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Les livres et moi, mes coups de coeur, mes découvertes, mes créations ou mes voyages : intellectuels, spirituels, botaniques ou culinaires...

A la ligne / Joseph Ponthus

Edition La Table Ronde, 2019

Edition La Table Ronde, 2019

J'écris comme je travaille
A la chaîne
A la ligne

A l'agence d'intérim on me demande quand je peux commencer
Je sors ma vanne habituelle littéraire et convenue
"Et bien demain dès l'aube à l'heure où blanchit la campagne"
Pris au mot j'embauche le lendemain à six heures
du matin

"A la ligne" sous-titré "Feuillets d'usine" est le premier roman de Joseph Ponthus.

C'est un roman-récit-témoignage qui a reçu cette année le Prix RTL-Lire 2019, Le Prix Régine-Deforges, le Prix Jean Amila-Meckert, le Prix du premier roman des lecteurs des bibliothèques de la Ville de Paris...ce que j'ignorais totalement lorsque je l'ai emprunté à la médiathèque de mon village.

 

Ce roman largement autobiographique, retrace la vie quotidienne d'un jeune diplômé, ayant fait des études pour être éducateur, mais parce qu'il a suivi sa femme en Bretagne, il ne trouve pas d'emploi vacant dans sa branche.

A près de 40 ans, lui qui a la tête pleine des chansons entraînantes de Charles Trenet ou plus tristes de Barbara, qui a lu Dumas entre autres et connaît par cœur des poèmes d'Apollinaire et d'Aragon, est obligé pour vivre, de s'inscrire dans une agence d'intérim et d'accepter n'importe quel boulot. Banal me direz-vous aujourd'hui ! 

 

Le narrateur nous raconte ses découvertes, ses déboires, ses amitiés, ses révoltes et ses angoisses...lors de ses "missions", effectuées tour à tour dans une conserverie de poissons bretonne, puis dans un abattoir de la région, expérience plus terrible encore.  

Il nous fait entrer dans la peau du travailleur à la chaîne (on dit "à la ligne..."aujourd'hui, sous-entendu "de production"), dans ses souffrances physiques et psychologiques. Il nous décrit, lui qui se considérait jusque-là comme un "intello", à quoi il se raccroche, ce qui le sauve de l'ennui, ce qui lui permet de tenir jusqu'au soir, mais aussi son impression et sa peur de perdre son humanité.

L'usine est encore là lorsqu'il rentre à la maison le soir et ne le quitte en fait jamais... 

 

Mon avis

 

C'est rare qu'un ouvrier trouve le courage le soir en rentrant chez lui de prendre un stylo et d'écrire sur son quotidien et celui de ses camarades. Parce qu'il a fait des études et aime écrire, le narrateur arrive à arracher quelques mots à son esprit fatigué, et à écrire quelques lignes pour décrire son quotidien, un quotidien que je connais bien puisque mon propre père était ouvrier. 

 

C'est un roman original puisque entièrement écrit en vers libres, une liberté que l'auteur se donne, uniquement pour nous faire découvrir la vie ouvrière d'aujourd'hui, les gestes répétitifs du quotidien, la cadence souvent intenable, le réveil trop matinal, le froid, la banalité de la vie, l'épuisement, mais aussi l'entraide et l'amitié qui remontent le moral quand on ne sait pas de quoi demain sera fait. 

 

L'auteur écrit en allant à la ligne et sans aucune ponctuation (sauf pour les citations) et ce mode d'écriture donne un rythme particulier au roman. Cela peut certes dérouter le lecteur pendant quelques pages, mais je vous assure qu'on s'y fait très vite et qu'en plus, cela donne de la profondeur au récit. 

Le lecteur découvre avec surprise une plume tantôt légère et drôle, tantôt dure et emplie de colère,  tantôt émouvante... mais toujours réaliste, juste et terriblement poétique au final. 

