Les livres et moi, mes coups de coeur, mes découvertes, mes créations ou mes voyages : intellectuels, spirituels, botaniques ou culinaires...
L'auteur, journaliste culinaire à "Libération" et tous les samedis matin sur "France culture", nous livre ici un premier roman émouvant et gourmand, qui se lit d'une seule traite.
Je compte les heures égrenées par la collégiale. Je décrète qu'avant la prochaine, je te demanderai pourquoi maman est partie sans me dire au revoir. Je suis orphelin de ses explications qui me rassuraient. Elle-même disait qu'il y avait une raison à tout.
...il n'y a pas de place pour l'imprévu.
Je voudrais que notre vie ressemble aux westerns. Tu serais éclaireur en pays comanche, chasseur de primes, chercheur d'or, trappeur...Nous chevaucherions dans l'inconnu, à la conquête de l'ouest. Il y aurait des embuscades dans les collines, des duels, dans le désert, des tempêtes de neige dans le Grand Nord...
Maman notait ta recette de poulet de Bresse. Elle utilisait un crayon à papier avec une gomme afin de pouvoir effacer quand tu hésitais.
- Il faut faire friller les morceaux de poulet dans une grande poêle.
- Friller ? avait demandé maman.
- Dorer quoi ! t'étais-tu exclamé avec une pointe d'ironie qui semblait dire : " C'est agrégée de français et ça ne sait pas ce que veut dire "friller".
Vous aviez ri et j'étais rassuré. Ce cahier de recettes, c'était peut-être une bonne idée.
Dans un restaurant de province, le "Relais fleuri", Henri attire sa clientèle quotidienne, par des plats simples mais savoureux, concoctés avec amour et mijotés pendant des heures avec des produits naturels.
Il s'est installé-là à son retour d'Algérie et n'a plus jamais envisagé d'en partir. Sa seule aide en cuisine, c'est Lucien, un compagnon de régiment qui comme lui a fait la guerre et est devenu un ami...et Nicole qui sert en salle.
En dehors du restaurant, Henri ne se consacre qu'à sa famille, à Hélène, sa femme qu'il admire et gâte beaucoup et à Julien, son fils.
Un jour pourtant, alors que tout semble aller à merveille, Hélène le quitte, le laissant seul avec Julien.
La vie continue pourtant, rythmée par le travail quotidien au restaurant et les dimanches solitaires et silencieux. Julien ne comprend pas pourquoi sa mère est partie mais ne pose pas de question.
Malgré la confection des repas qui laisse peu de place au farniente, et le savoir-faire culinaire extraordinaire qu'Henri aime partager avec sa clientèle, Julien sent que son père n'est pas heureux. Il semble encombré par un lourd secret qu'il ne veut partager avec personne.
Le lecteur cherche à comprendre pourquoi, alors qu'Henri a tant aimé cuisiner avec Julien, il refuse que celui-ci devienne cuisinier à son tour, et rêve de le voir devenir ingénieur, médecin ou enseignant...au risque de rater sa vie.
Alors que son père est à présent en fin de vie, et que Julien a repris depuis quelques temps le "Relais fleuri", il revient sur ses souvenirs d'enfance, le départ de sa mère, son adolescence solitaire, et le silence qui régnait dans la maison.
Il va chercher à retrouver ce fameux cahier, où Hélène avait, par amour, voulu consigner toutes les recettes du chef_avant que son père continue à le remplir lui-même de son écriture hésitante_un cahier mystérieusement disparu, qui était le seul lien qui reliait Julien... à sa mère.
C'est un roman émouvant qui m'a beaucoup touchée. Il parle d'amour filial, de l'importance de la transmission et du partage... mais aussi de cette difficulté qu'ont certains pères à dire "je t'aime".
Il parle aussi de la difficulté de réaliser nos propres rêves sans décevoir ceux qui en ont fait d'autres pour nous.
Il se lit d'une traite et sonne toujours juste...car c'est Julien qui parle et nous livre ses réflexions et ses souvenirs, qui restitue les odeurs et les saveurs des plats préparés avec amour par son père, et nous donne envie de nous installer à la table du "Relais fleuri" pour partager un instant convivial et simple.
Au passage, le lecteur apprendra telle ou telle recette et un bon nombre de termes culinaires qui risquent fort de tomber un jour dans l'oubli.
Même si le sujet est triste, puisque le père n'est plus que l'ombre de lui-même, c'est une belle lecture de vacances, bien écrite et à partager en famille autour d'un bon plat, cuisiné tous ensemble et peut-être que ce sera l'occasion de se dire qu'on s'aime... avant qu'il ne soit trop tard.
Pour moi, tu es le maître du feu; un magicien quand tu fais gonfler la brioche ; un perceur de coffre-fort quand tu ouvres les huîtres ; un roi mage quand tu fouettes la crème Chantilly et que tu fais fondre pour moi du chocolat noir. La cuisine embaume la brioche qui dore et l’orange pressée. C’est la saison des sanguines. Tu les pèles à vif et me laisses placer les tranches sur une assiette. Tu ajoutes quelques gouttes d’eau de fleur d’oranger. Tu dis que ça te rappelle l’Algérie.