Les livres et moi, mes coups de coeur, mes découvertes, mes créations ou mes voyages : intellectuels, spirituels, botaniques ou culinaires...
Les parents jetèrent un dernier regard à ce qu'était leur existence. Désormais tout ce qu'ils s'apprêtaient à vivre les ferait souffrir, et tout ce qu'ils avaient vécu avant aussi, tant la nostalgie de l'insouciance peut rendre fou.
Voilà un livre que je voulais lire dès sa sortie et de plus, je voulais faire connaissance avec cet auteur, dont j'avais lu beaucoup de critiques positives pour ses autres titres.
J'ai fini par me l'offrir puisque les listes d'attente à la médiathèque étaient démesurément longues, et que Noël était encore loin !
Entre-temps, ce roman a obtenu le Prix Landernau des Lecteurs, le Prix Femina et le Prix Goncourt des Lycéens 2021, des prix bien mérités.
Je préviens mes lecteurs, c'est encore une fois une histoire triste mais tellement émouvante et racontée de manière originale et poétique, qu'on oublie "presque", au fil des pages, l'histoire en elle-même, pour ne se plonger que dans les ressentis des différents protagonistes, qui vous allez le voir, sont complexes.
Au cœur des Cévennes, dans un endroit un peu perdu qui ressemble au paradis, un enfant vient de naître. Un moment de pur bonheur pour cette famille unie et aimante, un pur ravissement pour les parents, mais aussi pour l'ainé et la cadette de la famille.
Il est beau et joufflu, il a de magnifiques yeux noirs et des cheveux aussi noirs que ceux de son frère ainé à qui il ressemble beaucoup.
Mais très vite la mère se rend compte que cet enfant ne sera jamais comme les autres. Il souffre d'une maladie génétique rare, invalidante. Il est aveugle (la mère le réalise en lui passant une orange devant les yeux), ne marchera jamais et restera allongé, ne parlera pas mais émettra des sons car il entend les bruits autour de lui. Il restera un bébé pour toujours même quand il grandira. Le médecin ne lui donne pas plus de trois ans à vivre, il restera parmi les siens presque huit ans...
"A cause" de lui, de sa différence, la vie de la famille bascule et les enfants ne peuvent plus vivre leur enfance comme avant.
Malgré tout, il a sa place dans cette famille, dans la fratrie, chacun faisant comme il le peut pour trouver une manière de communiquer avec lui, de le rendre heureux et...peut-être, de l'aimer.
Au sein de cette nature magnifique, au cœur des montagnes protectrices, tout près de la rivière et du petit pont, la famille continue de vivre.
Il leur faut s'adapter...
On ne saura rien des courants qui, à cet instant, traversent le cœur d'une mère. Nous, les pierres rousses de la cour, qui faisons ce récit, nous nous sommes attachées aux enfants. C'est eux que nous souhaitons raconter. Enchâssées dans le mur, nous surplombons leurs vies. Depuis des millénaires, nous sommes les témoins. Les enfants sont toujours les oubliés d'une histoire...
Nous leur devons ce récit_chaque adulte devrait se souvenir qu'il est redevable envers l'enfant qu'il fut.
Toute la force de ce roman choral est dans la construction du récit (en trois parties), et dans la description du cadre où il se déroule, car la nature est omniprésente avec sa sérénité et sa richesse, mais aussi sa violence propre capable de tout dévaster. Les personnages ne sont jamais nommés, l'auteur les appelant les parents, la grand-mère, l'aîné, la cadette, l'enfant...
Ce sont les pierres de la maison qui témoignent de l'histoire, ce qu'elles voient, ce qu'elles entendent, ce qu'elles comprennent qui n'est pas dit. Elles ne se contentent pas d'observer, elles vivent les événements, les restituent avec tendresse, pudeur, émotion.
Dans la première partie, les pierres observent l'ainé de la famille. Très vite, alors qu'il n'a que 10 ans, il va laisser tomber sa vie en dehors de l'école, et les jeux avec sa sœur, pour ne se consacrer qu'entièrement à l'enfant, lui parler, lui faire sentir les odeurs des fleurs, de l'herbe, entendre la rivière, les bruits de la forêt et, joue contre joue, fusionner avec lui pour chercher à mieux le comprendre. Il va devenir à son insu, un ainé protecteur, attentionné mais ayant toujours peur de tout, et se sentant responsable de tout ce qui peut advenir à l'enfant. Il n'a pas peur de transporter son frère au-dehors, de changer les couches, de le baigner, de bien tenir sa tête. Il s'y perdra...mais finalement sans l'avoir voulu au départ, il aidera beaucoup ses parents.
