Les livres et moi, mes coups de coeur, mes découvertes, mes créations ou mes voyages : intellectuels, spirituels, botaniques ou culinaires...
Il y avait l'avant et l'après.
L'avant. Pieds nus courant sur l'herbe. L'odeur de terre mouillée après la pluie. Les boutons d'or qu'elle cueillait. Pour sa mère ?
...Il y avait des animaux. Elle en est sûre...C'est tout ce qui reste. Rien ne dit que ce soit de vrais souvenirs. Cette ferme c'est peut-être celle de ses livres d'enfant.
L'après : la grosse villa rose de Kichinev, la capitale, où elle s'est retrouvée d'un jour à l'autre avec sa grand-mère, chez son oncle et sa tante. Des gens de la ville qu'elle n'avait jamais vu à la ferme.
Prix Goncourt des Lycéens 2008. Une relecture pour moi.
Le lecteur se trouve, dès les premières pages, plongé dans un drame qui permet de connaître certains éléments de l'histoire, que bien entendu je ne vais pas vous décrire en détails. Puis, il repart en arrière, et se retrouve dans les années 40.
Elena est alors une toute petite fille qui vit heureuse dans une ferme de Bessarabie, entourée d'animaux, de Bunica, sa grand-mère, et de ses parents. Mais sa mère a un accident mortel. La petite Elena va alors partir vivre chez son oncle et sa tante, des personnes qu'elle ne connaissait pas du tout. Peu après, la famille est obligée de fuir les Russes qui envahissent la Bessarabie pour s'installer en Roumanie. Elena n'a que cinq ans. Elle trouve auprès de sa grand-mère la stabilité dont elle a besoin. Après ces années perturbées, Elena va se faire des amies, grandir et faire des projets d'avenir.
Devenue jeune femme, elle va tomber amoureuse de Jacob, d'origine juive. Mais dans ce pays communiste et raciste, gouverné par Ceaucescu, épouser un juif n'est pas concevable, et son oncle et sa tante, devenus ses parents adoptifs, s'y opposent fermement, lui demandant dans un premier temps, de ne plus le revoir.
Néanmoins, Elena et Jacob se revoient en cachette, puis se marient et quittent la Roumanie. Elena doit alors démissionner de son travail de physicienne nucléaire pour rester au foyer. Ils émigrent tout d'abord en Israël, grâce à l'aide de la famille de Jacob, puis aux Etats-Unis où ils arrivent à refaire leur vie et à rompre avec le passé. Elena qui déteste son prénom, (qui était celui de la femme de Ceaucescu) devient Helen. Ils prennent la nationalité américaine. L'avenir leur appartient... Helen se reconvertit dans la programmation informatique.
Vingt ans après, alors qu'Helen a une cinquantaine d'années, leur fils est devenu un jeune homme magnifique, à qui ses parents souhaitent un brillant avenir dans ce pays où tout semble possible. Mais voilà qu'Alexandru rencontre Marie qui est française, et qui ne trouve pas chez ses beaux-parents, l'accueil qu'elle espérait.
Helen, qui au départ n'aime pas la jeune femme, va être bien obligée de faire amende honorable et d'accepter que tout deux se marient, et que leur vie ne ressemble pas forcément à ce qu'elle avait espéré, ou imaginé, pour son fils tant aimé.
Difficile pour elle d'accepter qu'à son tour, il désire s'affranchir de l'avis de ses parents, comme elle-même l'avait fait, et mener la vie qu'il désire, sans tenir compte de leurs rêves.
Au départ, l'opposition entre les deux femmes est terrible. On sent une réelle rivalité entre elles deux. Helen trouve Marie égoïste, et peu encline à s'occuper "comme il faut", c'est-à-dire comme une mère le ferait, donc avec affection et attention, d'Alexandru. Elle repart en France fréquemment pour passer du temps avec sa propre famille et ses amis, elle ne se soucie pas que durant ce temps-là son mari trime pour faire des économies. Mais peu à peu, toutes deux vont tenter de se rapprocher, d'autant plus qu'Helen doit faire face à la maladie de Jacob et à beaucoup de solitude. Et puis la petite Camille arrive...
Elle comprit à cet instant que ses parents n'avaient aucune idée de ce qu'était l'amour, puisqu'ils ne pouvaient concevoir d'autres raisons à son désir d'épouser Jacob qu'un acte physique portant à conséquence. Elle sentit plus fort que jamais que ces gens n'étaient pas ses parents...
