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Les livres et moi, mes coups de coeur, mes découvertes, mes créations ou mes voyages : intellectuels, spirituels, botaniques ou culinaires...

Le Moabi cinéma / Blick Bassy

Gallimard Collection Continents noirs, 2016

Gallimard Collection Continents noirs, 2016

Mon père, très strict, ne tolérait aucune contradiction, surtout venant des enfants. Il pensait que chaque homme devait être éduqué comme si le monde repartait de zéro.

Boum Bidoum, dit "Mingri" qui signifie "petit homme", ne fait pas partie des enfants défavorisés de la ville de Yaoundé au Cameroun. Son père est devenu commissaire de police, depuis l'indépendance du pays. Catholique pratiquant, mais bigame, il a 16 enfants à nourrir. Mingri fait donc partie d'une grande famille !

Ils vivent tous ensemble dans un imposant domaine aux règles très strictes. Ainsi, les enfants sont réveillés à l'aube, quel que soit leur âge, et doivent réciter des prières sans jamais déroger à cette règle : le père tient à ce que les enfants soient bien élevés, suivent sérieusement l'école et s'adonnent avec sérieux à leur travail, quand ils en ont un. Le jeune Mingri, jugé trop rebelle et indépendant, va d'ailleurs être envoyé au "bagne", chez son oncle, qui se démènera pour le remettre dans le droit chemin.

Mais, ce sont surtout les femmes et le grand-père qui veillent sur la maisonnée car le père est trop occupé. 

Mingri vit cependant une jeunesse heureuse. Il adore la musique et fait partie d'une bande de cinq copains, presque tous bacheliers, à la fois attachants et charismatiques. Le lecteur s'amuse de leurs frasques, de leurs excès, de leur langage. La bande a choisi comme quartier général, le bar de Molo qui devient rapidement leur ami. 

Ce qu'ils veulent par-dessus tout, c'est partir en Europe et donc obtenir leur visa. Leur famille les soutient, persuadée que l'avenir est là-bas.

Mais un jour, alors que les jeunes jouent au foot sous l'œil autoritaire de leur "chef", le ballon s'égare dans la forêt et, en le recherchant, Mingri découvre un arbre étrange, comme frappé de magie, qui émet une lumière vive. Il décide d'y retourner les jours suivants pour éclaircir ce mystère ! 

Car mystère il y a, ou sorcellerie...

Cet arbre lumineux donne à voir, à qui ose s'approcher car il est bien gardé par deux militaires armés, une vision du monde européen que personne ne connait. 

C'est le Moabi Cinéma !

Les années s'écoulant, scotchés comme nous étions chez Molo le barman, nous assistions maintenant avec plus de rage au débarquement des immigrés de retour au pays. Quand commençait la saison des pluies et des orages, ils tombaient des avions comme des essaims de guêpes. Et ces guêpes nous piquaient, nous ratatinaient, nous expulsaient des regards des autres pour les monopoliser à leur profit...ils étaient les mbenguistes.
Nos vacanciers respiraient l'étourdissant parfum de l'Occident...

La feymania était un système fondé sur l'escroquerie, produite par des bonimenteurs en costume, au look de gentleman-farmers...
Ces magiciens proliférèrent comme des fourmis. Leur art reposait sur la scénarisation d'une histoire dont le but était toujours d'augmenter de manière significative, et en un temps très court, toute somme d'argent confiée...
Par une simple opération "féérique", le scénario qu'ils proposaient vous apportait la fortune.

J'ai cru, en commençant ce roman, qu'il s'agissait d'une œuvre autobiographique. L'auteur emploie en effet le "je" et fait parler Mingri, comme si c'était lui. Je reste persuadée que l'auteur s'est largement inspiré de sa propre enfance passée à Yaoundé, au Cameroun. 

 

L'auteur excelle dans l'art de conter, propre aux africains.

Le roman aborde différents thèmes, comme celui de la religion par exemple, à travers le personnage du père, mais aussi du prêtre et du pasteur. Il nous parle aussi de prostitution en nous contant le conflit qui oppose les "filles" africaines et les chinoises, arrivées depuis peu, et qui cassent les prix. Il nous parle d'escrocs en tout genre, de personnages politiques, et nous décrit de multiples situations, mises en scène de manière cocasses. 

Au-delà de ces thèmes, abordés avec légèreté, le roman est surtout un prétexte pour nous parler de l'obsession des jeunes camerounais d'aujourd'hui qui ne rêvent tous que d'émigrer en Europe. 