Les pierres forment une petite plage. Il dépose le corps avec délicatesse, la main contre sa nuque. Il cale sa taille, déplace un peu son menton pour qu'il reste à l'ombre d'un immense sapin. L'enfant soupire d'aise. L'aîné frotte les aiguilles qui libèrent un parfum de citronnelle et les lui passe sous le nez...
La famille acheta un oiseau pour que l'enfant entende les piaillements. On prit l'habitude d'allumer la radio. De parler fort. D'ouvrir les fenêtres. De faire entrer les sons de la montagne afin que l'enfant ne se sente pas seul. La maison résonna du bruit des cascades, des cloches des moutons, des bêlements, d'aboiements de chiens, de cris d'oiseaux, de tonnerres et de cigales. L'aîné, lui, ne s'attardait pas à la sortie du collège. Il courait vers son car...
Dans la seconde partie, c'est le ressenti de la cadette que le lecteur découvre. Sa colère, son rejet de ce petit frère différent et qui lui vole son aîné et ses jeux, son dégoût qui l'empêche de s'approcher et de s'occuper de lui, de l'accepter. De plus, ses parents ne sont plus les mêmes et elle le juge responsable de ce gâchis. Elle va donc passer par une phase de colère et de provocation puis devenir plus forte et changer de comportement.
Elle va alors résister à la tristesse, faire comme si tout était normal, rester gaie et vivante au milieu de tout ce chagrin masqué, sans savoir que si elle se fait du mal à elle-même, car elle culpabilise beaucoup de son ressenti, elle sauve à quelque part la famille...et l'empêche totalement de sombrer. Sa grand-mère, admirable et que j'ai beaucoup aimé, l'aide beaucoup en lui permettant de mener une vie normale comme les autres filles de son âge.
Elle se souvenait du crissement rageur des cigales, la dégringolade du torrent, le rire pouffé des arbres secoués de vent, et pourtant, de cette musique d'été, ne subsistait que la tête baissée de sa mère, une orange à la main.
Elle avait compris que cet instant-là était celui de la fracture.
Elle aurait donné n'importe quoi pour un peu de banal. Pour se fondre dans la masse des gens standard, deux parents, trois enfants, une maison en montagne. Elle rêvait de matins chantonnants et de frère ainé disponible, de musique dans le salon, de copines le vendredi soir. De familles ordinaires, délestées, à peine conscientes de ce privilège.
Nous ne la jugeâmes pas_ qui étions-nous ? En revanche, nous reconnûmes cette vieille logique absurde, propre aux humains et aux animaux, à laquelle heureusement nous échappons : la fragilité engendre la brutalité, comme si le vivant souhaitait punir ce qui ne l'est pas assez.
Enfin dans la troisième partie, le lecteur découvre le ressenti du petit dernier, qui arrive bien après la disparition de l'enfant, et qui devra apprivoiser ce petit frère qu'il ne connaitra jamais, mais avec qui il lui faudra vivre aussi, tout en cherchant à réunir toute la famille et à comprendre ce que ceux qu'il aime ont vécu avant lui. Lui aussi culpabilise à sa façon...
Sa sœur était rapide et drôle, emplie de projets. Elle embrassait la vie comme si la vie lui avait manqué...
Un livre magnifique, poignant et bouleversant qui parle du handicap et de la différence à travers les yeux de la fratrie. Les parents apparaissent au second plan, mais rien de leurs difficultés ne nous est épargné pour autant, bien que ce ne soit pas le vif du sujet.
J'ai aimé la plume délicate, poétique et pudique de l'auteur...une belle découverte et pour moi aussi, un coup de cœur.
D'autres avis comme celui de Eve ICI, ou d'Alex ICI.
Se lier, c'est trop dangereux, pense-t-il. Les gens qu'on aime peuvent disparaître si facilement...