Les livres et moi, mes coups de coeur, mes découvertes, mes créations ou mes voyages : intellectuels, spirituels, botaniques ou culinaires...
Pendant toute mon enfance, mon père nous a parlé de nos ancêtres, pour s'assurer que nous ne les oublierions pas.
- Notre terre était grande comme ça, disait-il en écartant les bras le plus possible, lorsqu'il parlait du territoire de l'est qui avait appartenu aux Cherokees autrefois, avant qu'ils ne soient déportés jusqu'en Oklahoma.
Papa était une véritable encyclopédie des plantes particulièrement en ce qui concernait leur usage médicinal.
Partout où nous sommes allés, il a toujours attiré à lui une petite quantité de gens disposés à lui acheter ses tisanes, ses fortifiants et autres préparations...
- Tout ce dont nous avons besoin pour vivre une vie aussi longue que ce qui nous a été accordé nous a été donné dans la nature, disait-il...
Prix du roman FNAC 2020
Betty Carpenter est la sixième de huit enfants.
Landon, son père est indien cherokee. Il est le descendant de ces guerriers qui survivent aujourd'hui dans des camps. Il s'est donné comme devoir de transmettre à ses enfants les légendes de son peuple. Il veut que ce soit leur force pour supporter le racisme que subissent les enfants pauvres et métis comme eux. Il se fait donc conteur à ses heures et transmet à ses enfants la poésie des mots et l'amour de la terre. Cependant, même si toute la fratrie est concernée, Betty est la seule à avoir hérité de la couleur de peau de ses ancêtres ce qui la rapproche de son père qui lui donne le joli surnom de "Petite indienne".
Alka, la mère est blanche. Elle est originaire d'une famille pauvre dans laquelle elle a été maltraitée mais le sujet est tabou, le passé enfoui, n'en reste que l'attitude de ses propres parents qui ne veulent même pas connaître leurs petits-enfants et les laissent dehors dans la cour comme des chiens quand elle leur rend visite avec eux.
La famille, après plusieurs déménagements va se fixer dans l'Ohio, à Breathed (une petite ville rurale imaginaire). Betty grandit au milieu de sa fratrie. Les jeux, le jardin potager, les baignades dans la rivière proche et les récoltes de plantes sauvages avec son père vont occuper les journées de son enfance. Le père fabrique des remèdes indiens et a une fidèle clientèle qui vient lui demander conseil en cachette. La petite fille apprend beaucoup à son contact, elle connaît le nom des plantes et leurs vertus médicinales.
Mais au milieu de ce temps heureux de l'enfance, elle va découvrir l'école. Elle ne veut pas y aller. Elle ne peut s'y faire des amis car elle y subit le racisme et l'intolérance venant des enfants mais aussi des adultes et de sa maîtresse qui ne rate jamais une occasion de l'humilier. Le père la console comme il peut. Il l'emmène dès son retour dans la forêt afin de lui rappeler qu'elle est "forte". Il est certain qu'observer la nature peut la guérir de tous les maux et de tous les doutes.
Il faut dire aussi que la famille vit en marge de la société, qu'elle est rejetée par le voisinage, qu'ils vivent dans une maison délabrée, dite même hantée, car les précédents propriétaires ont tous mystérieusement disparu.
Mais les découvertes de Betty ne s'arrêtent pas là. Sa famille cache aussi de sombres secrets qui vont lui être dévoilés peu à peu, dans des circonstances terriblement choquantes pour elle (et pour le lecteur). L'innocence de Betty s'envole alors pour toujours. Elle n'a que huit ans...
Pour supporter le poids de ces révélations, la petite indienne va se réfugier dans l'écriture. Elle cachera ensuite ses textes dans des bocaux hermétiquement fermés qu'elle enfouira le plus profondément possible dans la terre autour de la maison familiale, dans un endroit surnommé, le bout du monde. Elle a compris le pouvoir réparateur des mots.
Un jour pense-t-elle, avec toutes ces histoires inventées ou pas, elle pourra n'en former plus qu'une seule, la sienne ! Un jour elle pourra choisir sa vie, vivre comme elle le désire et partir...mais en attendant il faut grandir.
J'ai compris une chose à ce moment-là : non seulement Papa avait besoin que l'on croie à ses histoires, mais nous avions tous autant besoin d'y croire aussi. Croire aux étoiles pas encore mûres. Croire que les aigles pouvaient faire des choses extraordinaires. En fait, nous nous raccrochions comme des forcenés à l'espoir que la vie ne se limitait pas à la simple réalité autour de nous. Alors seulement pouvions-nous prétendre à une destinée autre que celle à laquelle nous nous sentions condamnées.
