Les livres et moi, mes coups de coeur, mes découvertes, mes créations ou mes voyages : intellectuels, spirituels, botaniques ou culinaires...
J'ai vu peu de gens, dans ma vie, pour lesquels autrui n'était jamais un poids, jamais une fatigue, jamais un ennui. Toujours au contraire une chance. Une fête. La possibilité d'un supplément de vie. L'autostoppeur était de ces êtres. C'était comme s'il avait constamment à l'esprit la pensée que chaque être placé sur sa route ne le serait peut-être plus jamais. La conscience que s'il voulait le connaître, c'était maintenant.
J'ai attendu qu'il poursuive de lui-même, certain que la conversation n'en resterait pas là.
ça marche même mieux que jamais. Contrairement à ce qu'on pense les conditions n'ont jamais été aussi bonnes : véhicules plus nombreux, plus confortables, plus rapides. Disparition presque totale de la concurrence.
Prix Fémina 2019.
Sacha, le narrateur est écrivain. Il a décidé de quitter la vie trépidante parisienne, pour déménager à V., un petit village du sud-est de la France, proche de la mer, où il compte bien prendre le temps de se ressourcer et de se remettre à écrire son roman.
Son cousin qui habite le village, le présente aussitôt à ses amis et comme la vie sait particulièrement nous réserver des surprises, il retrouve dans ce village un ami perdu de vue depuis 17 ans. C'est celui que tout au long du livre il appellera, "l'autostoppeur".
Aujourd'hui marié à Marie qui est traductrice, et père d'un petit garçon de 9 ans, Agustin, son ami n'a jamais cessé de voyager en faisant du stop alors que Sacha qui le faisait avec lui durant leur jeunesse, ne l'a plus jamais fait depuis.
Leurs retrouvailles sont sincères et amicales. Ils ont été colocataires, ils ont voyagé ensemble, ils se sont séparés pour une raison qui ne sera pas précisée au lecteur, mais qui était suffisamment grave, pour qu'ils ne se contactent plus jamais par la suite.
L'autostoppeur part très souvent, laissant femme et enfant, entre deux boulots dans le bâtiment qu'il organise comme il veut puisqu'il est son propre patron.
Le couple fonctionne bien, ils s'aiment et respectent les désirs de chacun. Mais lui se sent plus libre, moins investi dans l'éducation de son fils, sans entraves. Il n'est vraiment heureux que lorsqu'il part loin des siens, et aussi lorsqu'il revient, tout du moins au début de l'histoire.
Il garde d'ailleurs un contact fréquent avec sa famille, téléphone à sa femme et à son fils, ce qui rythme leur vie et aide à supporter son absence.
Peu à peu, durant les absences de l'autostoppeur, Sacha se rapproche de Marie, qui se sent seule et a parfois besoin d'aide pour garder Agustin. Elle se renferme sur elle-même car elle réalise qu'elle n'est plus triste des départs fréquents de son mari, qu'il ne lui manque plus comme avant, et qu'il n'a jamais été plus présent auprès d'eux, que lorsqu'il n'est pas là.
Et au fur et à mesure, alors que Sacha entre tranquillement dans la famille, et devient indispensable pour eux, les retours de l'autostoppeur s'espacent, ses lettres et ses coups de téléphone aussi, comme s'il se perdait dans les méandres des petites routes de France et dans les villages qu'il visite les uns après les autres, au hasard de ses rencontres.
Je ne leur dis pas tout de suite. Je les laisse redémarrer. J'attends qu'ils aient quitté l'aire d'autoroute, reverrouillé les portes. Qu'ils soient de nouveau à 130 à l'heure, avec au-dehors les champs qui défilent, la rambarde qui court, les panneaux bleus qui plongent à la rencontre de la voiture. Alors je leur dis la vérité. Que je suis surtout venu les voir eux. En général il y a un blanc...
Savoir l'autostoppeur sur la route, paradoxalement, nous le rendait plus proche. Nous nous demandions où il était, ce qu'il vivait, dans quelle voiture il roulait, à côté de qui. Même absent, il nous accompagnait.
Cartes postales des lieux traversés, polaroïds des visages croisés, l'autostoppeur récolte le long de ses parcours inattendus, mille preuves de ses rencontres, qui sont autant d'échanges d'amitié emplis de bienveillance. Pourtant il ne sait pas réellement pourquoi il prend la route...
Nous nous surprenons, nous lecteurs, à avoir envie de connaître ces villages aux noms si poétiques, de voir à notre tour ces paysages magnifiques, et pourquoi pas de croiser aussi sur une aire d'autoroute quelques-unes de ces belles personnes, généreuses, accueillantes, toutes différentes, qui sans attendre de retour, n'hésitent pas à prendre à leur bord un parfait inconnu, à faire connaissance avec lui, et même parfois à lui offrir l'hospitalité.
J'en ai besoin, il a fini par dire. Je crois que c'est ça, tout simplement. J'en ai besoin. Il y en a qui ont besoin de faire du sport. Il y en a qui boivent, qui sortent faire la fête. Moi, j'ai besoin de partir. C'est nécessaire à mon équilibre. Si je reste trop longtemps sans partir j'étouffe.
Sa voix tremblait un peu, on sentait l'effort qu'il faisait pour formuler tout ça.
Dans une écriture sensible toute en délicatesse et simplicité, l'auteur nous livre ici une belle histoire de liberté, d'amitié et de tolérance mais aussi d'amour.
Il nous montre que quel que soit le chemin que l'on choisit de vivre on peut trouver le bonheur.
Il ne porte aucun jugement sur cet incroyable voyageur qui nous interpelle dans notre petite zone de confort, et nous invite comme il le fait pour Sacha, à le suivre à la rencontre des autres, ce qui requiert, "comme pour la pêche", nous dit-il, patience, curiosité, doigté...et passion !
"Il est temps de réaliser vos rêves", nous dit-il aussi en filigrane, et sans tarder, de découvrir les merveilles qui vous entourent, mais il temps aussi de savoir faire des choix et choisir... c'est aussi renoncer.
Je ne me suis pas ennuyée une seconde en le lisant, comme je l'ai vu dans des critiques ici ou là sur internet. De plus, il se termine par une scène emplie d'humanité, qui fait du bien et qui nous permet de vérifier que ce que nous pensions de l'autostoppeur, était vrai. Je ne vous en dirai pas davantage...
Malgré toute la poésie et la générosité qui transparaît dans ces pages, c'est avec un pincement au cœur que j'ai pensé à Agustin en refermant ce roman, vous comprendrez pourquoi en le lisant.
Souvent je me dis que c'est avec eux qu'il faudrait tout recommencer. Souvent j'y songe, je me dis que si on devait refaire le monde, partir sur un autre continent ou une autre planète, réinventer la société avec un échantillon d'humanité pris au hasard, représentatif malgré tout de la variété des hommes et des femmes d'aujourd'hui, ce serait un bon critère. Des gens pas froussards. Solides...tous capables d'ouvrir leur porte.