Les livres et moi, mes coups de coeur, mes découvertes, mes créations ou mes voyages : intellectuels, spirituels, botaniques ou culinaires...
Il y a des moments où ce qui nous entoure et semble devoir servir de décor à notre vie pour l'éternité_ un empire, un parti politique, une foi, un monument, mais aussi simplement des gens qui font partie de notre quotidien_ s'effondre d'une façon tout à fait inattendue...
A partir du mois d'octobre 1976 et jusqu'en 1979, lorsque je revins vivre à Naples, j'évitai de renouer une relation stable avec Lila. Mais ce ne fut pas facile. Elle chercha presque tout de suite à revenir de force dans ma vie ; moi je l'ignorai, la tolérai ou la subis. Bien qu'elle se comportât comme si elle désirait simplement m'être proche dans un moment difficile, je ne parvenais pas à oublier le mépris avec lequel elle m'avait traitée.
Voici le dernier opus de la saga d'Elena Ferrante, "l'amie prodigieuse" que j'ai enfin terminé pendant les dernières vacances. Il était temps que je vous le présente ici.
Lenù alors qu'elle semblait avoir enfin réussie à laisser derrière elle son enfance, qu'elle a à présent tout pour être heureuse, est devenue un écrivain célèbre, a épousé un professeur d'Université et est mère de deux adorables petites filles, Dede et Elsa, plaque tout, pour vivre une vie tumultueuse avec Nino, son ami d'enfance, dont elle a toujours été amoureuse. Même les lecteurs ne la croyaient pas capable de le faire !
Entre deux rencontres à Milan, Florence ou Naples, Nino et Lenù voyagent beaucoup mais des événements imprévus vont obliger Lenù à quitter définitivement Florence pour revenir habiter à Naples où elle se rapproche de Lila. Bien qu'éloignée de son amant, elle lui reste encore totalement soumise et a toujours autant de mal à se concentrer pour se remettre à écrire. C'est finalement un ancien manuscrit non publié et qu'elle va ressortir du placard, qui va la sauver et lui rendre la confiance de son éditeur.
Lila qui vit toujours avec Enzo (tous deux ont ouvert leur propre entreprise informatique) prend très mal les agissements de Lenù et ne mâche pas ses mots.
C'est alors que Lenù apprend qu'elle est enceinte, Lila aussi...
Lors du terrible séisme de novembre 1980, qui ébranle profondément Milan, Lila, qui a eu très peur, fait promettre à Lenù de ne jamais l'abandonner, même si dans ses propos elle lui fait parfois du mal. Lenù qui se sent investie depuis l'enfance par le besoin de protéger son amie, la prend au mot et lui pardonne à nouveau toute sa cruauté.
Déjà que leurs grossesses les avaient considérablement rapproché, les deux jeunes femmes se retrouvent unies à nouveau...
En fait, tout bougeait...Mais même maintenant que j'y réfléchissais à la lueur des propos de Lila si bouleversée, je savais que l'effroi ne parvenait pas à l'enraciner en moi...Tout ce qui m'arrivait allait passer, mais moi, oui moi, je resterais toujours là, immobile...
J'eus beaucoup de mal à accepter la mort de ma mère. Je ne versai pas une larme et pourtant la douleur que j'éprouvais dura longtemps, et elle ne m'a peut-être jamais quittée...Aussitôt après l'enterrement, je me sentis comme lorsqu'on est surpris par une violente averse et qu'on regarde autour de soi, sans pouvoir trouver un abri.
C'est un tome beaucoup plus dramatique que les précédents car les deux amies vont être frappées de plein fouet par des drames imprévus qui vont ébranler leurs convictions, les rapprocher un temps pour ensuite les séparer à nouveau.
Il y a comme le prédit le titre beaucoup de perte, celle des illusions amoureuses d'abord mais aussi celle des idéaux politiques. Il y a aussi la perte de l'enfance et du monde qu'elles ont connu mais aussi la perte d'êtres chers...le lecteur est totalement pris par l'histoire tant amicale que sociale.
Si ce quatrième opus débute par la description détaillée des déboires de Lenù et traine un peu en longueur, très vite, l'auteur rebondit nous permettant encore une fois d'entrer dans l'intimité de leur relation amicale complexe, mais sans devenir voyeur pour autant. C'est l'heure des bilans et des prises de conscience pour les deux amies.
En Italie, ce sont toujours les années de plomb et Lila qui s'aperçoit que Gennaro, son fils, se drogue fait tout pour lutter à sa façon, contre le trafic qui sévit dans le quartier. Mais elle ne peut lutter à armes égales : la corruption et les trafics en tous genres font des ravages dans le quartier, et la camorra veille.
Le temps est donc venu pour le lecteur de quitter définitivement ces deux formidables femmes d'avant-garde, qui se sont battues pour se sortir de leur milieu social, ont réussi à leur façon leur vie tout en regrettant des tas de choses qu'elles auraient voulu réussir aussi, et se retrouvent à présent totalement démunies devant le temps qui passe, leurs enfants qui s'éloignent et la vieillesse qui les attend.
Elles sont si humaines, si émouvantes, si fragiles devant les imprévus qui jalonnent leur vie que nous avons du mal à les quitter.
Car à la fin de ce tome cela fait près de 60 ans que nous avons fait leur connaissance, alors que Lila venait tout juste de jeter la poupée de Lenù dans la cave, pour prouver qu'elle n'avait peur de rien et qu'elle était la plus méchante des deux, mais pour aussi la provoquer, déjà, la faire réagir, éprouver son calme en se montrant cruelle, et la faire sortir de sa zone de confort, une relation qui entre elles deux n'a jamais cessé d'être compliquée mais fusionnelle...ce qui explique sans aucun doute que leur amitié ait survécu aux vicissitudes de la vie.
Elle possédait une intelligence qu'elle n'exploitait pas : au contraire, elle la gaspillait comme une grande dame pour qui toutes les richesses du monde ne seraient que signe de vulgarité. C'était cela qui avait fasciné Nino : la gratuité de l'intelligence de Lila. Elle se distinguait de toutes les autres parce que , avec grand naturel, elle ne se pliait à aucun dressage, à aucune utilisation, et à aucun but.