Les livres et moi, mes coups de coeur, mes découvertes, mes créations ou mes voyages : intellectuels, spirituels, botaniques ou culinaires...
Dans mon rêve, nous sommes libres sur le fleuve...
Le soleil chauffe, les bruants chanteurs gazouillent, les notes de basse jaillissent du fleuve. Une nuée de pélicans en forme de grosse flèche pointant au nord, nous survole, ce qui veut dire que nous avons encore tout l'été devant nous. Il n'y a pas un seul bateau à aubes, pas une seule péniche, pas un seul remorqueur ni une barque à l'horizon. Le fleuve est à nous.
Juste à nous.
Ils sont parfaits, à tous points de vue, répète-t-elle [Georgia Tann] en boucle aux invités. Des spécimens au physique merveilleux et aussi à l'esprit avancé pour leur âge. Nombre d'entre eux viennent de parents doués pour la musique et les arts plastiques. Ce sont des ardoises vierges qui attendent juste qu'on les remplisse. Ils pourront devenir tout ce que vous voulez.
Ce roman a été élu le meilleur livre de l'année 2017 par "The New York Times". C'est rare que je me jette sur les best-sellers car j'ai remarqué que je suis souvent déçue par les livres trop médiatisés. Mais je voulais lire celui-ci depuis longtemps, car il est écrit à partir d'une histoire vraie qui s'est réellement déroulée, des années 20 aux années 50.
L'histoire se passe de nos jours et dans les années 30.
De nos jours, en Caroline du Sud, Avery Stafford est revenue auprès de sa famille pour soutenir son père, sénateur de la région, très diminué par son cancer, en vue des prochaines élections sénatoriales. Il désire la mettre en avant pour lui laisser sa place, si le pire devait arriver. De plus, un scandale vient d'entacher sa réputation, en dévoilant les conditions de vie dans certaines des maisons de retraite de la région.
Alors que tous deux sont en train de visiter l'une d'entre elles, une des résidentes s'approche d'Avery et la retient un instant par le poignet, tout en lui tenant des propos mystérieux et très troublants.
Avery, qui est une brillante avocate, comprend tout de suite que May Weathers, cette vieille femme n'est pas folle, simplement un peu perdue et qu'apparemment elle lui a rappelé quelqu'un. Cependant personne dans la famille ne semble la connaître de nom, et sa propre grand-mère, Judy est atteinte de la maladie d'Alzheimer et ne se souvient de rien.
C'est alors qu'elle découvre que la vielle femme, May, lui a volé son bracelet. Elle décide d'aller le récupérer elle-même, et de la remercier en direct. En fait elle pense que la vieille femme est peut-être maltraitée mais au fond, elle veut surtout en apprendre davantage sur elle et sur sa vie. Près du lit, Avery découvre une photo ancienne de deux jeunes mariés, et bizarrement, la femme ressemble comme deux gouttes d'eau à Judy.
En parallèle, dans les années 30, à Memphis, les cinq enfants Foss sont enlevés alors que le père est parti conduire la mère à l'hôpital. Celle-ci va au plus mal car la naissance des petits derniers, des jumeaux, se passe mal et la femme venue pour aider les enfants à naître, a peur de la voir mourir sous ses yeux.
Rill, l'aînée âgée de 12 ans, a la charge de ses trois sœurs, Camellia,10 ans, Lark, 6 ans, et Fern, 4 ans ainsi que du petit Gabion qui marche à peine.
Ils sont emmenés dans un orphelinat de la région tenue par la terrible et machiavélique Georgia Tann. Les voilà bien loin de "l'Arcadie", la péniche familiale, et du Mississipi, leur fleuve adoré. Rill comprend très vite que la fratrie va être séparée et que leurs parents ne les retrouveront jamais.
Pour tout le monde, ils deviennent à présent May, Iris, Bonnie, Beth et Robby. Dans cet orphelinat, certains enfants sont adoptés, d'autres gênants ou pas assez parfaits, disparaissent mystérieusement. Tous sont malnutris, maltraités...et terrifiés.
Vous vous en doutez, les deux histoires se rejoignent, et il est fort possible qu'Avery découvre des éléments de son passé dont elle ne se serait pas doutée un seul instant, et qui vont influencer désormais son avenir.
Le lecteur le sait : il n'y a pas de véritable hasard dans la vie !
- Elle est belle comme une reine, pas vrai, ta maman ? demande Briny. Et du coup, tu es quoi, toi ?
La princesse Rill du royaume d'Arcadie, pardi !
Pour Avery,
Parce que tu es celle qui rêve des rêves nouveaux, qui ouvre de nouvelles voies.
Que les libellules t'emmènent dans des lieux qui dépassent ton imagination.
Mamie Judy
Je le reconnais, voilà un roman que j'ai lu encore une fois très vite tant j'ai voulu en savoir plus sur cette histoire inspirée de faits réels. L'écriture est simple sans fioriture, le lecteur devine assez vite le lien entre les principaux personnages sans en prévoir cependant les détails. Le fait que le récit alterne deux périodes différentes, crée un certain suspense et donne du rythme à la lecture.