 

Je pensais tout savoir sur ce monde qui a marqué ma jeunesse à jamais, j'ai moi-même travaillé durant de courtes périodes, lors de jobs d'été d'étudiant, dans une usine d'emballage de fruits  mais ce n'est rien, ce que j'ai vécu, par rapport à ce que nous décrit l'auteur ! Il nous secoue c'est certain, et c'est voulu. Cela nous permet de mieux  comprendre de l'intérieur, "dans les tripes", à quel point la charge de travail titanesque amène les hommes à être de plus en plus soumis, dans l'intérêt de l'entreprise certes et du maintien de leur emploi, mais surtout au nom de la productivité et de la rentabilité, lesquelles se moquent bien de l'humain. 

Il est certain, qu'à la lecture de ce livre, le lecteur ne peut pas s'empêcher de penser que, si on ne vit pas de l'intérieur le travail en usine, on ne pourra jamais le comprendre vraiment, ce qui devrait faire réfléchir nos dirigeants. 

Entre les lignes, le lecteur découvre la vie privée du narrateur, son couple uni, l'arrivée à la maison le soir où son jeune chien l'attend et l'oblige à aller se promener même lorsqu'il n'en peut plus, les week-end qui ne servent qu'à retrouver un peu d'énergie pour reprendre avec courage la semaine suivante...

 

J'ai aimé lire ce récit. Tout ce que l'auteur raconte est indispensable pour obliger le lecteur à être attentif, à mieux comprendre le monde ouvrier, la précarité de l'intérim, et la détresse morale de ceux qui bossent pour manger (et uniquement pour ça et payer leur loyer) dans des conditions dignes d'un autre siècle que le nôtre, ce qui devrait tous nous interpeller.  

Voilà donc un roman-récit-témoignage qui vaut la peine d'être lu pour mieux comprendre les conditions de travail des ouvriers d'aujourd'hui à qui on ne donne que trop rarement la parole (ou seulement au moment où leur usine ferme). Car ils l'aiment leur usine, ils aiment leur travail comme tout un chacun, et le réalisent du mieux possible. Ils en ont besoin pour vivre, pour se sentir utile dans notre société trop égoïste où le "chacun pour soi" prime, mais à quel prix pour leur vie, pour leur famille, pour leur santé ! 

 

Ce livre met donc en valeur le monde ouvrier, sans être un livre anti-patron pour autant, il parle tout simplement des conditions de travail déshumanisantes certes, mais aussi de la solidarité qui permet de tenir le coup et prend de plus en plus d'importance de jour en jour dans les équipes de travail.

 A lire donc...

L'autre jour à la pause j'entends une ouvrière dire à un de ses collègues
"Tu te rends compte aujourd'hui c'est tellement speed que j'ai même pas le temps de chanter"
Je crois que c'est une des phrases les plus belles les plus vraies et les plus dures qui aient jamais été dites sur la condition ouvrière
Ces moments où c'est tellement indicible que l'on n'a même pas le temps de chanter

L'usine m'a eu
Je n'en parle plus qu'en disant
Mon usine
Comme si petit intérimaire que je suis parmi tant d'autres j'avais une quelconque propriété des machines ou de la production de poissons ou de crevettes

