Les livres et moi, mes coups de coeur, mes découvertes, mes créations ou mes voyages : intellectuels, spirituels, botaniques ou culinaires...
- Cherchez pas, ça n'existe nulle part ailleurs, et dans aucun texte de loi. C'est du fait maison Calais, spécialité locale. ...donc avec cette appellation de réfugiés potentiels, ni on ne les arrête, ni on ne les aide. On les laisse moisir tranquilles en espérant qu'ils partiront d'eux-mêmes.
- Je vois qu'on a beaucoup réfléchi à trouver comment ne rien faire.
- Pour ma santé mentale, j'ai oublié d'y penser.
J'ai découvert la plume de l'auteur au printemps dernier en lisant "Surface" présenté ici. Et je m'étais promis de continuer à le découvrir en lisant de temps en temps un de ses romans.
Voilà un livre coup de poing qui se lit d'une traite tant le sujet sensible ne peut nous laisser indifférents.
Ils empruntèrent un sentier de sable, tournant de nombreuses fois dans diverses directions jusqu'à ce qu'Adam ne sache plus se repérer dans l'espace. Au détour d'une cabane en palettes de bois, ils se retrouvèrent dans un campement d'une dizaine de tentes en cercle, autour d'un grand feu bordé de pierres.
- Bienvenue chez les Soudanais, mon ami.
Il les comprenait, ces regards qui lui disaient de ne plus attendre, de ne plus espérer, de se raisonner avant de devenir fou, d'accepter pour ne plus se battre. Il les comprenait et les voyait défiler, derrière ses paupières closes...
Il faut dire que le roman commence par une scène choquante que je ne vais pas vous décrire pour autant : le lecteur est sur un bateau de migrant, quelque part en méditerranée.
Très vite, on se retrouve aux côtés des pelleteuses qui démantèlent le camp de migrants de la Jungle de Calais. Le décor est posé.
Le lecteur découvre alors la vie quotidienne d'Adam obligé de fuir son pays en guerre, la Syrie meurtrie... sous la dictature de Bachar-al-Assad. Il a envoyé en France sa femme Nora et sa petite fille Maya pour les mettre en sécurité avant lui, et il les rejoint à présent à Calais. Mais personne n'a vu arriver sa famille. Il va donc les attendre-là pendant de longs jours, puis de longues semaines...qui s'éternisent.
Ce qu'il découvre avec horreur, lui qui était flic dans son pays, c'est la manière inhumaine dont sont traités les migrants, venus de tous les pays du monde, c'est la violence qui règne dans la jungle, c'est la police qui n'ose plus y mettre les pieds pour faire respecter les lois.
Adam ne peut s'empêcher d'intervenir...pour sauver un petit soudanais des griffes de ses violeurs. C'est à l'hôpital qu'il fait la connaissance de Bastien, nouvellement arrivé à la gendarmerie de Calais, une gendarmerie délabrée et oubliée par les autorités, où les hommes, fatigués et sans illusions, doivent régler des problèmes qui les dépassent, les laissant meurtris par leur propre image et leurs propres actes.
Bastien ne peut rejeter la demande d'aide d'Adam, quitte à lui-même se mettre en danger, alors que toute la brigade ne demande qu'à fermer les yeux sur les agissements au sein de la jungle.
"Ombre" était dans la Jungle.
Son arrivée était attendue, et deux hommes vinrent à sa rencontre, intimidés. Même si personne ne connaissait sa véritable identité et s'ils étaient peu à avoir déjà vu son visage, sa réputation le précédait. Il était le recruteur de Daesh. Celui qui, disait-on savait lire les âmes...
Un roman noir, très noir qui relate la réalité de la vie dans la jungle, au sein de laquelle un recruteur de Daech s'est infiltré. L'enquête n'est pas oubliée mais n'est finalement qu'un prétexte pour faire entrer le lecteur dans ce bidonville géant.
L'auteur décrit avec réalisme, mais beaucoup de pudeur et de délicatesse, la vie quotidienne des migrants, leur solitude, leurs espoirs. Il décrit aussi le travail fait par les organisations humanitaires, les difficultés pour les policiers de trouver leur place entre les ordres donnés venus d'en-haut, loin de la réalité, et ce qu'ils voient tous les jours...qui les ramènent à leur impuissance, et les incitent à baisser les bras.
La violence morale et physique est partout, et le sort des enfants nous apparait particulièrement injuste bien entendu, porté par le petit Kilani que nous suivons au quotidien puisque devenu, le petit protégé d'Adam.
L'auteur adopte tout de suite le ton juste. Il ne prend jamais parti, ne culpabilise personne et pourtant il nous touche en plein cœur et nous refermons ces pages avec un sentiment de honte et d'impuissance mêlées.
C'est un livre-choc qui s'inscrit dans la réalité de notre société d'aujourd'hui et porte un regard sans concession sur des événements que personne ne veut voir.
Si l'auteur parle de la jungle et en fait le sujet principal de son roman, si les deux mondes sont bien, d'un côté le pays d'origine des migrants en guerre la plupart du temps, et de l'autre le nôtre en paix qui n'offre aux migrants comme accueil que celui de la Jungle de Calais, un monde décevant mais fantasmé, l'auteur n'oublie pas pour autant de parler des riverains et des habitants d'une ville dépossédée de sa vie propre.
Un roman à découvrir et un auteur à suivre, assurément, il était temps que je le lise et je ne suis pas prête de l'oublier.