Les livres et moi, mes coups de coeur, mes découvertes, mes créations ou mes voyages : intellectuels, spirituels, botaniques ou culinaires...
Ah, je préfère ça se dit Frances lorsqu'elle aperçut au loin la majestueuse demeure victorienne. Le long de la route désormais goudronnée_quel soulagement_, la végétation devenait plus verte, plus délicate à mesure qu'elle s'en approchait. Tranquillum House s'élevait sur trois étages et sa façade de grès était surmontée d'une toiture en tôle ondulée rouge et d'une tourelle. Frances eut la délicieuse sensation d'être propulsée à la fin du XIXe siècle, même si le ronron de la Lamborghini jaune poussin derrière elle gâchait quelque peu son voyage dans le temps.
Elle [Frances] avait participé à la marche des femmes, bon sang ! On ne pouvait pas l'accuser de "porter atteinte au féminisme" sous prétexte qu'elle décrivait la couleur des yeux de son héros ! Comment pouvait-on tomber amoureux de quelqu'un sans connaître la couleur de ses yeux ?
Neuf citadins aisés se retrouvent pour dix jours de cure dans un établissement huppé, perdu au milieu de nulle part, le "Tranquillum House". Ce qu'ils veulent tous, avant tout, c'est changer de vie, car ils ont de graves problèmes personnels qu'ils n'arrivent pas à régler tout seuls. Ils sont venus sous les conseils d'un ami ou d'un membre de leur famille, et malgré quelques avis mitigés lus ici ou là sur les réseaux sociaux, ils sont en confiance. La seule consigne claire est de ne pas apporter d'aliments prohibés.
Le lecteur va faire connaissance avec...un jeune couple, Ben et sa femme Jessica, pour qui rien ne va plus depuis qu'ils ont gagné au loto et que Jessica a eu recours à la chirurgie esthétique ; Tony Hogburn, un ancien champion de footy (le foot australien) ; Carmel, mère de quatre petites filles, divorcée et persuadée que son mari est partie parce qu'elle était en surpoids ; Napoléon, un enseignant qui croit aux vertus du développement personnel, Heaver, sa femme qui ne se remet pas de la mort de leur fils, et leur fille Zoé, la plus jeune du groupe ; Lars, un charismatique avocat homosexuel ; et puis il y a Frances Welty, une auteure de romans sentimentaux déçue parce que son dernier livre a été refusé et qu'elle vient de subir une arnaque particulièrement éprouvante...
Masha, la directrice qui a elle-même changé de vie après une crise cardiaque, et son personnel (Delila et Yao en particulier) n'ont qu'une seule envie c'est de rendre leur séjour inoubliable et surtout, de faire d'eux des êtres nouveaux, capables d'affronter leur vie et ses problèmes, tout du moins en apparence.
Elle leur propose donc des séances de Tai chi, de méditation, de yoga, des jours de jeûne ou une nourriture adaptée à leurs problèmes de santé, des massages, ou bien tout simplement des balades (parfois nocturnes), entre deux smoothies ou deux séances de piscine...
Ils doivent absolument ressortir transformés de leur dix jours de vie commune dans ce lieu paradisiaque.
Mais Masha décide de tester une nouvelle méthode révolutionnaire (et illégale) que nos neufs personnages vont découvrir peu à peu, non sans surprise au début, puis avec de plus en plus d'effroi.
Car vous vous en doutez, rien ne se passera comme prévu !
Elles détestaient presque toutes leur corps. Les femmes et leur corps ! Il n'y a pas de relation plus violente ni plus toxique. Masha avait vu des femmes pincer le gras de leur ventre avec tant de dégoût et de brutalité qu'elles en avaient des bleus. Pendant ce temps-là, leurs maris, bien plus empâtés, se tapotaient affectueusement le ventre d'un air mi-fier, mi-penaud.
Tony n'avait pas imaginé qu'être grand-père se résumerait à parler de choses incompréhensibles avec trois enfants au drôle d'accent via un écran Quand il s'était projeté dans ce rôle, il s'était représenté une petite main collante agrippée à la sienne en toute confiance, une promenade tranquille jusqu'au magasin du coin pour acheter des glaces Mais cela n'arrivait jamais Et de toute façon le magasin du coin avait fermé...
C'est le second roman de l'auteur que je découvre. J'avais fait sa connaissance en lisant "Le secret du mari", présenté ICI. Celui-ci est un roman choral : chacun des chapitres donne la parole à un des neuf personnages, en plus de Masha et des membres du personnel.
L'auteur aborde différents thèmes d'actualité comme les difficultés de la monoparentalité, le désir d'enfant quand on est homosexuel, l'attrait et la superficialité des réseaux sociaux, le deuil, la culpabilité, la difficulté à se remettre en question...
L'auteur sait encore une fois nous faire entrer avec humour et finesse dans la psychologie des personnages. Le lecteur découvre la réaction des différents protagonistes au fur et à mesure des événements. Rien ne nous étonne vraiment, vues les situations qu'ils vont avoir à vivre. Les langues se délient un peu, les angoisses resurgissent, les secrets enfouis apparaissent au grand jour, le lâcher prise est obligatoire pour tous mais pas si évident que ça à atteindre quand on est en groupe. C'est intéressant d'observer les réactions des différents personnages, mais de se demander aussi, jusqu'où va aller leur acceptation, face à ce que Masha leur fait subir. Heureusement certains se révoltent et d'autres ne perdent pas leur sang-froid.
J'ai trouvé qu'il y avait quelques longueurs, mais le suspense qui nous donne vraiment envie de savoir comment le séjour va se terminer, les fait vite oublier.
J'ai aimé aussi le cynisme de la directrice, tout en trouvant affolant qu'une personne aussi perturbée personnellement et sans formation, devienne coach.
Le roman nous permet de mener une réflexion très juste sur la mode actuelle du coaching qui se décline à peu près dans tous les domaines. Il faut dire que la vague de mal-être qui déferle dans nos sociétés, amène l'industrie du développement personnel, donc des stages de bien-être, à se développer alors qu'il s'agit d'un besoin, entièrement créé par nos sociétés modernes.
La quête du bonheur est indispensable, certes, mais à quel prix !
Vous pouvez découvrir l'avis de Brigitte (Ecureuil bleu) ICI.
Elle [Frances] songea qu'il serait sûrement déplacé de prier pour la délivrance dans la situation présente alors qu'elle n'avait pas rendu grâce à Dieu depuis si longtemps. Il aurait peut-être apprécié une petite carte au fil des ans...