Le lecteur fait connaissance avec des personnages aux personnalités bien trempées. Mais cette jeunesse pleine de vie, se retrouve désabusée, et donc prompte aux fantasmes. Elle abuse de la boisson, car elle ne trouve pas de solution d'avenir dans son pays, ni de travail pour fonder dignement une famille. Non sans humour mais avec réalisme, l'auteur nous décrit cette jeunesse désœuvrée, à la fois naïve et riche en couleur. J'ai souvent ri, ce qui est rare dans ce genre de lecture.

Si le lecteur retrouve dans ce roman la magie des mots et celle qui imprègne les événements, il y a aussi des moments de violence et des drames humains qui nous touchent. 

Mais au delà de la vie quotidienne de ces jeunes et de leur famille, l'auteur tient à montrer la face cachée, donc ignorée, de cette émigration.  Le désir obsessionnel de partir cause des ravages et des drames  parmi la jeunesse, prête à tout pour obtenir un visa, et donc aussi dans les familles. 

 

L'auteur nous offre un roman vivant, réaliste et bien rythmé. 

Pour apprécier pleinement cette lecture, le lecteur devra s'habituer au mélange de langues entre français, anglais et dialectes locaux, le camfrancanglais. Personnellement cela ne m'a pas gênée. 

Bien entendu, vous l'aurez compris, le Moabi cinéma, tel qu'il est décrit dans le roman est un symbole. L'auteur cherche à alerter les jeunes de son pays, mais liront-ils ces pages ? Il veut leur permettre de prendre du recul et de ne pas se mettre en danger. Ces images sorties comme par magie de l'arbre, montrent à ceux qui rêvent d'un ailleurs meilleur, que tout n'est pas rose là-bas et qu'il ne faut pas croire que ceux qui reviennent au pays avec de l'argent, de beaux vêtements et une belle voiture, ont une vie plus facile.

Le rêve européen est un mirage qui détruit chaque année des vies. Mais comment empêcher toute une génération de rêver à une vie meilleure, quand on n'a rien d'autres à leur proposer.

Un roman à découvrir que j'ai beaucoup apprécié. 

Un Français, un Anglais, un Américain, dès sa naissance, peut aller n'importe où sur la terre et même sur la Lune, sans faire la queue ou demander une autorisation. Nous n'avons pas les mêmes droits...Oui, je le dis, un gamin né en France et un enfant né ici, le même jour, à la même heure, ne bénéficieront pas des mêmes droits car le petit Français a un pays qui le soutient et une histoire qui impressionne...

Magique ou maléfique ? Le gouvernement ne savait pas encore. Il avait du mal à trancher...
On ne pouvait donc pas laisser la population avoir l'information du monde en temps réel et en même temps que les gens d'en-haut.
Si les gens savaient la même chose que le gouvernement, ils n'obéiraient plus...

L'auteur, Blick Bassy est un chanteur, auteur-compositeur, producteur, guitariste et percussionniste camerounais. Il est lauréat de plusieurs prix prestigieux dont le Grand Prix SACEM des Musiques du Monde en 2019. Il nous livre ici son premier roman ! 

 