Les détails sur la vie d'Avery, dans ce milieu aisé, ne font pas partie de ce qui m'a le plus intéressé, mais je reconnais m'être attachée au fur et à mesure de ma lecture, à cette jeune avocate plutôt superficielle, toujours en représentation vue que c'est la fille du sénateur, mais finalement intègre, curieuse de tout, et surtout très proche de sa grand-mère et toujours à la recherche de la vérité, y compris dans sa propre vie.
Par contre, le fait qu'elle soit complètement étouffée par sa famille et leurs ambitions me l'a rendu moins sympathique au début du roman. J'ai donc un avis mitigé sur elle. Les découvertes qu'elle va faire, vont cependant la faire évoluer en mieux, et comprendre qu'elle se trompe sur sa vie et doit suivre son instinct plutôt que les apparences, si elle veut un jour être heureuse. Elle découvre qu'elle ressemble beaucoup à sa propre grand-mère et que ce n'est pas pour rien qu'elle veut tant en savoir plus sur son passé.
C'est vrai aussi que j'aime bien lire de temps en temps des romans qui abordent les secrets de famille, ou la quête d'identité. Je suis persuadée que toutes ont des choses à cacher de leur passé, et que les générations futures sont empreintes de ces secrets dont elles n'ont pas forcément connaissance.
La vie de Rill et de sa fratrie, enfin de ceux qu'on arrive à suivre, m'a par contre tout à fait passionnée. Les enfants, tous différents, sont très attachants et la pugnacité de la petite Rill, son combat quotidien pour éviter que la fratrie ne soit séparée, puis le récit de sa vie jusqu'à aujourd'hui m'a beaucoup touchée. D'ailleurs, j'aurai trouvé beaucoup plus intéressant que l'histoire soit racontée par Rill elle-même, donc de son point de vue à elle, car j'ai été très frustrée de ne pas en apprendre davantage sur sa vie entre ses années d'orphelinat et le temps présent, l'histoire s'arrêtant en effet à son adoption.
La Société des foyers d'accueil du Tennessee a réellement existé. Georgia Tann dont on parle dans le roman a été responsable, des années 20 jusque dans les années 50, de l'enlèvement de milliers d'enfants, dont certains en effet étaient orphelins, mais d'autres avaient des parents qui les aimaient et s'en occupaient. Elle a aussi subtilisé grâce à son réseau des nourrissons à peine nés, qui ont été déclarés morts-nés à leurs familles, profitant ainsi du désarroi des jeunes parents.
Le drame est qu'elle était soutenue par des gens haut-placés, des juges, des avocats, des médecins, des politiques, persuadés qu'elle avait beaucoup de mérite de s'occuper de ces enfants "abandonnés". Ils étaient les premiers à faciliter les procédures d'adoption.
Tous ces gens qui avaient besoin de fonder une famille et ne le pouvaient pas, savaient ou se doutaient qu'il s'agissait d'un véritable trafic d'enfants puisqu'ils payaient des sommes considérables pour en profiter. Les enfants étaient en effet vendus très chers toujours aux plus fortunés d'entre eux. Ce trafic qui a duré près de 30 ans, était donc cautionné par les élites du pays. Un scandale dont je n'avais jamais entendu parler, et qui a détruit de nombreuses familles.
Ce roman, à découvrir donc, nous donne beaucoup de détails sur les rouages de l'opération.
"Pour une fois", (il faut bien que je la taquine un peu), Cathyrose l'a lu avant moi. Vous pouvez aller lire son avis ICI.
La vie n'est guère différente du cinéma. Chaque scène a sa propre musique, et la musique est créée pour cette scène précise, elle s'y entrelace d'une façon qui nous échappe...Que nous aimions de tout notre coeur la mélodie d'un jour passé ou que nous imaginions la chanson d'un jour à venir, nous devons danser sur la musique du présent, sans quoi nous serons toujours à contretemps, à chanceler dans un écho qui ne correspond pas à l'ici et le maintenant.
Je ne doute pas qu'il y ait eu parmi eux [les parents adoptifs] des gens bien intentionnés, et que certains enfants aient vraiment eu besoin d'un nouveau foyer, mais d'autres, surtout ceux qui savaient que des sommes exorbitantes étaient lâchées en échange de fils et de filles sur demande, devaient avoir une idée de ce qui se passait. Ils partaient simplement du principe que l'argent, le pouvoir et leur statut social leur en donnaient le droit.
Peu importe les chemins empruntés, le cœur se souvient toujours d'où l'on vient.
S'il y a une leçon prédominante à retenir de l'histoire des enfants Foss et du scandale réel de la Société des foyers d'accueil du Tennessee, c'est que les bébés et les enfants, quel que soit le recoin du monde où ils naissent, ne sont pas des produits, des objets ou des ardoises vierges, comme Georgia Tann aimait à présenter ses pupilles ; ce sont des êtres humains, avec leur propre histoire, leurs propres besoins, leurs propres espoirs et leurs propres rêves.