Les livres et moi, mes coups de coeur, mes découvertes, mes créations ou mes voyages : intellectuels, spirituels, botaniques ou culinaires...
C'était un dimanche et on en était au tout début de notre mariage.
C'était la première fois que je voyais quelque chose d'aussi grand et dégagé.Même les champs, ce n'était pas comme ça...
Là c'était gigantesque, et en voyant la ligne où le ciel et la mer se touchent, j'ai pensé sur le coup que c'était par là-bas qu'on montait au ciel pour aller au paradis.
Les bin-ou-bin, on les appelle comme ça avec les filles, ce sont ces mecs qui ne savent pas quelle direction prendre dans la vie. Il y en a plein dans le quartier. Ce sont ces pères de famille respectables qui vont au travail tous les matins. Ils ont une maison, une voiture, des enfants, mais ils n'ont pas de vie. Ce ne sont pas des barbus, mais en même temps, ils ne font pas d'écarts : pas d'alcool, pas de femmes, rien.
S'ils sont comme ça ce n'est pas parce qu'ils le veulent détrompe-toi. C'est juste parce qu'il leur manque des couilles pour choisir d'être dans un camp ou dans l'autre. Alors ils font tout et son contraire. Ils cloîtrent leurs femmes à la maison mais...
Voici un premier roman intéressant à la fois sur le plan humain mais aussi pour mieux connaître le Maroc d'aujourd'hui, tel qu'il est, dans les grandes villes et en-dehors des circuits touristiques.
Il nous plonge dans la vie de Jmiaa, une jeune prostituée de Casablanca de 34 ans. Elle vit seule avec Samia, sa fille depuis que son mari qu'elle adorait mais qui montait toujours des plans foireux, s'est mis à la battre puis l'a obligée à se prostituer. Il est aujourd'hui parti vivre en Espagne où il a refait sa vie et finalement même si Jmiaa n'a pas eu de chance, elle se trouve mieux ainsi depuis leur divorce bien que de temps en temps, il lui demande encore de l'argent...
Elle a continué le seul métier qu'elle savait exercer... mais ne se considère pas comme malheureuse car elle trouve que Houcine, son "mac", la traite bien et la protège vraiment.
Jmiaa a une personnalité bien marquée. Elle est toujours optimiste quant à son avenir et rêve en regardant des séries télé dès qu'elle a un peu de loisirs. Mais elle n'a pas la langue dans sa poche et sait se faire respecter. Quand ça ne va pas, elle l'exprime haut et fort, et c'est bien vrai que son langage sans fard peut surprendre au début, mais il participe aussi à la découverte du roman et de la personnalité de la jeune femme.
Pour protéger sa mère, Jmiaa n'a jamais dit quel métier elle exerçait en ville, et c'est la raison pour laquelle, elle se décide à lui confier définitivement sa petite fille, qui grandit et risque à présent de tout comprendre et de rapporter ce qu'elle voit à sa grand-mère...
Jmiaa est une jeune femme intelligente, à l'esprit vif et elle se débat pour garder sa dignité ce qui représente, vu son métier, un combat de tous les instants.
Elle nous décrit son quotidien sordide, les hommes qui passent, son quartier, sa chambre...Il y a les habitués qu'elle connaît bien et auxquels parfois elle s'attache ou qu'au contraire elle ne supporte plus. Il y a les paumés, les flics ripoux, les drogués ou alcooliques.
Parmi eux, Chaïba et ses copains qui ne la respectent guère, boivent trop, roulent comme des fous...mais avec qui elle aime bien sortir de temps en temps pour s'amuser un peu. Jmiaa aussi, pour tenir le coup... boit trop, beaucoup trop et elle le sait, mais n'arrive pas à s'en empêcher.
Et puis il y a les filles, celles avec qui elle attend le client, qui partagent son quotidien. Rivalités, vacheries, disputes étayent leur vie mais au fond, elles restent solidaires...puisqu'elles sont dans la même galère.
Parmi elles, il y a Halima, qui sort de prison. Elle est dépressive et préfère lire le Coran au lieu de travailler. Toutes deux partagent désormais la même chambre ; et puis il y a Samira, son amie qui compte beaucoup pour elle, et partage tout les bons moments, comme les moins bons.
