Les livres et moi, mes coups de coeur, mes découvertes, mes créations ou mes voyages : intellectuels, spirituels, botaniques ou culinaires...
Il l'avait revu, sa haute silhouette se dandinant sur une place devant la terrasse d'un café : il jouait de l'olifantastique, dont le son évoquait le ululement du hibou aussi bien que le chant plaintif d'une baleine. Natan s'était empressé de le rejoindre, mais arrivé à sa hauteur, il s'était posé en retrait. Les gens écoutaient l'homme oiseau-baleine d'une oreille distraite, ils parlaient entre eux, riaient, buvaient et fumaient. L'enfant, lui, était captivé par cette étrange mélodie, il n'avait jamais rien entendu de semblable, et une fois encore des bulles de soleil s'étaient mises à flotter dans sa tête, lui donnant le tournis...
Un jour Natan l'avait interrogé sur son pays d'origine. Gavril avait juste répondu qu'il était d'une grande beauté ; oui, avait-il insisté, d'une formidable beauté _paysages, villages, églises en bois et monastères, montagnes et rivières, et les forêts à perte de vue, à perte de mémoire tant elles sont anciennes, sauvages. Alors pourquoi l'avoir quitté, s'était étonné l'enfant. Parce que des tyrans, l'un chassant l'autre, chacun reprenant goulûment le flambeau, avaient mis cette beauté sous séquestre.
De passage à Paris, Natan découvre un avis de recherche sous un abri-bus. Sa vie est bouleversée : il connaît en effet ce vieil homme qui a disparu, il le croyait mort depuis plus de 25 ans, tout du moins c'est ce qu'on lui avait dit. Profondément perturbé, il va remonter le fil de sa morne vie et nous parler de ce mystérieux Gavril, un saltimbanque d'origine roumaine, qui a tant compté pour lui durant son enfance et son adolescence. C'est Gavril qui l'a sauvé de son quotidien triste et vide, lui offrant rêve et poésie dans les rues de Paris, le nourrissant de tout ce qui est nécessaire pour grandir, lui apprenant à jouer avec les mots et à connaître ses désirs, et qui a fait de lui, enfant timoré et renfermé, un adolescent épanoui.
Natan dont on découvrira la vie, de sa naissance à l'âge adulte au fil de notre lecture, nous offre ici un voyage dans le pays de Gavril, la Roumanie. Mais une Roumanie terrible, un pays qu'il a fui car il lui a pris tous les siens, et où il ne voulait plus jamais retourner, quoi qu'il advienne. Rescapé de terribles épreuves, Gavril choisira de ne pas mourir en étant privé une nouvelle fois de cette liberté qui lui est si chère à présent...
Voilà un court roman tout en finesse, en tendresse et en poésie, une histoire simple d'amitié et d'attachement intergénérationnelle, qui sous la plume particulière de Sylvie Germain, prend toute sa profondeur et sa force.
Les personnages sont lumineux, le lecteur s'attache à Gavril dès le début du roman, comprend ses motivations et ses actes. Il découvre la vie de Natan (ou Nathan selon les passages du livre !), son enfance auprès d'une mère indifférente et toujours triste, et comprend ainsi au fur et à mesure que les différents éléments se mettent en place, pourquoi il fera certains choix. Marqué à jamais par sa rencontre avec Gavril alors qu'il était un petit garçon, il ne pouvait que suivre ses pas.
J'ai adoré la première partie qui relate la rencontre entre Gavril et Natan et leurs déambulations poétiques dans les rues de Paris. La seconde ressemble davantage à une quête durant laquelle le lecteur redécouvre l'Histoire de la Roumanie...
La narration alterne entre passé et présent, ressenti d'aujourd'hui et souvenir du passé.
C'est un livre empli d'humanité qui ressemble à un conte moderne et qui se savoure tranquillement. C'est aussi un bel hommage aux poètes des rues...
A découvrir !
Que deviennent les pas des piétons de jadis, leur écho se perd-il à jamais dans le brouhaha du temps ou se condense-t-il en fines poussières de sons aux vibrations imperceptibles sous les pavés des rues, dans l'asphalte des trottoirs ?
On prétend que les plus beaux poèmes sont ceux que l'on n'a pas écrits. La plupart des gens n'en composent pas, mais tous en font rien qu'en vivant...
Il disait que la joie, on peut en donner sans compter, même quand on n'en éprouve pas soi-même, parce que du seul fait d'en donner, on la crée...