Les livres et moi, mes coups de coeur, mes découvertes, mes créations ou mes voyages : intellectuels, spirituels, botaniques ou culinaires...
Je suis un homme qui ne peut être une femme mais qui, s'il le désire, peut avoir l'air d'une femme ; c'est ce que j'ai de meilleur, un jeu de masques que je peux initier et stopper à ma guise...
Je peux choisir ce que je suis, je peux choisir mon genre, je peux choisir ma nationalité, mon nom et ma ville natale en ouvrant tout simplement la bouche. Nul n'est obligé d'être la personne qu'il est par naissance, chacun peut se construire, comme un puzzle.
Dans les années 90, Bujar et Agim vivent à Tirana, en Albanie, leur pays natal. Ils sont amis et deviennent inséparables. Mais la vie qui les attend ne leur fera pas de cadeau : Bujar comprend que son père est gravement malade et va bientôt mourir ; Agim qui aime s'habiller en fille est rejeté par sa famille.
A la mort de son père, alors qu'Ana sa sœur disparaît mystérieusement et ne revient pas à la maison, que sa mère tombe dans la dépression et que rien ne va plus dans le pays, Bujar accepte de tout quitter pour s'enfuir avec Agim. Les deux jeunes adolescents, âgés seulement de 15 et 16 ans, s'installent ensemble en ville, puis, devant les difficultés qui s'accumulent, ils décident de partir à Durrës pour pouvoir enfin, quitter définitivement le pays, pour l'Italie.
C'est le début d'une véritable galère et de drames successifs.
Est-on libre de choisir sa vie ?
Suffit-il de changer de lieu pour changer de vie ?
Comment faire table rase du passé sans renier totalement ses racines ?
Comment se sentir chez soi quand on est déraciné, et dans son propre corps, quand on a du mal à trouver sa propre identité ?
Quand tu te fiches de ta vie, tu te fiches aussi de ta mort, et quand tu te fiches de la vie en général, alors sa fin inéluctable et implacable, tu la vois aussi clair qu'en plein jour à l'heure où la lumière coule à flots.
Le roman débute à Rome mais, en plus de l'Italie, il nous fera voyager, de l'Albanie, pays natal des deux adolescents, à l'Espagne, aux États-Unis puis à la Finlande.
L'histoire nous est révélée par bribes par Bujar, le narrateur. C'est le lecteur qui devra la reconstituer dans sa chronologie, une fois arrivé aux toutes dernières pages. Mais des dates sont mises en début de chapitres afin de nous permettre de mieux nous repérer dans les nombreux retours en arrière.
Bujar et Agim sont confrontés au racisme, à la discrimination, à la violence, à la mesquinerie des autres et doivent sans cesse expliquer d'où ils viennent, qui ils sont. Ils finissent donc par s'inventer une autre vie, ou par la vivre par personne interposée, et ils mentent donc continuellement aux autres, même à ceux qui vont leur faire confiance.
J'ai aimé en apprendre davantage sur l'Histoire de l'Albanie dans les années 90. Je savais peu de chose de cette période. Le pays a été un des derniers pays communistes à être sorti de son isolement. Suite à la mort de son dirigeant Hoxha, en 1985, l'Albanie est alors considéré comme le pays le plus pauvre et le plus sous-développé de tous les pays d'Europe.
J'ai aimé le fait que l'auteur s'appuie sur le folklore albanais et sur de nombreuses références littéraires, comme des récits de voyage ou d'aventure, pour étayer son roman et faire réfléchir le lecteur.
J'ai aimé le dynamisme du roman qui se lit très vite et est découpé en quatre parties, puis en chapitres courts.
J'ai aimé aussi le ton juste et sans pathos, avec lequel l'auteur aborde le sujet de l'immigration et de ses conséquences, mais aussi celui non moins important dans ce roman, du genre, de la sexualité et de l'acceptation de soi.
Je n'ai pas aimé le fait de ne m'attacher à aucun des deux personnages, pourtant leur histoire est poignante.
Je le reconnais, dans la seconde partie du roman, qui se déroule en Italie, j'ai été perturbée pendant quelques pages de ne pas savoir lequel des deux garçons parlait...Puis j'ai accepté que l'un finalement puisse se substituer à l'autre pour raconter leur histoire, qu'ils puissent être tous deux, les deux faces d'une seule et même personne.
C'est donc un roman assez déroutant par sa construction, mais intéressant par son sujet et la façon tout à fait cinématographique dont la narration est menée.
Je remercie l'éditeur et la dernière Masse critique de Babelio, de m'avoir permis de découvrir ce jeune auteur, dont je n'avais encore jamais rien lu.
L'auteur, Pajtim Statovci est un écrivain finlandais d'origine albanaise.
Il nait en effet au Kosovo en 1990, puis il émigre avec sa famille en Finlande alors qu'il n'a que deux ans.
Il est l'auteur de trois romans dont deux sont aujourd'hui traduits en français.
Il me reste donc à découvrir son premier roman "Mon chat Yugoslavia" paru en France en 2016, écrit alors qu'il était encore étudiant en Littérature comparée à l'Université d'Helsinski, où il prépare actuellement un doctorat, tout en étudiant la scénarisation à l'Ecole Supérieure Aalto d'art, de design et d'architecture de la ville.
En 2019, il a remporté le prix Helsinski Writer of the Year Award.
Et je ne serais pas encore capable de penser que toutes les actions humaines sont motivées par l'espoir d'être mieux. Les gens quittent un pays pour un autre afin d'obtenir des conditions de vie plus favorables, rien n'est fait ou dit par altruisme, chaque acte enveloppe la promesse de lendemains meilleurs, le souhait d'obtenir une chose que je veux, sans laquelle je pense ne pas pouvoir vivre.
Je ne comprendrais pas encore non plus que le mieux, pour moi, serait de rester ici, suspendu au bord de mon désir, ardent, aspirant stupidement à obtenir ce qui m'échappera toujours.
Ici les gens ont le temps d'entretenir leurs blessures, songé-je, de rester traumatisés pendant des lustres pour un motif dénué de la moindre importance, ils ont le temps de réfléchir au sens de la vie et ce, d'un jour, d'un mois, d'une année sur l'autre, à ce qu'ils veulent faire, au métier auquel ils vont se former, pendant que, dans mon pays d'origine des nouveau-nés meurent de fièvre et de sous-alimentation, des hommes tombent sous des balles destinées à venger l'honneur tandis que des femmes en fuite tombent sous les munitions que les hommes de leur propre famille ont confiées à celle de leur mari lors de leurs noces...