Les livres et moi, mes coups de coeur, mes découvertes, mes créations ou mes voyages : intellectuels, spirituels, botaniques ou culinaires...
Il y a une émotion des petits chemins perdus que l'on emprunte une fois l'an pour écraser quelques herbes et faire remonter les pierres à la surface...
S'il y a des hommes par ici, c'est que la montagne les tolère. Momentanément.
Il fallait venir au cimetière, là, lové en contrebas du village, pour prendre son pouls et lire l'état civil.
A Ségurian, il y avait quatre cent âmes qui vivaient et des milliers qui reposaient. On se dit parfois que les vivants ne font pas le poids.
Après avoir travaillé quelques années en Afrique pour une ONG, Guillaume Levasseur décide de poser ses valises à Ségurian, un petit village (fictif) du sud de la France, entre mer et montagne, où ses parents ont décidé de s'installer pour leur retraite. Un peu idéaliste mais téméraire, il veut bâtir une bergerie et y élever des moutons.
Mais dans ce village de montagne où les traditions régissent la vie quotidienne des habitants depuis des générations, les chasseurs ne voient pas son installation d'un bon œil, en particulier Joseph Anfosso, maçon de son état qui possède avec son frère l'unique entreprise du village et a donc beaucoup d'influence ici, car pourvoyeur de travail. De plus, la famille Anfosso a toujours vécu là car c'est une des plus anciennes du village.
Même si le berger a acheté sa terre et si la pâture est autorisée sur les terres communales, ils étaient là avant et comptent bien le faire valoir. Là, ils ont toujours chassé le sanglier et ne veulent en rien changer leurs habitudes.
De désaccords en représailles, au fil des années marquées dans le roman par la fête annuelle de la Saint Barthélémy, la tension monte et, ce qui aurait pu s'arranger à l'amiable, devient une véritable obsession, chacun en faisant son affaire personnelle, ce qui ne manque pas d'exacerber l'orgueil des hommes, d'obscurcir leurs pensées, jusqu'à croire que c'est de la survie du village entier qu'il s'agit...
Joseph était fier de lui. Il avait parlé comme il le fallait. Il avait trouvé la bonne distance entre l'affirmation du droit et la menace. Une sorte d'entre-deux subtil qui l'étonna lui-même. Il aurait aimé se retourner pour voir le visage des collègues, récolter les lauriers qu'il méritait, échanger une sorte de "Vous avez vu ? - Bien joué, Joseph", mais il devait soutenir le regard du berger. Il était sans conteste le chef des chasseurs.
Sauf que le berger ne baissait pas les yeux...
Au village, Joseph se moquait un peu du berger quand le berger n'était pas là, mais il lui fallait cacher en même temps une certaine admiration. Au fond de lui, il reconnaissait des valeurs communes - le travail, l'abnégation, la détermination - et subodorait tout à la fois d'autres qualités qu'il craignait ne pas avoir.
Le berger dérangeait l'ordre des choses. Il redistribuait les cartes. Si on ne peut plus dire que les jeunes sont fainéants, alors où va-t-on ?
Ce livre emprunté en médiathèque au hasard, simplement attirée par le titre, est une petite pépite pour qui aime la montagne et les lieux retirés du monde.
Il ne s'agit pas seulement d'une "histoire de moutons, de chiens et de loups", comme la présente avec humour son auteur, mais d'un roman qui nous dévoile le fond des âmes, car il nous parle de la nature humaine. Le lecteur est confronté à la bêtise et à la folie des hommes.
C'est l'histoire de deux mondes qui s'affrontent malgré leur ressemblance et des valeurs communes, et cela jusqu'au drame.
Dans ce village refermé sur lui-même, les hommes sont rudes et taiseux. Ils tiennent à l'ordre établi, c'est rassurant. La vie est rythmée par le travail, les fêtes, les naissances, les deuils.
La peur de l'étranger (celui qui n'est pas d'ici et n'était pas là pour connaître l'histoire du village) est bien présente, elle devient hostilité, puis violence. Ceux qui voudraient parler, prévenir ou même s'opposer, ne le font pas, même si le roman nous fait part de leur ressenti.
Le lecteur entre facilement dans l'ambiance particulière de ce village retiré du monde, dans lequel même le maire et les gendarmes n'arrivent pas à calmer les esprits, et à faire respecter la loi.
C'est un roman noir, écrit dans une écriture simple, mais terriblement évocatrice et souvent poétique, en particulier quand l'auteur décrit la beauté des montagnes. Heureusement, l'auteur sait mettre un peu d'humour... entre les lignes.
Les personnages sont remarquablement vivants, et l'auteur prend du plaisir à les mettre en scène, car bien entendu, le lecteur sent venir la tragédie, elle est inéluctable...c'est la fatalité et d'ailleurs le "fou" du village la prédit lui-aussi.
Une belle découverte !
On est une race, un bois. La mesure se prend dans le ventre, on ne trouverait pas vraiment les mots pour l'expliquer. Çà se sent, voilà tout. C'est qu'on vient d'un pays à l'intérieur d'un autre pays comme la langue chante son accent local, son vocabulaire, une autre langue au fond de la langue, d'autres hommes parmi les hommes. C'est la terre qui décide ici, c'est elle qui trace les mêmes lignes sur les fronts...
L'histoire du monde pourrait commencer ici. On pourrait être en train de se promener sur des chemins inexplorés et bordés d'oubli, profiter de la virginité du matin pour faire le point sur sa vie et repartir de zéro, fonder un nouvel ordre, une nouvelle république, envisager le futur dans la certitude des pierres et la sérénité des herbes, retrouver les fondamentaux, jouir tout simplement d'être au monde avec cette illusion du premier homme, savourer le sentiment que le monde vous appartient.