est une jeune photographe qui a été élevée par son oncle qui vit sur l'île de Moorea. Maema, son amie et collègue de travail qui est journaliste, la rejoint, envoyée par la direction du Journal local de Tahiti pour couvrir le Festival des danseurs de feu.
Mais elles sont appelées en urgence sur une autre affaire d'une rare violence : un bûcher en pleine forêt au marae Mahine, à l'emplacement même où pendant des siècles leurs ancêtres sont venus honorer leurs dieux. Là ce qu'elles découvrent, c'est l'horreur, des restes humains ont été calcinés après avoir été découpés et entassés, les têtes au-dessus...il y a apparemment deux hommes et une jeune femme beaucoup plus jeune... Le Hic c'est qu'il y a une tête de trop. Il y a donc un autre cadavre que Lilith va découvrir très vite en contrebas de la route, près d'une méhari accidentée.
L'enquête est confiée à Kae, un ami de Lilith qui ne lui est pas indifférent.
En parallèle, le lecteur suit, en France, les péripéties macabres perpétrées par un tueur en série, Nael, qui change de technique à chacun de ses meurtres afin qu'on ne puisse pas l'identifier un jour. Le dernier crime ne s'est pas déroulé comme prévu, car il a pour une raison inconnue, trouvé dans la maison d'une vieille femme, le corps de son ex-femme avec une photo de lui (qu'il n'avait jamais vu) dans ses mains...du coup il panique et doit changer ses plans.
Pour découvrir le pourquoi de cette photo et de la présence sur les lieux du cadavre de son ex-femme qu'il n'avait pas revu depuis des années, voilà que Nael va suivre sa propre enquête visant à lui faire comprendre s'il est ou pas en danger d'être découvert. Alors qu'il s'organise pour cacher le corps de celle qui a partagé sa vie pour qu'on ne remonte pas la piste jusqu'à lui, voilà qu'il croise la route d'un compagnon réel ou imaginaire (?) un rat de bibliothèque loufoque surnommé Gaspard. C'est un rat très intelligent, qui aime les grands auteurs de littérature française depuis qu'il s'est retrouvé enfermé dans un carton de livres et qui surtout, retient tous les mots avalés qu'ils soient de Proust, Neruda, Cervantès ou autres auteurs...
Son enquête va le mener...en Polynésie, le lecteur se doutait bien que les deux affaires étaient liées, mais bien entendu je ne vous en dirais rien de plus.
Au passage, le lecteur découvre cette belle région française, ses coutumes, ses odeurs florales, tout le folklore qui attire les touristes mais aussi l'envers du décor avec les conséquences de la colonisation, la délinquance, la pauvreté de certains quartiers...les anciens fantasmes (comme le cannibalisme par exemple).
La clairière, dégagée des siècles plus tôt pour ériger le marae, apparaissait en entier et toute la structure du temple était visible : le mur d'enceinte fait de pierres empilées formant un rectangle d'environ vingt mètres sur dix, la cour intérieure rehaussée, par endroit pavée, d'où s'élevaient une douzaine de pierres dressées, et l'autel sur trois niveaux, lui aussi de pierres de basalte brutes.
Moana et les frères Paratau...
Elle les connaissait depuis toujours. Ils étaient inséparables. Ensemble pour les coups durs, ensemble pour les emmerdes. Malgré la colère qu'elle avait toujours nourrie à leur égard, elle ne pouvait réprimer une certaine tendresse. A ses yeux, ils étaient le résultat de la défaillance des pouvoirs politiques et de l'abandon général dont ils étaient, d'une certaine manière, les victimes.
La couverture est magnifique et pour une fois que ce roman était disponible à la médiathèque depuis que je l'avais noté dans mon carnet, je n'ai pas hésité une seconde. Nos deux héroïnes sont tellement prises par l'affaire que nous non plus nous ne pouvons pas nous arrêter en chemin et ne pouvons qu'avaler les 373 pages quasiment d'une seule traite.
L'écriture en effet est très prenante, dynamique et d'une grande justesse quant à la description des personnages et à l'étude de leur caractère. Même si certains éléments de l'histoire de Nael se comprennent très vite, le suspense concernant le bûcher est maintenu jusqu'au bout. Le côté noir de ces histoires et du personnage de Nael, le tueur en série, contraste avec la beauté des paysages et la douceur de vivre des îles, voire même la philosophie de vie toute en légèreté des habitants.
De plus l'auteur agrémente le récit de plusieurs manières, tout d'abord en décrivant les paysages et les coutumes, puis par les dialogues très vivants, enfin en mettant des titres plaisants à chacun de ses chapitres comme par exemple :
- "Les petits cailloux qu'on laisse sur le chemin ne sont pas tous blancs".
- "Le doute est enfant de bohème, il dort sous tous les toits".
- "Ce qui guide nos pas ne conduit pas toujours à destination".
- "Les mots sont des bruits civilisés".
De nombreux mots tahitiens sont utilisés au cours du récit. Ils sont expliqués dans un sommaire à la fin de roman, auquel je me suis référée très souvent (en mettant un petit marque-page pour le retrouver plus rapidement).
L'auteur n'est pas seulement auteur de polar. J'ai vu qu'il en avait publié pour la jeunesse et qu'il était aussi connu en tant que compositeur depuis les années 90.
"Le Bûcher de Moorea" est le premier opus d'une série intitulée "Les aventures de Lilith Trereia". Il faudra donc que je recherche à la médiathèque le second qui s'intitule " Les disparus de Pukatapus"...mais cela risque bien d'attendre la rentrée de septembre cette fois encore.
Aujourd'hui, arriver à l'improviste chez quelqu'un est considéré comme un manque de correction...Avant on ajoutait un couvert. On préparait une chambre. On offrait sa demeure. Aucun contrat implicite avant la visite n'était conclu, contrairement à aujourd'hui...
pourquoi faudrait-il être informé de la visite d'un ami ?