Les livres et moi, mes coups de coeur, mes découvertes, mes créations ou mes voyages : intellectuels, spirituels, botaniques ou culinaires...
Le noroît avait forci, mugissant comme un taureau furieux dont aucun obstacle ne venait entraver la course folle, ni forêts ni bosquets. Ouessant était une île dans arbres, à part ceux du cimetière, couverte d'une maigre pelouse où ne fleurissaient, en cette saison, que les roches de granit noir.
La plupart des veuves acceptaient la nouvelle sans révolte. Après tout, leur vie entière n'était rien d'autre qu'une longue attente, un lent apprentissage de la solitude. Que leurs maris soient morts ou bien en mer, au fond, quelle différence ? Elles avaient appris à vivre sans eux, à se débrouiller toutes seules.
Vers 1930, sur l'île d'Ouessant, la jeune Marie-Jeanne Malgom, tout juste devenue mère, apprend que son mari, Jean-Marie a péri en mer. Elle refuse d'y croire...ce qui inquiète son entourage.
Marie-Jeanne est une jeune femme terriblement seule. Mal acceptée depuis sa naissance par la petite communauté de l'île, car son père n'était pas originaire d'Ouessant, elle reste pour tous, la "fille du marsouin" et l'enfant d'une "fille de la pluie". Vous comprendrez pourquoi en lisant le roman.
Il semble même que tous autour d'elle se réjouissent de son malheur, sauf Fanch, l'adorable parrain de son mari, et Yves, l'éternel ami de la famille, l'unique aubergiste de l'île, qui la connaît depuis sa plus tendre enfance, et rêve en secret de l'épouser.
Dans cette île du bout du monde, traversée par les tempêtes, où les croyances et les légendes sont encore bien présentes, la jeune femme n'a qu'une seule solution, aller demander l'aide de Malgven, la magicienne-sorcière et de ses sœurs qui vivent cachées au fond d'une grotte.
Car, Marie-Jeanne en est certaine, son mari est non seulement toujours en vie, mais il a été pris dans les filets des Morganes...ces mystérieuses sirènes qui attirent les marins pour ne plus jamais les relâcher.
Elle ne va pas un seul instant hésiter, à signer un pacte de sang avec les magiciennes (en sacrifiant un agneau nouveau-né) dans l'espoir que son mari lui revienne avant la Toussaint, comme le lui a prédit la sorcière.
Mais alors que la date fatidique approche, et qu'elle a éconduit Yves, qui a fini par lui déclarer sa flamme, un jeune ornithologue, timide et émotif, vient s'installer pour quelques temps sur l'île, afin d'observer la migration des oiseaux.
Marie-Jeanne, est aussitôt très attirée par ce jeune homme charmant et c'est réciproque. Elle se sent renaître et prête à oublier son mari adoré. Mais le drame survient, ne lui laissant plus qu'un seul choix possible...
Quoi qu'elle décide, rien ne sera comme elle l'avait espéré...
Je les ai vues, tu sais, quand j'étais jeune...,poursuivit la vieille femme. C'était il y a bien longtemps. Tout a tellement changé, depuis. Le monde n'est plus le même. Personne ne croit plus à rien. On croit à peine à Dieu. Et plus du tout à la magie. Comment veux-tu que, dans ces conditions, les êtres de l'autre monde s'intéressent encore aux hommes ? Les sirènes, c'est comme les femmes. Elles ont besoin d'amour, sans ça elles dépérissent.
Dans une atmosphère particulièrement mystérieuse, oppressante, voire sinistre, l'auteur arrive à retranscrire avec réalisme l'ambiance de l'île au début du XXe siècle, les us et coutumes locales, les légendes qui se mêlent au réel, la rude vie quotidienne des pêcheurs et de leur famille, ainsi que les rumeurs qui ont vite fait de circuler d'une habitation à l'autre malgré la distance qui les sépare.