Ton père, lui, ne connaît rien de tout ça. Les seuls nombres que Landon Carpenter a en tête, c'est le nombre d'étoiles qu'il y avait dans le ciel la nuit où ses enfants sont nés. Je ne sais pas ce que tu en penses, mais moi je dirai qu'un homme qui a dans la tête les cieux remplis d'étoiles de ses enfants est un homme qui mérite leur amour.
C'est un roman initiatique, fort et souvent dérangeant, car rien n'est épargné au lecteur, côté violence, mais c'est aussi un roman militant et féministe car les filles dans ce milieu-là sont condamnées d'avance. Elles subissent la violence des hommes, proches ou pas, quittent l'école très jeunes, sont sous-payées et exploitées quand elles réussissent à trouver un travail.
C'est un roman respectueux de la nature. L'auteur n'oublie pas de nous rappeler aussi que la nature nous parle et que nous devons l'écouter, comme le faisaient les indiens si nos sociétés veulent perdurer et si les gens veulent être heureux et libre. Elle nous plonge avec délice dans la poésie et l'imaginaire à travers les contes et légendes racontés par le père à ses enfants. Ce sont autant de notes d'espoir, de moments de rêves censés les sauver de la tristesse ambiante.
Dès le début du roman, le lecteur s'attache fortement à Betty car c'est une petite fille intelligente, douce, et tellement innocente, mais elle n'est pas comme les autres, car elle est consciente d'être partagée entre deux cultures. Le regard qu'elle porte sur les choses de la vie quotidienne, sur sa fratrie et ses parents, sur les autres enfants et sur leurs actes, est d'une grande maturité et nous la rend encore plus attachante.
Profondément généreuse, elle aime chacun des membres de sa fratrie, mais elle entretient avec sa mère, souvent dépressive, une relation difficile. Le lecteur comprendra pourquoi au fil de l'histoire. Enracinée à la terre de ses ancêtres comme aucun autre membre de sa fratrie, Betty s'imprègne des croyances et coutumes cherokees. Son père l'a choisi pour lui transmettre tout le savoir de ses origines, un savoir qui sans cela se perdrait. Tout cela permet à Betty de se sentir exister, de prendre confiance en elle, d'être unique en quelque sorte et en effet plus forte.
Les autres membres de la fratrie, Leland, le frère aîné violent, Fraya si sage et lumineuse, Flossie plus superficielle qui se rêve actrice célèbre, Trustin à la sensibilité exacerbée qui aime avant tout dessiner, Lint le petit dernier, pas comme les autres, mais qui d'après Betty constitue "les fondations" de leur famille, ainsi que les personnages secondaires, sont autant de pièces importantes dont je ne vous parlerai pas, pour vous laisser le plaisir de les découvrir à votre tour (et puis parce que ce serait trop long !).
Les secrets de famille, le déni devant certaines situations alarmantes, les blessures et les drames ne font que séparer les différents membres de cette famille déjà fragilisée par le vécu et l'enfance des parents. La famille est ravagée par les non-dits et la culpabilité qui va avec. Et l'amour qui les unissait, va peu à peu être modifié par les épreuves que tous vont avoir à traverser... tandis que Betty grandit.
Voilà un roman poignant, voire déchirant. Il révèle la dureté de la vie rurale en Amérique du Nord dans les années 50, 60 et 70 mais je ne suis pas persuadée que les choses aient beaucoup changé aujourd'hui. Il nous révèle le combat quotidien d'une petite métisse que la société américaine voudrait anéantir mais qui se rappellera jusqu'au bout que chez les cherokees, ce sont les femmes qui ont le pouvoir familial, que ce sont elles qui cultivent la terre nourricière, et se battra pour réaliser ses rêves.
Betty a réellement existé : c'est la propre mère de l'auteur. Ce roman est un hommage poignant à celle qui lui a donné la vie mais aussi au père de Betty, le grand-père Cherokee.
Un coup de cœur pour moi, cette petite fille est inoubliable et ce roman le sera aussi !
Vous pouvez aller lire les avis d'Hélène, d'Alex, de Eve qui comme toujours, sont en avance sur moi pour les lectures récentes (et les autres aussi !).
Que fait-on lorsque les deux personnes qui sont censées nous protéger le plus sont justement les monstres qui nous déchirent et nous mettent en pièces ?