Les livres et moi, mes coups de coeur, mes découvertes, mes créations ou mes voyages : intellectuels, spirituels, botaniques ou culinaires...
Dieu savait ce qui se tramait et ne l'empêcha pas. Les puissances étrangères étaient informées de l'existence de liste des personnes à tuer, de caches d'armes. Elles ne firent rien pour arrêter notre extermination...
Les enfants vous gardent en vie. Vous m'avez sauvée de la folie des hommes. Aussi longtemps que j'ignorais ce que vous étiez devenus, que je ne savais pas si vous vous en étiez sortis, une force surhumaine me poussa à me battre.
C'est l'histoire d'une famille marquée par le génocide des Tutsi, au Rwanda en 1994, un génocide perpétré par les Hutu, qui allait faire un million de morts en quelques mois.
Immaculata la mère et Blanche la fille qui a été envoyée en France avant les événements, tentent de renouer le dialogue sans réussir pour autant à se dire l'essentiel...
La mère restée au pays ne doit sa survie qu'à un libraire qui l'a cachée dans sa cave.
Bosco, le frère s'est enrôlé dans l'armée de rébellion. Il en est revenu meurtri lui-aussi...d'avoir vu les horreurs de la guerre et ce que l'homme est capable de faire à son semblable.
L'incompréhension est totale quand elles se retrouvent après plusieurs années de séparation.
Blanche culpabilise de n'avoir pas pu être là, près de sa famille, de ne pas avoir vécu les événements traumatisants, de n'avoir pas vu l'horreur, la famille et les proches couverts de sang...Immaculata, elle, s'est enfermée dans le silence.
La maison est pourtant toujours debout, les odeurs, les couleurs, le banc, sous le jacaranda en fleurs, sur lequel son frère et elles s'asseyaient pour écouter les histoires que leur contait leur mère et avant elle leur grand-mère.
Comment réparer les cœurs abîmés quand la séparation a creusé un tel fossé d'incompréhension ?
Peut-on rassembler ceux que l'histoire a dispersés ?
Comment reprendre la vie là où on l'a laissé, lorsqu'on en a commencé une autre, ailleurs ?
Comment Blanche peut-elle expliquer à Stokely, son fils né en France, ce que sa grand-mère a vécu au Rwanda ?
Il faudrait d'abord qu'elle même arrive à le savoir...
Car il n'y a pas que la guerre qui a marqué les esprits, il y a aussi tous les non-dits qu'Immaculata n'a jamais voulu leur révéler sur leur père respectif.
Le père de Bosco était un démocrate hutu, emprisonné puis assassiné alors qu'Immaculata était enceinte, celui de Blanche, un français expatrié obligé de quitter précipitamment le pays...
Stokely comprit que sa mère portait en elle des mots fantômes, des mots d'enfance endormis dans un jardin en friche qu'une pluie lointaine pourrait un jour ressusciter. Oiseaux de vie.
Voici un premier roman émouvant qui mérite qu'on s'intéresse de près à cette jeune auteure franco-rwandaise.
C'est un roman choral bouleversant qui donne la parole à chacun des personnages, chacun expliquant son propre point de vue et s'adressant à un de ses proches. Il met en avant trois générations qui cherchent à se comprendre...et tentent de réunir leur cœur "en lambeaux" (presque quatre en fait, car Immaculata nous parle aussi de sa propre mère).
Dans ces pages, l'auteur ne parle que très peu du génocide. Si vous voulez en apprendre davantage sur cette page noire de l'histoire, passez votre chemin.
Mais le génocide est bien présent dans chacun des personnages puisqu'il y a un avant, et un après. Tout est dans l'émotion, le ressenti, les non-dits, dans les blessures non refermées, simplement étouffées...
C'est donc un roman plutôt intimiste sur le traumatisme, sur l'importance de la transmission pour les générations futures, pour savoir d'où on vient, trouver un sens à sa vie, se construire une identité métisse qui permette de découvrir sa propre voie (voix), faire la paix avec le passé...et trouver sa place dans le monde d'aujourd'hui.
"Tous tes enfants dispersés" est le début d'une prière et devient ici le roman de tous les exilés, ceux qui ont quitté leur pays et qui tentent de se construire entre deux mondes, entre deux cultures, entre deux langues...
Posséder complètement deux langues, c'est être hybride, porter en soi deux âmes, chacune drapée dans une étole de mots entrelacés, vêtement à revêtir en fonction du contexte et dont la coupe délimite l'étendue des sentiments à exprimer. Habiter deux mondes parallèles, riches chacun des trésors insoupçonnés des autres, mais aussi, constamment, habiter une frontière.
L'auteur, née à Butare au Rwanda en 1979, a survécu au génocide des Tutsi.
Elle trouve ici le ton juste pour nous parler de ces vies coupées. Sa plume poétique et emplie de sensibilité est une belle découverte.
Ses nouvelles que je n'ai pas encore lues "Ejo" et "Lézardes", parues en 2015 et 2017, ont reçu le Prix François-Augiéras, le Prix de l'Estuaire et le Prix du livre Ailleurs.
Ce pays se relèverait je n'en doute pas, même si cela devait prendre trente ans, il y aurait des bras, la volonté de tous ceux qui avaient rêvé de lui durant trois décennies de loin, la culpabilité de ceux qui l'avaient détruits et celle du monde qui les avait laissés faire, les ressorts inouïs que se trouveraient les survivants pour aller de l'avant et offrir un autre horizon aux enfants qu'ils auraient. Mais les cœurs ne se réparent pas comme on le fait d'un toit, d'une route ou d'une ville rasée...
Laisse ceux qui sont assez solides écrire leurs histoires, dont je sais mieux que toi combien elles sont nécessaires à l'humanité...