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T
Bonsoir Manou<br /> J'avais essayé en vain de lire ce "roman" que dasola avait, elle, lu et commenté... Je pense que j'avais été vraiment rebuté par le style, vu que la littérature "poétique" n'est pas vraiment "mon style". <br /> Par contra, j'avais apprécié jadis un ouvrage que Joseph Ponthus avait "coordonné du temps où il était animateur: "Nous... La cité".
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M
Je te comprends ce n'est pas facile d'aborder ce genre d'écrit sans ponctuation et sans véritable phrase...Je ne connais pas cet autre titre de Joseph Ponthus ...je le chercherai en médiathèque...Merci pour ce conseil de lecture. Belle journée
D
Merci merci pour ce billet. Cela me donne très envie de lire ce livre.
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M
J'ai fait une belle découverte et je ne regrette pas ma lecture :) Bon dimanche
Z
Je l'ai retenu à la bib de mon village, mais il faut que le livre sorte d'une autre bib pour venir jusqu'à moi, trajet long, très long !
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M
Le sujet ne vieillira pas d'un poil quand tu le liras...
D
le thème me fait un peu peur mais j'ai envie de découvrir ce livre.
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M
Comme moi, tu seras choquée par beaucoup de choses...en particulier les pages concernant le travail dans les abattoirs. Perso je veux savoir donc rien ne m'arrête quand je me trouve face à un témoignage réaliste et sincère, mais je comprends que d'autres personnes choisissent de se protéger, c'est humain et chacun a ses raisons...
E
il est toujours dans ma PAL je n'arrive pas à me décider....<br /> peut-être que c'est un thème tellement présent dans la société actuelle...<br /> il y a tellement de souffrances dans le monde actuel et un tel sentiment d'impuissance que je préfère aller vers Zola c'est moins proche... Est-ce que les choses ont vraiment évolué depuis "L’Assommoir" ....
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M
Comme toi j'ai mis du temps à me décider à le lire, j'ai même prolongé mon prêt à la médiathèque et puis quand je l'ai commencé, j'ai été prise aussitôt par le récit...Seules les pages où il décrit le travail dans les abattoirs sont difficiles en fait, mais bien entendu il s'agit de la sensibilité de chacune...Mais tu es raison, depuis Zola pas grand chose a changé à part en occident, en ce qui concerne le travail des enfants ce qu'on ne peut pas dire pour d'autres pays.
D
" L’usine m’a eu "<br /> Un peu comme moi qui au bout de vingt ans dans la même entreprise m’étais mis à en parler comme d’une amie ! Je fus licencié comme les autres. Bonne journée à toi – daniel
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M
C'est le ressenti de beaucoup de "travailleurs" comme s'ils avaient besoin de s'approprier leur lieu de travail pour se sentir exister davantage...comme tu le dis, cela n'empêche pas les licenciements, hélas, ou la précarité quand comme l'auteur de ce livre, on est intérimaire. Bises et une belle journée à toi aussi
A
Je l'ai trouvé moi un peu en-dessous de ce monde qu'il décrit. A cause de la forme, sans doute.
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M
Je n'ai pas été gênée par la forme mais j'ai lu sur le net que cela avait dérangé pas mal de lecteur. Je comprends mais j'en suis surprise...perso au bout de trois pages je n'y pensais plus !
A
J'ai lu ce livre il y a quelques temps, pas facile surtout le passage sur les abattoirs et la souffrance animale hélas toujours d'actualité! si ça peut faire réfléchir, c'est toujours utile mais j'ai vraiment admiré le courage de ces ouvriers, la dureté de leurs conditions de travail et c'est vraiment solaire d'utiliser la littérature pour lutter contre la misère humaine. Excuse moi si je suis moins présente mais quelques petits soucis me tiennent éloignée du net pour l'instant. Bises et bonne journée
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M
J'espère que ce n'est rien de grave... Tu sais tu n'as pas à t'excuser je comprends et surtout chacun fait comme il peut dans la vie...Je suis d'accord avec toi en ce qui concerne les passages sur les abattoirs que j'ai trouvé très durs moi-aussi, mais qui hélas correspondent à ce que je savais déjà. Je n'ai pas voulu sciemment insister là-dessus dans ma chronique parce que je ne voulais pas que cela détourne des lecteurs potentiels de ce livre qui d'après moi, est vraiment à découvrir...Merci pour ton passage ici. Bises et bon courage, j'espère que tes soucis vont s'arranger très vite, tu en a eu bien assez ces derniers temps
