Les livres et moi, mes coups de coeur, mes découvertes, mes créations ou mes voyages : intellectuels, spirituels, botaniques ou culinaires...
C'est à cette époque-là que j'ai compris que les gens de mon île ne pouvaient compter que sur eux-mêmes pour se soucier de ce qui aurait pu leur arriver. Autrement dit, qu'ils étaient seuls au milieu de la mer.
Je ne connaissais pas la littérature africaine de Guinée équatoriale écrite en espagnol, les écrivains équato-guinéens étant plutôt mal connus. Il faut dire aussi que j'avais oublié que la Guinée équatoriale avait été la seule colonie espagnole d'Afrique. Ce qui est intéressant c'est qu'une littérature en espagnol s'est maintenue jusqu'à aujourd'hui, comme c'est le cas de la littérature francophone dans les pays qui sont d'anciennes colonies françaises.
J'ai donc accepté de découvrir ce roman avec grand plaisir n'étant pas certaine de le trouver en médiathèque, vu que c'est seulement le second livre de l'auteur traduit en français.
En fait, ce n'est pas seulement un roman c'est aussi une fable, un témoignage, imprégné des coutumes de ce petit pays, un documentaire sur ce pays que je ne connais pas et sur lequel je n'avais jamais rien lu.
C'est donc une belle découverte !
L'auteur qui a lui-même passé une partie de son enfance sur l'île d'Annobon dont ses parents étaient originaires, nous raconte à travers le regard et la voix d'un enfant, la vie quotidienne des habitants d'une petite île perdue au milieu de la mer atlantique, et située quelque part vers l'équateur.
Il y a là quelques villages éparpillés sur la côte. Ils sont formés de quelques habitations sommaires regroupées près de la mer. Les habitants sont pauvres et manquent de tout.
Les pères sont partis au loin travailler sur un bateau et les enfants ne se souviennent pas de la dernière fois où ils sont venus au village. Les femmes cultivent un maigre lopin de terre pour tenter d'en tirer quelques subsides.
Les enfants rendent de menus services, vont chercher l'eau pour les personnes âgées du village, aide à ramener les récoltes à la maison, mais ils aiment avant tout jouer, courir dans les bois ou sur la plage, et ramasser les fruits sauvages.
Les hommes âgés pour la plupart, qui ne sont pas partis pêcher sur les gros bateaux, ramènent dans leurs filets des poissons qui seront ensuite partagés par la communauté.
Quand ils ne sont pas à l'école pour y apprendre l'alphabet idéovisuel ou à compter jusqu'à cinq cents, ou en train d'aider les femmes, les enfants regardent, écoutent mais ne comprennent pas tout des us et coutumes qui les entourent, alors ils interprètent et s'inquiètent.
C'est ce que fait le jeune narrateur de l'histoire...
Il nous conte donc la vie quotidienne de sa famille et des habitants du village, entrecoupée de mystères, de croyances, de doutes, d'interrogations et de joies. Cela donne un méli-mélo agréable à lire, à la fois réaliste, imagé, poétique et empli d'humour...
Ils n'ont rien à manger et en sont réduits souvent à se nourrir de piment et d'une maigre galette pour tromper leur faim, car le grand-père, le seul homme de la maison ne peut pas, pour une raison inconnue mais qui nous sera dévoilée à la fin, se rendre à la maison commune des hommes, le "vidjil, pour y rencontrer d'autres hommes de son âge et aider ceux qui rentrent de la pêche, donc y obtenir sa part de poisson.
Mais ils sont heureux à leur façon...
Un jour le drame s'abat sur le village, la forêt s'enflamme, et le feu ravage toutes les maigres plantations des habitants de l'île.
C'est alors le début d'une série de malheurs qui semble ne jamais devoir s'arrêter...
Dans un style proche du récit oral, l'auteur nous emmène sur cette île oubliée du monde où la pauvreté règne. Les habitants n'ont qu'un espoir, celui de voir arriver un bateau de pêche qui en échange des poissons pêchés dans leurs eaux, leur donneront savon, tissus, tabac, alcool et autres denrées rares.
L'auteur emploie toutes les ficelles de l'oralité pour nous plonger dans son récit : répétitions, questionnements, digressions qui parfois nous perdent un peu, c'est bien vrai (!) mais attisent aussi notre curiosité et donnent son rythme au récit.
Les légendes et croyances font partie intégrante de la vie de ces habitants de l'île, perdus loin de toute civilisation, qui n'hésitent pas à punir avec cruauté ceux par qui le malheur est arrivé, ou à donner à "manger" au roi de la mer, se démunissant ainsi du peu qu'ils possèdent, quand ils le jugent nécessaire. Ils ont peur du noir et ne sortent la nuit que pour satisfaire des besoins naturels et gare à celui qui croise une femme se baignant nue dans la mer...
Un roman dépaysant que j'ai eu du plaisir à découvrir et qui commence en chantant...
La chanson commençait ainsi :
Le maître :
Aleee, vous, et vous ici, tirez donc un peu.
Tous : Alewa !
Le maître : Aaaalee, tirez donc un peu.
Tous : Alewa !
- Aale, toma suguewa.
- Alewa !
- Aaaalee, toma suguewa.
Alewa !
...
C'est pour moi la plus belle chanson du monde et celle qui ravive le plus de souvenirs en moi, celle qui m'apporte le plus de nostalgie de ma terre.
Je remercie Solanhets, l'éditeur, et Babelio pour leur confiance...
Ce roman est traduit de l'espagnol (Guinée équatoriale) par Vincent Ozanam.
Né en 1966 à Malabo, la capitale de la Guinée équatoriale, Juan Tomás Ávila Laurel a passé une partie de son enfance sur l’île d’Annobón, dont ses parents étaient originaires. Auteur de nombreux ouvrages, il a abordé des genres littéraires variés. Il vit aujourd’hui à Barcelone. Dans la nuit la montagne brûle, publié en espagnol en 2009, est son deuxième livre traduit en français après "Sur le mont Gourougou" (Asphalte, 2017).
[Source : https://www.decitre.fr/ ]