Les livres et moi, mes coups de coeur, mes découvertes, mes créations ou mes voyages : intellectuels, spirituels, botaniques ou culinaires...
Le vieil homme que je suis ne peut aujourd’hui évoquer ce livre sans perdre sa trace dans le passé. Parfois, avant de m'endormir, une phrase, un paragraphe, un personnage de cette oeuvre de jeunesse m'obsède : alors, dans une sorte de rêve les mots émergent et tissent autour de cette vision le souvenir mélodieux d'une lointaine chambre à coucher du Colorado...
Arturo détestait cette période, car il pouvait oublier sa pauvreté si les autres ne la lui rappelaient pas : chaque Noël était semblable, aussi désespéré que le précédent...
Poursuivons si vous le voulez bien, la découverte des œuvres de John Fante...
Le lecteur retrouve le jeune Arturo Bandini durant son adolescence. Il a 14 ans et vit dans une petite ville du Colorado. Donc le roman se situe chronologiquement avant "La route de Los Angeles" bien qu'il ait été écrit par l'auteur, après.
Arturo nous conte son enfance au milieu de sa fratrie, ses jeux avec ses deux frères, August et Frederico, ses taquineries parfois violentes (c'est lui l'aîné) et sa vie quotidienne. Tous trois vont dans une école catholique où ils vivent leur vie de jeunes garçons bien que rien chez eux ne se passe comme chez les autres.
Arturo est empli de contradiction : il aime sa mère et adule son père, tout en les détestant. Il s'en prend à la bigoterie excessive de sa mère et tremble devant son père, ce héros dont il a si peur...
A l'école, il est souvent puni ce qui occasionne encore plus de rejet du côté de ses camarades. Il souffre en particulier que la jolie Rosa, italienne comme lui, repousse ses avances et n'accepte pas de lui parler. Il est prêt à tout pour lui prouver son amour, même à voler sa propre mère qui ne possède pas grand chose pourtant.
Maria, la mère est toute douceur et résignation. Entre deux repas, qu'elle organise comme elle peut, vu que le ménage vit à crédit, elle passe le temps en déroulant son chapelet, tout en regardant par la fenêtre et en rêvant à des jours meilleurs : elle remet sa vie entre les mains de Dieu, ce qu'Arturo ne supporte pas !
Il ne supporte pas non plus que les autres la considère comme une "pauvre créature". Cela l'obsède, l'attriste, le révolte...
Svevo, le père s'ennuie en famille et va au bar, jouer aux cartes et boire un verre, tout en attendant la fin de l'hiver qui l'empêche d’exercer son métier de maçon au-dehors. Excessif, il ne supporte pas la pauvreté et ne se résigne pas à son sort, voulant appartenir coûte que coûte à l'Amérique, se sentant américain plus qu'italien et ne comprenant pas pourquoi ce pays ne l'accepte pas avec tout ce qu'il a fait pour lui.
L'argent manque cruellement mais encore plus durant cette période de l'année, proche de noël, que tous détestent car ils savent bien que ce noël sera comme les précédents, qu'ils rêveront devant les vitrines, à des cadeaux que jamais ils n'auront...
Un soir où le père a rejoint son ami Rocco, il ne revient pas à la maison. Svevo est soupçonné de fréquenter une des riches veuves de la ville pour qui il a travaillé occasionnellement...
Très vite, la nouvelle se répand dans la petite communauté et la mère tombe alors dans une terrible dépression : les trois garçons doivent à présent se débrouiller complètement seuls...
Dire qu'il était venu ici pour essayer de ramener son père à la maison ! Il avait donc perdu la tête. Pour rien au monde, il n'aurait profané l'image de son père rayonnant dans la splendeur de ce nouveau monde. Sa mère devrait souffrir ; ses frères et lui-même auraient faim. Mais leur sacrifice serait récompensé. Ah, quelle vision merveilleuse ! Comme il dégringolait au bas de la colline, bondissant sur la route et lançant parfois une pierre dans le ravin, son esprit se nourrissait voracement de la scène qu'il venait de contempler.
Mais un seul regard au visage émacié et ravagé de sa mère plongée dans un sommeil qui n'apportait aucun repos suffit à ranimer la haine qu'il éprouvait pour son père
Dans ce roman en partie autobiographique, John Fante décrit son adolescence au plus près de la réalité et, parce que le lecteur sait que la plupart des événements ont été réellement vécus par l'auteur durant son enfance, il est d'autant plus émouvant.
Ainsi John Fante a réellement vu ses parents se séparer, son père étant parti avec une autre femme ; il a réellement connu la pauvreté, le rejet des autres enfants de son âge, même de ceux issus de l'immigration.
Le jeune Arturo n'a plus que ses rêves pour échapper à une réalité qui le dépasse. C'est un adolescent torturé mais à la sensibilité à fleur de peau.
John Fante nous livre encore ici un roman empli de tendresse mais aussi de cruauté. Rien n'est épargné au jeune Arturo Bandini, l'alter égo de John Fante !
Mais l'humour décapant de l'auteur, son talent pour nous émouvoir à travers des situations réalistes et sans pathos, ne pourra laisser le lecteur indifférent.
C'est un roman de John Fante que j'ai découvert avec plaisir car je ne l'avais jamais lu. Écrit avec simplicité et sans fioriture, il nous décrit la vie des immigrés italiens du début du XXe siècle et la difficulté pour eux de s'intégrer dans une Amérique qui ne veut définitivement pas d'eux.