A chaque arrêt de bus, elle vit des jeunes hommes et des jeunes filles en uniforme militaire. Elle vit aussi l'avenir avec une clarté perçante. Depuis son établissement, Israël était en guerre. Elle avait appris au cours d'hébreu l'histoire du pays, une histoire qui se conjuguait encore au présent, comme en témoignaient tous les jeunes militaires armés de mitraillettes...
Ce roman est difficile à résumer car il retrace plus de cinquante ans de la vie d'Eléna, de son enfance à son veuvage. Les chapitres alternent entre présent et passé, mais le lecteur sait toujours où il se trouve, et à quelle époque.
Helen et Jacob forme un couple superbe et c'est leur histoire d'amour qui nous est contée. La complicité qui les unit, le fait qu'ils aient eu à se battre pour leur propre bonheur, explique aussi, l'adoration qu'ils éprouvent pour leur fils unique, en qui ils ont placé tous leurs espoirs d'une vie facile et aisée.
La confrontation entre deux éducations, deux cultures différentes, deux parcours de vie est très bien décrite avec beaucoup de justesse. Forcément Alexandru porte en lui tout le passé de sa famille, et ses difficultés, alors que Marie incarne la vie facile et aisée.
C'est un livre qui retrace tout un pan de l'Histoire de la Roumanie et plus généralement, de l'histoire de l'Europe, la Seconde guerre mondiale, la montée du nazisme, la mort de Staline en 1953... il nous parle aussi de l'invasion de la Tchécoslovaquie par les Russes, et de la chute des Ceausescu. Enfin mai 68 est évoqué ainsi que les problèmes au Proche-Orient et les événements du 11 septembre...
Mais ce n'est pas un roman historique pour autant, les évènements font partie de la trame de fond, ils se mêlent à l'intime.
Le thème principal du roman est celui de l'héritage familial. Est-on condamné à reproduire les épreuves que l'on a vécu enfant, à faire vivre à notre entourage, les préjugés et les actes de nos parents ?
Ainsi Helen s'est tellement battue pour survivre, fuir en Israël puis en Amérique qu'elle n'arrive pas à accepter que Marie, par le simple fait d'arriver, gâche tout l'avenir de son fils. Elle fait de la résistance.
Marie a une thèse et Helen a honte que son fils renonce à finaliser la sienne. Marie travaille comme traductrice à la maison, mais c'est lui qui doit se charger des tâches ménagères le soir en rentrant de son propre travail. De plus, à tout instant, ils risquent de quitter l'Amérique pour la France, où croit-elle, il ne pourra pas avoir la même considération puisqu'il ne parlera pas la langue.
Le roman nous parle aussi des difficultés de l'intégration sociale, vécues par de nombreux immigrés, des aprioris négatifs que l'on peut avoir sur les autres parce qu'ils sont différents de nous, ou que nous ne les comprenons pas. Ainsi Helen se comporte comme ses propres parents l'ont fait avant elle, chacun restant prisonnier de son vécu, et incapable d'un comportement rationnel, ou de pensées réalistes, face aux peurs déclenchées par des événements, pourtant bien différents.
Le roman est bâti de manière originale puisque le lecteur va suivre Helen durant quatre parties distinctes (Fille, Amante, Epouse et mère, et enfin Veuve). Que ce soit durant son enfance dans les années 40 à 1975, puis de la fin des années 80 aux années 2000, alors qu'elle est à présent installée avec sa famille aux Etats-Unis, tous les évènements sont suggérés plutôt que décrits, le récit n'est pas linéaire et le lecteur apprend certains détails sur leur vie, en décalage, plus tard dans le déroulé de l'histoire. Pour la seconde période, les voix des deux femmes alternent pour nous donner chacune, leur point de vue.
L'important est mis sur les personnages féminins et leurs différences de comportement (ou au contraire leurs ressemblances) à chaque époque de leur vie, quelle que soit l'époque ou le pays où elles vivent.
Il me reste après la lecture un sentiment d'admiration pour ces femmes qui ont su résister aux difficultés de leur vie pour bâtir solidement une famille, tout en conservant leur indépendance et leur libre arbitre. Même Camille pour son jeune âge montre beaucoup de maturité et de volonté pour faire valoir ses droits.
Une relecture que j'ai faite avec grand plaisir et qui me donne envie de mieux connaître l'œuvre de l'auteur, que j'ai un peu délaissée depuis quelques années. D'ailleurs, je n'avais encore jamais présenté de romans de cet auteur sur ce blog créé pourtant en 2012. Il était temps !
...elle savait déjà qu'elle ne retournerait jamais en Roumanie et n'inviterait plus ses parents aux Etats-Unis. Elle les embrassait pour la dernière fois. Elle ne laisserait plus personne menacer l'équilibre du monde qu'elle avait construit avec Jacob de ses mains.