Nous faisons connaissance avec Marie-Jeanne et son fils Kado, mais aussi avec tout un panel de personnages.
C'est un roman à la fois historique et du terroir que j'ai trouvé noir, voire très noir ! Il y a des drames et beaucoup de violence tant verbale que physique, mais c'est un livre très prenant qui nous donne envie de savoir ce que l'avenir réserve à cette héroïne solitaire et tellement mal-aimée.
Evidemment, tout cela est voulu par l'auteur car au-delà de l'histoire de Marie-Jeanne, il veut nous faire vivre, comme à cette époque, sur cette île isolée du continent, où les femmes trop seules puisque leurs maris sont partis en mer, étouffent à force de vivre en huis-clos. Elles n'ont pour guide que le prêtre du village qui tente de les maintenir dans des rites et des croyances strictes, et de les effrayer pour les éloigner des pratiques païennes encore bien trop présentes à son goût.
Le lecteur pénètre peu à peu dans ce monde sordide et cruel, dans cette ambiance plutôt glauque où l'être humain se sent tellement seul face aux éléments qui se déchaînent...
J'ai aimé les descriptions de l'île. Cela m'a rappelé de bons souvenirs. En effet lors d'un de mes séjours en Bretagne, j'ai eu la chance de passer une journée sur l'île d'Ouessant et cette île m'a marquée : il y règne une ambiance vraiment spéciale tant elle est encore aujourd'hui sauvage.
J'ai aimé également les détails décrivant les traditions et les fêtes, y compris religieuses, comme la "proella" qui doit permettre à l’âme du marin perdue en mer, de revenir sur sa terre natale.
Je n'ai pas aimé par contre la façon dont les femmes sont considérées dans ce roman. Je sais bien que l'auteur n'a fait que retracer ce qu'on sait de cette époque, et de ce rude milieu de pêcheurs, essentiellement masculin, mais c'est presque étonnant de voir à quel point les femmes ne sont pas respectées et du coup, ne se respectent pas elles-mêmes. Elles vivent seules sur une île, complètement isolées de tout, en attendant pour la plupart de devenir veuves...car tel est leur destin à toutes. On s'attendrait à trouver une certaine solidarité entre elles, mais il n'en est rien et leur vie n'a rien de drôle dans cette ambiance.
Je n'ai pas aimé non plus, les passages où l'auteur parle de Mariannick, la jeune servante trisomique de Yves, l'aubergiste. Bien entendu il faut replacer encore une fois, les propos de l'auteur dans le contexte de l'époque. Yves a eu la bonté d'employer la jeune fille, alors que tout le monde la rejetait, mais la pauvre jeune femme doit subir sans cesse des propos méprisants de sa part et de la part des personnes qui fréquentent l'auberge. L'alcool aidant, la pauvre doit subir aussi des violences physiques qui m'ont mises carrément mal à l'aise.
Donc à la fois, ce roman est bien entendu à découvrir car il retrace l'histoire d'une époque, et la vie sur cette île sauvage, isolée du continent, mais il faut savoir que certaines scènes peuvent surprendre et choquer le lecteur.
Vous voilà prévenus...
C'était peut-être à cela, après tout, que servaient les simples d'esprit. Ils étaient des défouloirs. Des agneaux innocents que l'on pouvait impunément faire souffrir, car ils n'avaient ni l'intelligence de se plaindre ni la ruse de se venger.
En un instant, Yves comprit les raisons qui avaient conduit la mère de Mariannick à en faire son souffre-douleur.
Et cela lui fit peur...
Suite au commentaire de Quichottine mis ci-dessous, je vous précise que le tableau de couverture est une oeuvre de John William Waterhouse, intitulé "Miranda La Tempête" (1916). Merci à elle pour ce complément d'information. Je vous invite à lire l'article qu'elle avait rédigé à ce sujet...c'est un très beau tableau qui en effet a contribué à ce que je tende la main vers ce roman, pour l'emprunter en médiathèque.