Les livres et moi, mes coups de coeur, mes découvertes, mes créations ou mes voyages : intellectuels, spirituels, botaniques ou culinaires...
C'était un homme immense, avec des épaules larges, une carrure d'équarrisseur. Des mains de géant. Des mains qui auraient pu décapiter un poussin comme on décapsule une bouteille de coca. En dehors de la chasse, mon père avait deux passions dans la vie : la télé et le whisky.
D'habitude les frères et sœurs, ça se dispute, ça se jalouse, ça crie, ça chouine, ça s'étripe. Nous pas. Gilles, je l'aimais d'une tendresse de mère. Je le guidais, je lui expliquais tout ce que je savais, c'était ma mission de grande sœur. La forme d'amour la plus pure qui puisse exister. Un amour qui n'attend rien en retour. Un amour indestructible.
J'aimais la nature et sa parfaite indifférence. Sa façon d'appliquer son plan précis de survie et de reproduction, quoi qu'il puisse se passer chez moi. Mon père démolissait ma mère et les oiseaux s'en foutaient. Je trouvais ça réconfortant. Ils continuaient de gazouiller, les arbres grinçaient, le vent chantait dans les feuilles du châtaignier...
Voilà un premier roman percutant...et profondément troublant dont on ne sort pas indemne.
La narratrice, dont le lecteur ne saura jamais le nom, a 10 ans.
Sa vie quotidienne est simple. Ses parents sont pauvres et vivent dans un lotissement miteux. Elle a une imagination débordante. Elle aime lire et travaille bien à l'école. Elle est même carrément douée en mathématiques et en sciences.
Avec son frère Gilles, qui n'a que 6 ans, elle partage les jeux innocents de l'enfance et l'insouciance qui leur permet de s'évader de leur vie maussade et triste, entre une mère mutique et introvertie que l'enfant compare à une amibe, et un père chasseur de gros gibier qui a toute une pièce réservée à ses trophées de chasse, la "chambre des cadavres". Le père sème la terreur autour de lui : il est imprévisible et violent, et un rien suffit à le faire déraper.
Ce que les enfants aiment par-dessus tout, tous les deux, c'est jouer dans le cimetière de voitures proche et de là, attendre tous les soirs, la venue du marchand de glace.
Un jour, le vendeur est victime d'un terrible accident devant eux, les traumatisant à jamais. Rien ne pourra être comme avant pour eux deux...
Personne ne les aide à mettre des mots sur ce terrible instant, et Gilles ne s'en remettra jamais, il ne rira plus, et son beau regard perdra tout son éclat.
Alors du haut de ses 10 ans, elle imagine que si elle fabrique une machine à remonter le temps, elle pourra peut-être changer le cours de son destin, rendre le sourire à son frère...
Elle se met à travailler de plus belle, espérant que des adultes vont l'aider à réaliser son rêve.
Je ne peux vous en raconter davantage, sans dévoiler l'histoire !
C'est un roman bouleversant dans lequel la violence et le cynisme côtoient l'insouciance de l'enfance. L'écriture est simple, poétique et toute en finesse.
Le roman commence tout en douceur, mais peu à peu le lecteur plonge dans le sordide, et le suspense monte crescendo pour devenir quasiment insoutenable.
Impossible pour le lecteur de lâcher ce livre, tant qu'il ne connaîtra pas la fin.
Les enfants sont terriblement attachants, et le lecteur ne peut qu'être touché par la quête de cette petite fille et l'amour inconditionnel qu'elle porte à son petit frère...
Un roman à découvrir absolument dès 15 ans, qui a bien mérité ses nombreux prix littéraires.
Prix du Roman FNAC 2018 / Prix Renaudot des Lycéens 2018 / Prix Première Plume 2018
Le rire de Gilles pouvait guérir toutes les blessures...
Quand je voyais mon père pleurer, je me disais que ce petit garçon-là avait besoin d'un câlin. D'un parent qui le prenne dans ses bras et le berce. Mais ses parents n'étaient pas là. Et moi, j'avais peur...