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E
Ma liste de livres va encore s'allonger. Bonne soirée et bisous
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M
Tu me donnes envie de lire ce livre...<br /> Sur ce thème j'ai lu certains livres de Fatou Diome<br /> Le ventre de l'Atlantique, Celles qui attendent, Mauve
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M
J'ai lu "le ventre de l'atlantique" aussi et surtout je me souviens de "ketala" que j'avais beaucoup aimé...j'ai découvert Fatou Diome dans les années 2000, il faudrait que je la relise, tu me donnes l'idée ! bises
C
Le fameux "mirage" ..... oui, bien difficile d'y résister quand le vide est autour de soi. Nombreux se laissent tenter, peut on vraiment les en blâmer ? pour moi, qui ai eu la chance de naître en France, il est bien difficile de répondre à cette question ....<br /> Bisous Manou
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M
C'est bien compréhensible que les jeunes veuillent une vie plus facile que leurs parents...c'est la vie et cela se comprend. Bisous et une douce journée
P
Tu me fais découvrir beaucoup de livres. Je n'ai jamais vu celui-ci ! <br /> Bonne semaine.
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C
On leur fait miroiter une vie meilleure, mais sont-ils vraiment plus heureux ...? <br /> Après ça en arrange certains qu'ils continuent à croire à cet eldorado ...<br /> Certains qui s'en mettent plein les poches, comme les passeurs.<br /> Belle soirée, bisous.<br /> Cathy
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M
Evidemment tu as raison, il y a toujours des gens qui s'enrichissent sur le malheur des autres et c'est pas près de changer même si cela nous révolte. Bisous et une douce journée
D
je vais aller écouter sa musique.<br /> Merci pour le conseil de lecture.<br /> Bises <br /> https://www.youtube.com/watch?v=DJHXlc7Afzk&ab_channel=BlickBassy
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D
je vais aller écouter sa musique.<br /> Merci pour le conseil de lecture.<br /> Bises
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M
J'ai découvert sa musique après avoir lu son roman car je ne savais pas qu'il était musicien ! Tu as bien fait d'aller y voir de plus près :) bises
R
You have made this book come to life! Friendship
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M
Tu me donnes envie de lire ce livre...<br /> Sur ce thème j'ai lu certains livres de Fatou Diome<br /> Le ventre de l'Atlantique, Celles qui attendent, Mauve
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M
J'ai lu Fatou Diomé dans les années 2000, je la proposais aux élèves du Lycée pro. Je me souviens avoir lu "le ventre de l'atlantique" et "Ketala" que j'avais beaucoup aimé et d'autres dont j'ai oublié les titres. Il faudrait que je la relise...
C
bonjour<br /> sans doute un livre, une histoire à raconter à tous ces jeunes qui espèrent un eldorado au delà des mers, parfois un rêve qui se réalise mais pas souvent.<br /> Bonne semaine
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R
merci pour cette présentation, sans doute a découvrir mais plus tard. Bisous douce semaine
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M
Toi qui a vécu en Afrique forcément il te parlera mais il faut tout de même entrer dedans :) bisous
M
Il doit etre super ce livre, même si le mélange des langues déstabilise au début... et il y a aussi le message de se mefier de l'Eldorado que l'Europe n'est pas ou plus. Et d'informer sur les risques... ca me pertube à chaque fois de voir ces gens entassés sur de petits bateaux et des morts qui s'ensuivent... merci pour le partage Manou. Bisous
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M
Je trouve que l'auteur fait bien de briser un peu de leurs rêves...sera-t-il entendu, c'est une autre affaire ! bisous
M
Bonjour Manou,<br /> Un livre qui semble intéressant.<br /> Ça n'a rien à voir mais je t'informe que j'ai fait ta tarte à l'orange hier et qu'elle a eu du succès!<br /> Bonne journée à toi et gros bisous,<br /> Mo
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M
Vous avez été nombreux à la concocter avec succès ! J'ai bien fait de la partager, moi qui hésitait ! Mais pour une fois j'avais fait des photos :) bisous
F
Merci pour cette nouvelle présentation Manou<br /> Bisous et douce journée
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S
j'ai assister a un concert de blick bassi il y a 3 ou 4 ans, dans un cadre magnifique en plain montagne, j'avais adorer son style et son art de conter ces chansons, du coup je suis très attiré par ce roman!!! bisous
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M
La chance ! J'ai découvert sa musique après avoir lu son roman, je n'en avais jamais entendu parler ! bises
P
Bonjour Manou,<br /> En lisant ce livre on doit vite comprendre notre chance d'être née dans un pays libre. Le hic, c'est que la majorité des gens ne le savent pas et cherchent toujours à contester.<br /> Merci pour la présentation de ce livre.<br /> Bon début de semaine Manou<br /> PS/ La tarte à l'orange, la recette de Patrick est bien bonne. Merci encore
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L
coucou, ton article me fait penser à Laure, une amie franco /camerounaise de mon fils ; elle m'a beaucoup parlé de son pays natal , de son enfance ( elle a 30 ans ) et du choc en arrivant en France avec sa mère, mariée à un français ; mais elle m'a dit aussi que lorsqu'elle retourne en Afrique, elle est l'objet de quolibets, de sarcasmes et autres dus à la jalousie ; bisous
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M
Ce n'est pas facile en effet d'avoir deux pays...Bisous et merci pour ton commentaire
L
Ce livre m'attire bien. Pauvre jeunes, dont la vie est difficile sur place, et qui doivent déchanter en arrivant en Europe (quand ils y arrivent) en voyant que leur rêve n'est pas vraiment comme ils le pensaient<br /> (Je connais Laure depuis plusieurs années, c'est par son blog que je suis arrivée sur le tien)<br /> Bisous et bonne journée
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M
Je ne comprend pas mon commentaire validé s'affiche à nouveau, en plus j'ai le Capcha !
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M
J'ai été obligée de remettre le captcha parce que j'avais trop de commentaires désobligeants venant de gourou ou autre. Pour le reste c'est un bug que j'ai signalé à overblog et qui touche toute la plate-forme...ton commentaire n'apparait qu'une fois si tu ne le valides qu'une fois (j'ai le même avec mes réponses ce matin !) bisous
M
Comme il est difficile de vire dans ces pays d'Afrique et pourtant ce que nous leur proposons ne vaut pas grand chose non plus, il y a peu d'élus et ceux qui réussissent méritent toute notre admiration, en Afrique comme en Europe
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