Les livres et moi, mes coups de coeur, mes découvertes, mes créations ou mes voyages : intellectuels, spirituels, botaniques ou culinaires...
Mon père, très strict, ne tolérait aucune contradiction, surtout venant des enfants. Il pensait que chaque homme devait être éduqué comme si le monde repartait de zéro.
Boum Bidoum, dit "Mingri" qui signifie "petit homme", ne fait pas partie des enfants défavorisés de la ville de Yaoundé au Cameroun. Son père est devenu commissaire de police, depuis l'indépendance du pays. Catholique pratiquant, mais bigame, il a 16 enfants à nourrir. Mingri fait donc partie d'une grande famille !
Ils vivent tous ensemble dans un imposant domaine aux règles très strictes. Ainsi, les enfants sont réveillés à l'aube, quel que soit leur âge, et doivent réciter des prières sans jamais déroger à cette règle : le père tient à ce que les enfants soient bien élevés, suivent sérieusement l'école et s'adonnent avec sérieux à leur travail, quand ils en ont un. Le jeune Mingri, jugé trop rebelle et indépendant, va d'ailleurs être envoyé au "bagne", chez son oncle, qui se démènera pour le remettre dans le droit chemin.
Mais, ce sont surtout les femmes et le grand-père qui veillent sur la maisonnée car le père est trop occupé.
Mingri vit cependant une jeunesse heureuse. Il adore la musique et fait partie d'une bande de cinq copains, presque tous bacheliers, à la fois attachants et charismatiques. Le lecteur s'amuse de leurs frasques, de leurs excès, de leur langage. La bande a choisi comme quartier général, le bar de Molo qui devient rapidement leur ami.
Ce qu'ils veulent par-dessus tout, c'est partir en Europe et donc obtenir leur visa. Leur famille les soutient, persuadée que l'avenir est là-bas.
Mais un jour, alors que les jeunes jouent au foot sous l'œil autoritaire de leur "chef", le ballon s'égare dans la forêt et, en le recherchant, Mingri découvre un arbre étrange, comme frappé de magie, qui émet une lumière vive. Il décide d'y retourner les jours suivants pour éclaircir ce mystère !
Car mystère il y a, ou sorcellerie...
Cet arbre lumineux donne à voir, à qui ose s'approcher car il est bien gardé par deux militaires armés, une vision du monde européen que personne ne connait.
C'est le Moabi Cinéma !
Les années s'écoulant, scotchés comme nous étions chez Molo le barman, nous assistions maintenant avec plus de rage au débarquement des immigrés de retour au pays. Quand commençait la saison des pluies et des orages, ils tombaient des avions comme des essaims de guêpes. Et ces guêpes nous piquaient, nous ratatinaient, nous expulsaient des regards des autres pour les monopoliser à leur profit...ils étaient les mbenguistes.
Nos vacanciers respiraient l'étourdissant parfum de l'Occident...
La feymania était un système fondé sur l'escroquerie, produite par des bonimenteurs en costume, au look de gentleman-farmers...
Ces magiciens proliférèrent comme des fourmis. Leur art reposait sur la scénarisation d'une histoire dont le but était toujours d'augmenter de manière significative, et en un temps très court, toute somme d'argent confiée...
Par une simple opération "féérique", le scénario qu'ils proposaient vous apportait la fortune.
J'ai cru, en commençant ce roman, qu'il s'agissait d'une œuvre autobiographique. L'auteur emploie en effet le "je" et fait parler Mingri, comme si c'était lui. Je reste persuadée que l'auteur s'est largement inspiré de sa propre enfance passée à Yaoundé, au Cameroun.
L'auteur excelle dans l'art de conter, propre aux africains.
Le roman aborde différents thèmes, comme celui de la religion par exemple, à travers le personnage du père, mais aussi du prêtre et du pasteur. Il nous parle aussi de prostitution en nous contant le conflit qui oppose les "filles" africaines et les chinoises, arrivées depuis peu, et qui cassent les prix. Il nous parle d'escrocs en tout genre, de personnages politiques, et nous décrit de multiples situations, mises en scène de manière cocasses.
Au-delà de ces thèmes, abordés avec légèreté, le roman est surtout un prétexte pour nous parler de l'obsession des jeunes camerounais d'aujourd'hui qui ne rêvent tous que d'émigrer en Europe.
Le lecteur fait connaissance avec des personnages aux personnalités bien trempées. Mais cette jeunesse pleine de vie, se retrouve désabusée, et donc prompte aux fantasmes. Elle abuse de la boisson, car elle ne trouve pas de solution d'avenir dans son pays, ni de travail pour fonder dignement une famille. Non sans humour mais avec réalisme, l'auteur nous décrit cette jeunesse désœuvrée, à la fois naïve et riche en couleur. J'ai souvent ri, ce qui est rare dans ce genre de lecture.
Si le lecteur retrouve dans ce roman la magie des mots et celle qui imprègne les événements, il y a aussi des moments de violence et des drames humains qui nous touchent.
Mais au delà de la vie quotidienne de ces jeunes et de leur famille, l'auteur tient à montrer la face cachée, donc ignorée, de cette émigration. Le désir obsessionnel de partir cause des ravages et des drames parmi la jeunesse, prête à tout pour obtenir un visa, et donc aussi dans les familles.
L'auteur nous offre un roman vivant, réaliste et bien rythmé.
Pour apprécier pleinement cette lecture, le lecteur devra s'habituer au mélange de langues entre français, anglais et dialectes locaux, le camfrancanglais. Personnellement cela ne m'a pas gênée.
Bien entendu, vous l'aurez compris, le Moabi cinéma, tel qu'il est décrit dans le roman est un symbole. L'auteur cherche à alerter les jeunes de son pays, mais liront-ils ces pages ? Il veut leur permettre de prendre du recul et de ne pas se mettre en danger. Ces images sorties comme par magie de l'arbre, montrent à ceux qui rêvent d'un ailleurs meilleur, que tout n'est pas rose là-bas et qu'il ne faut pas croire que ceux qui reviennent au pays avec de l'argent, de beaux vêtements et une belle voiture, ont une vie plus facile.
Le rêve européen est un mirage qui détruit chaque année des vies. Mais comment empêcher toute une génération de rêver à une vie meilleure, quand on n'a rien d'autres à leur proposer.
Un roman à découvrir que j'ai beaucoup apprécié.
Un Français, un Anglais, un Américain, dès sa naissance, peut aller n'importe où sur la terre et même sur la Lune, sans faire la queue ou demander une autorisation. Nous n'avons pas les mêmes droits...Oui, je le dis, un gamin né en France et un enfant né ici, le même jour, à la même heure, ne bénéficieront pas des mêmes droits car le petit Français a un pays qui le soutient et une histoire qui impressionne...
Magique ou maléfique ? Le gouvernement ne savait pas encore. Il avait du mal à trancher...
On ne pouvait donc pas laisser la population avoir l'information du monde en temps réel et en même temps que les gens d'en-haut.
Si les gens savaient la même chose que le gouvernement, ils n'obéiraient plus...
L'auteur, Blick Bassy est un chanteur, auteur-compositeur, producteur, guitariste et percussionniste camerounais. Il est lauréat de plusieurs prix prestigieux dont le Grand Prix SACEM des Musiques du Monde en 2019. Il nous livre ici son premier roman !