Mais voici qu'un jour, un de ses amis du quartier lui demande de rencontrer Chadlia, une jeune femme réalisatrice qui désire lui poser des questions sur son travail. Jmiaa finit par accepter et la surnomme aussitôt "bouche de cheval". En fait Chadlia veut faire un film sur la vie à Casablanca dans le quartier de Jmiaa et demande à celle-ci de lui raconter les détails de sa vie, et donc de l'aider à la réalisation du film.
Chadlia finit par enrôler Jmiaa comme actrice...c'est une nouvelle vie qui commence !
Au moment même où je l'ai aperçue, c'est comme si on m'avait frappée. D'un coup, j'ai senti le poids de ces deux années. Au jour le jour, tu n'as pas le temps de te poser des questions mais il y a des moments où, tu ne sais pas pourquoi, tu sens les choses. Et là, j'ai senti que Samia m'avait manqué...
Au vu du sujet, je ne pensais pas que ce livre serait aussi léger et empli d'humour.
Il est bâti comme un journal intime et se divise en chapitres qui correspondent à des années, de 2010 à 2018 exactement, mais le roman peut se diviser en deux grandes parties...il y a avant, et après !
J'ai aimé la première partie, très réaliste, le ton employé par l'auteur, le mélange de français populaire et d'arabe tellement imagé et expressif (il y a un glossaire bien utile à la fin). Jmiaa parle comme on parle dans son milieu et certains passages sortis de leur contexte, peuvent paraître empreints de vulgarité, mais cela ne m'a pas gêné et participe à l'ambiance.
J'ai aimé mieux connaître Jmiaa, ses rêves, sa façon de voir le monde qui l'entoure, et de se voir elle-même, et sa sincérité. Elle a sa propre philosophie de vie et même souvent un peu de naïveté, mais ses propos sonnent toujours justes. Le lecteur éprouve de la compassion pour elle et voudrait qu'elle s'en sorte... C'est ce qui lui arrive justement.
Par contre, j'ai trouvé qu'à partir du moment où Jmiaa devient actrice dans la seconde partie du roman, elle perd un peu de sa force, de sa personnalité et donc de sa crédibilité.
L'auteur, est elle-même d'origine marocaine et native de Casablanca, même si elle vit aujourd'hui en Amérique. Elle nous donne ici un premier roman remarquablement bien écrit et très rythmé. Elle nous décrit son Maroc natal sans concession : la vie misérable de ces femmes, entièrement soumises au désir des hommes, le quartier populaire où se côtoient les petites gens, les rumeurs, les trafics en tous genres, les rivalités mais aussi l'entraide, la solidarité et l'amitié entre femmes. Elle nous montre aussi bien l'attitude odieuse de certains hommes, que l'hypocrisie qui l'entoure, et l'emprise énorme de la religion et du Coran dans la vie quotidienne des gens du quartier.
C'est un livre profondément féministe qui ne donne pas le beau rôle aux hommes, c'est le moins qu'on puisse dire !
Voilà donc un jeune auteur à suivre, même si la fin du livre est un peu décevante par rapport à l'ensemble du roman, c'est une belle découverte pour moi.
En ce sens, je rejoins l'avis de Sandra à lire ci-dessous. C'est grâce à elle en effet que j'ai eu envie de découvrir ce roman. Et quand on sait que Sandra vit aujourd'hui à Casablanca, son avis compte...
La vérité sort de la bouche du cheval, de Meryem Alaoui La vérité sort de la bouche du cheval
J'ai choisi ce roman pour plusieurs raisons. D'abord, parce qu'il s'agit encore une fois d'un premier roman, écrit par une femme, marocaine de surcroît. La vérité sort de la bouche du cheval es...
https://bibliblog.net/verite-sort-de-la-bouche-du-cheval-alaoui/
Et puis, chacun son destin après tout. Je commence à croire en ces conneries. Qui aurait cru par exemple que j'allais jouer dans un film ? Qui aurait dit que j'aurais en plus le rôle le plus important et qu'ils me paieraient bien ? Qui ? Personne.
Peut-être qu'il y a des choses qui arrivent pour rien dans la vie. Et peut-être aussi que tout ce qui se passe, c'est déjà prévu, planifié, tracé, tout. Comme dans un film.