Les livres et moi, mes coups de coeur, mes découvertes, mes créations ou mes voyages : intellectuels, spirituels, botaniques ou culinaires...
Il rumine et pour la première fois, se demande, si ce père inconnu sait qu'il existe lui, André Léoty, dix ans. Il se plante là, à deux pas du portail de la cour, sous le platane. La question le saisit ; il sent, avec ses jambes ses bras son ventre qu'elle est trop grande pour lui.
Le roman nous emmène d'abord dans la région natale de Paul, près d'Aurillac, dans les montagnes du Cantal, à Chanterelle exactement. Un drame a lieu dans la famille, le frère jumeau de Paul est accidentellement brûlé par sa nourrice et meurt quelques jours plus tard dans d'atroces souffrances.
Le lecteur retrouve Paul alors qu'il est adolescent et à présent, pensionnaire à Aurillac. Le jeune homme attrape une mauvaise bronchite et séduit l'infirmière chargée de le soigner. C'est Gabrielle. Elle est plus âgée que lui, elle lui apprend tout ce qu'il a besoin de savoir sur les femmes. Ils poursuivent secrètement leur relation... et, lorsqu'il quitte le lycée pour poursuivre ses études de droit, elle va le suivre à Paris.
Après quelques mois passés ensemble, durant lesquels il va s'épanouir et faire de nombreuses rencontres, Paul finit par s'éloigner d'elle, mais ce qu'il ignore alors, c'est qu'elle est enceinte.
André naîtra donc de père inconnu. Il va tout de suite encombrer Gabrielle qui décide de ne pas le garder sur Paris, mais de le confier à sa sœur, Hélène, qu'elle adore, et à Léon, son mari qui vivent à la campagne dans le Lot. Le provisoire de départ va devenir définitif. Gabrielle viendra passer ses vacances d'été et quelques jours à noël auprès d'eux.
André s'amuse beaucoup avec ses cousines, il ne se pose pas de question, il est un vrai rayon de soleil pour sa tante et son oncle. C'est un enfant facile qui apporte beaucoup de bonheur autour de lui. Sa tante et son oncle le protègent comme ils le peuvent des ragots qui vont bon train dans le village. L'absence d'un père, naître de père inconnu était dur à porter, car scandaleux pour la mère comme pour l'enfant, en ce temps-là... et pour André c'est une ombre à son bonheur.
Des années après, alors qu'André est sur le point de se marier, Gabrielle livre le nom de ce père inconnu à sa future belle-fille. André mettra des années à remonter le fil de son histoire...
Paul secoue la tête. Il ne parle à personne du pays d'en haut, de Chanterelle, des parents, de la tante ; c'est un royaume, ça ne se partage pas, il ne faut pas donner prise aux railleurs aurillacois qui sont légion, moins empaysannés que son frère et lui et prompts à mordre ou déchirer quiconque les surpasse en tout.
Il sait par cœur toutes les phrases de la tante, surtout celles qu'il ne comprend pas, et les récite parfois, en silence, mot à mot, pour s'endormir, ou pour se calmer, pour se refroidir, comme maintenant, quand il sent qu'il voudrait sauter d'un seul bond les six marches de l'escalier et se poser sur l'épaule d'Antoinette, comme une hirondelle.
Je n'avais encore jamais lu cet auteur, dont j'ai découvert par ailleurs beaucoup de chroniques sur les blogs et sur Babelio. Il était temps que je fasse connaissance avec sa plume... car ce roman est son treizième.
C'est une saga familiale qui s'étale sur trois générations.
Dès les premières pages, le lecteur est sous le charme. Son écriture est un vrai enchantement d'une grande poésie, le lecteur marche dans les pas de ce petit garçon, le frère de Paul, qui attend l'heure du petit déjeuner où il aura le droit d'embrasser sa chère nourrice...mais le drame familial fait voler la famille en éclat. Paul, le frère jumeau survivant portera ce deuil en lui toute sa vie. Et le destin l'empêchera de devenir un vrai père, car devient-on père quand on ignore que l'on a un fils ?
Les chapitres s'enchainent ensuite entre 1908 et 2008, ne suivant aucun ordre chronologique ce qui peut dérouter le lecteur, bien que la date soit signalée clairement au début de chacun. Ce n'est donc qu'en cours de lecture que les différentes pièces du puzzle se rassemblent pour former l'histoire, telle que je vous l'ai présentée aujourd'hui.
Il faut remarquer qu'au cours du roman, l'histoire familiale se centre sur André, le fils de Paul et de Gabrielle, et que le lecteur ne saura que peu de choses sur la vie de Paul finalement, sauf à la toute fin du roman. André est parfait à tous points de vue et je vous laisse le découvrir par vous-même.
J'ai aimé les personnages féminins. Si le titre évoque le fils, les femmes sont présentes par l'amour qu'elles distillent autour d'elles, leur compréhension, leur tolérance. La nourrice fautive a été tellement aimante qu'elle perdra la raison ; Gabrielle est en avance sur son temps et elle choisit de vivre libre, de s'affranchir de son éducation, tout en respectant sa sœur qu'elle aime d'un amour sincère et qui deviendra donc une mère pour son fils ; Hélène, la mère adoptive sera toujours aimante et généreuse ; Juliette l'épouse d'André, va l'aider à accepter de renouer avec son histoire...toutes sont différentes mais très présentes.
L'histoire est émouvante, le lecteur se laisse porter par le rythme particulièrement paisible du récit, et comprend peu à peu les souffrances tues et les difficultés pour chacun de vivre après ce drame.
Ne vous attendez pas à de grands bouleversements, tout est dans les non-dits, les secrets qui sont mis à jour peu à peu, la vie quotidienne dans nos campagnes, qui s'écoule avec ses joies et ses peines, ses fêtes et ses jours ordinaires, et cela malgré le poids des silences familiaux.
Le style dépouillé mais tellement imagé de l'auteur nous transporte. Chaque mot est pesé, concis, explicite mais ne vous y trompez pas, si le roman ne fait que 175 pages, c'est un concentré d'émotion et une petite pépite littéraire et il est finalement plutôt joyeux.
Ce roman a obtenu le Prix Renaudot en 2020.
Vous pouvez aller lire les critiques d'Alex, ICI, d'Eve, ICI, de Kimcat ICI et de Zazy, ICI...toutes l'ont aimé elles-aussi.
Sa mère est partie, le train l'a emportée. Il préfère qu'elle ne soit plus là, mais il sent qu'il ne faut pas le dire, ni le laisser paraître, même si on ne cache rien à Hélène. Lui, André, ne peut rien cacher à Hélène qui voit à travers sa peau, à l'intérieur des os, dans les plis emmêlés de son cerveau. Hélène voit, mais elle ne gronde pas, elle ne juge pas, ne fronce pas le sourcil, n'élève pas le ton, ne pince pas la bouche. Elle embrasse, elle prend sur les genoux...