Les livres et moi, mes coups de coeur, mes découvertes, mes créations ou mes voyages : intellectuels, spirituels, botaniques ou culinaires...
Elle [Alika] ne discute jamais. C'est ce qu'on lui a appris dans l'école d'aide à domicile, chez elle, aux Philippines.
"Ne contredisez pas votre employeur."
On lui a bien expliqué que, plus ses compétences, c'est son attitude qui importe.
"Ayez toujours un sourire plaisant et aimable".
"Soyez humble. Si votre employeur se plaint, ce doit être pour quelque chose. Acceptez-le et essayez de vous améliorer au lieu de chercher des excuses."
Cela vous arrive peut-être parfois de vous arrêter sur une aire d'autoroute à 23h12 exactement pour mille raisons dont la première est le plus souvent de faire une pause lors d'un long parcours. Alors ce livre est fait pour vous !
Ils sont nombreux à se croiser se soir-là en comptant le cheval, mais pas le cadavre dont une seule personne connait l'existence.
Ils sont à côté de la station service, éclairée par la lumière crue des néons, et tous sont dehors pour tenter d'échapper à la chaleur étouffante de cette soirée d'été qui imprègne cette aire d'autoroute des Ardennes. Une lumière crue qui va permettre à l'auteur de nous les décrire sans détours, tels qu'ils sont...
Il y a Chelly qui dans la vie est prof de "pole dance" et "instagrameuse" réputée, sportive et impulsive ; Victoire, devenue mannequin, qui a une phobie des dauphins et de l'eau ; Loïc est dépanneur et fréquente assidument un forum intitulé "les pirates de la drague"; Alika vient des Philippines et attend-là que ses nouveaux patrons l'emmènent avec eux en vacances ; Monica est une très vieille femme solitaire dont la maison vient d'être expropriée, son petit-fils Olivier est chargé de l'emmener dans une maison de repos ; Julianne est l'unique rescapée d'un massacre qui a vu disparaître tous ses voisins ; Joseph est un timide représentant ; Julie est l'épouse d'Olivier dont les parents sont tous deux gynécologues et collectionneurs ; enfin Red Apple, le cheval, a été maltraité avant de devenir un champion. Et puis il y a Antoine, qui transporte Red Apple et les deux employés de la station, Sébastien et Juliette...et le cadavre caché dans le coffre d'une des voitures.
Tout est calme, chacun s'est arrêté sur cette aire pour une bonne raison, emmenant sur les lieux quelques bribes de sa vie...mais à 23h14 tout va basculer pour eux, le destin est en marche.
Le cerveau de Victoire se laissait aller, bercé par la monotonie de la route et par la fatigue, et il ne remarquait pas le souvenir qui s'apprêtait à surgir, comme une bulle d'air saturé de soufre, remontant des abysses. Il se faufilait dans les méandres de son psychisme, déjouant les pièges et les mécanismes de défense, vers la lumière du jour. Il avait suffisamment attendu, il était temps.
La télé était à Julianne ce que le feu de camp devait être aux hommes primitifs. Elle éloignait les ténèbres, réchauffait son corps et la protégeait des prédateurs. Lorsqu'elle l'éteignait, l'obscurité et la solitude la frappaient. Un uppercut dans le bas ventre qui distillait sa petite dose de déprime quotidienne...
Encore une fois l'auteur nous surprend, nous dérange, nous choque même par ses propos directs et sans fioritures. J'ai lu ce livre sans respirer, d'une traite tant il est prenant et désopilant, dur, violent parfois mais sonne tellement juste que le lecteur visualise les scènes, se surprend à rire ou à retenir son souffle, se détourne parfois pour ne pas devenir voyeur.
L'auteur nous raconte des bribes de vie. Chaque chapitre nous décrit la vie d'un seul des différents protagonistes, parfois nous remontons jusqu'à l'enfance. Les histoires pourraient se lire séparément comme des nouvelles mais le lien qui existe entre toutes les histoires, le lecteur le découvre dès les premières pages parce qu'il sait aussitôt qu'un drame va se jouer-là sous leurs yeux, mais il n'en comprendra la véritable raison qu'à la toute fin, à 23h14 !
Bien entendu toutes ces vies ne sont pas toutes intéressantes, chacun retiendra ce qui le touche ou au contraire le choque.
J'ai retrouvé le ton particulièrement percutant et piquant de l'auteur, sa sensibilité aussi. Elle décrit des situations sans tabous, et de manière très crue, c'est bien vrai, mais parfois loufoques et même surréalistes et nous ouvre les yeux sur nos contemporains, leurs désirs les plus noirs, comme leurs rêves les plus fous, ou les plus intimes, tout cela avec une bonne dose d'humour "noir" et des revirements de situation qui ne manquent pas d'originalité.
Des animaux traversent le récit, une truie apprivoisée, un loup, un dauphin, le cheval et eux-aussi sont très présents et, par leur comportement et leur ressenti, se trouvent parfois plus "humains" que les hommes.
J'avais beaucoup aimé son premier roman dérangeant mais bouleversant "La vraie vie", présenté ici. Celui-ci je l'avoue m'a surpris, dérouté parfois, fait rire toute seule tant certaines situations sont cocasses, et noires de manière exagérée (ou pas)...les âmes humaines.
Comme pour son premier titre, les avis sont à nouveau très partagés pour ce second roman. Mais j'aime l'audace de ce jeune auteur, le côté non politiquement correct de ses propos et ses personnages déjantés et même carrément fêlés pour certains, qui pourtant nous montrent tout simplement les travers de notre société moderne.
Une "comédie" noire et grinçante à découvrir si vous aimez ce genre de lecture !
Elle (Monica] pense à sa vie, à ce qui l'a conditionnée. Sans doute sa grossesse, il y a quatre-vingt ans de ça...Elle essaie de se rappeler. Est-ce que les souvenirs peuvent survivre autant d'années ? Où finissent-ils par se réduire au récit qu'on s'en fait ? Monica ne sait plus trop. Elle se souvient qu'un gars de son village l'a violée, ça oui. A l'époque on n'appelait pas ça, comme ça, on n'en parlait pas.