C
Très intéressant. Mon homme a vécu quelques temps en Bretagne et seuls emplois possible : du saisonnier sur bateau et ostréiculteurs.<br /> Bonne journée !
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M
C'est pareil chez nous, les emplois saisonniers dominent le marché du travail...Hélas !
É
Bonjour Manou. Je ne suis pas sûre d'aimer le style d'après ce que tu en dis mais le récit m'intéresse. Bonne journée et bisous
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M
On se fait très bien au style cela n'a pas été un problème...au bout de trois pages on oublie et on se laisse guider par le rythme. Bisous
R
It sounds like he has in interesting style of writing. Friendship
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R
C'est étrange de lire sans ponctuation perso n'aime pas mais le livre doit être intéressant. Merci de le signaler. Bisous
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M
Emma m'a rappelé que "Charlotte" de Foenkinos était écrit comme ça, je l'avais oublié, tu vois donc cela ne m'a pas traumatisé, on s'y fait très vite je trouve :) bisous et une belle journée
P
Je pense que ce livre doit te prendre aux tripes ! C'est puissant.<br /> Parfois c'est exact on ne peut faire ce que l'on a envie de faire mais comme la vie est là il faut bien accepter pour vivre. Oui, écrire après une rude journée c'est peut-être faisable pour un homme. Mais je ne vois pas une femme pouvoir le faire. En rentrant il faut s'occuper de la maison et des enfants ... la fatigue est là !
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M
Tu as raison ! Même aujourd'hui où les jeunes partagent davantage les tâches ce sont encore les femmes qui consacrent le plus de temps aux enfants et à l'entretien de la maison. Mais les hommes se mettent à la cuisine, ça aide aussi :) Bisous et une belle journée
C
Ce doit être une lecture à la fois prenante et éprouvante. Nous sommes dans une société où la communication est si édulcorée qu'un peu de vision réelle est appréciable, même si elle fait mal. Pour le style, je ne sais pas, je viens de découvrir le vers libre récemment... il faut voir. Merci pour ta critique. Bisous
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M
Je t'assure que le style s'oublie très vite ! Le sujet m'intéressait beaucoup alors bien entendu ça aide...Bisous et une belle journée
F
Un sujet intéressant, merci Manou pour ce nouveau partage<br /> Bisous et douce journée
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M
Merci de ton passage Laure. Passe une belle journée. Bisous
V
c'est le cas de mon mari ça...un boulot qui n'a rien à voir avec ses diplômes....gros bisous Manou. cathy
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M
Hélas c'est assez fréquent et souvent c'est encore plus difficile à accepter...bisous
M
Je pense que je vais le lire après la dizaine de livres que j'ai en attente ! Quand j'étais en activité j'étais consultante emploi et je connais bien les métiers de l'industrie et notamment les ouvriers. J'ai visité beaucoup de chaînes de production et j'ai rencontré beaucoup d'ouvriers qui m'ont décrit leur métier. Certains ouvriers aiment leur métier même si il est très difficile et ils ne veulent pas en changer quand on leur propose une reconversion. Certains réussissent de belles reconversions et c'est toujours une satisfaction pour le consultant qui les a accompagnés. Ce livre m'intéresse forcément. Bisous
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M
Forcément tu vas porter un autre regard que le mien car tu as déjà vu tout ça de l'intérieur si je puis dire ! Il te plaira alors :) bisous et une belle journée
M
La vie nous joue parfois de mauvais tours... La condition ouvrière n'a jamais été des plus faciles, et les fins de mois sont difficiles... En tant que fille d'ouvrier, j'ai connu ça! Un roman sans ponctuation... à voir! <br /> Merci pour le partage Manou!<br /> bisous
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M
Je t'assure qu'on s'y fait très vite...Je ne regrette pas ma découverte ! bisous et une belle journée
D
un livre particulièrement tentant que tu as raison de proposer
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M
Je pense que c'est une belle immersion dans ce milieu que l'on connait mal et dont on oublie trop facilement les problèmes...
M
Je crois que j'avais vu une émission ( la grande librairie) où il passait... J'ai bien l'intention de le lire, surtout que l'écriture paraissait originale...
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M
J'ai raté cette émission mais tiens tu me donnes envie de la rechercher pour l'écouter à présent ! Merci