Les livres et moi, mes coups de coeur, mes découvertes, mes créations ou mes voyages : intellectuels, spirituels, botaniques ou culinaires...
Il arriva dans la ville au moment précis où le soleil, prêt à se coucher, répandait sur la nature une lumière jaune d'or...
Chaque voix semblait vouloir être entendue avant que l'obscurité n’obstruât la vue et que la nuit n'imposât son silence.
Les branches des grands fromagers et balanzas du village étaient chargés d'aigrettes blanches, semblables à de grosses perles stylisées serties dans le vert délavé du feuillage...
Wangrin est interprète officiel des gouverneurs vers 1910. L'auteur n'a que 12 ans lorsqu'il le rencontre pour la première fois. Des années après, Wangrin lui raconte les multiples péripéties de sa vie en lui faisant promettre de les mettre un jour par écrit. C'est chose faite...et le récit paraît en 1973.
Tout est vrai dans cette histoire et seule la toute fin, lui sera rapportée par des tiers.
L'auteur a reçu en 1974 le Grand Prix Littéraire d’Afrique Noire pour "L'étrange destin de Wangrin".
Il revit le petit garçon bambara, ventre bedon, corps tout nu et gris de poussière, portant en bandoulière une petite besace rectangulaire faite de bandes de coton teintes en jaune lavé. Ce petit diable courait comme un forcené, tantôt derrière une souris ou un lézard blessé à coups de caillou, tantôt derrière un écureuil qui, pris au piège, traînait l'appareil dans les herbes pour s'en débarrasser.
Wangrin, dont on ne saura pas grand-chose de la prime enfance, a déjà 17 ans lorsqu'il entre à l'Ecole des Otages, une école créée par les colons. Il obtient rapidement son certificat d'études primaires indigène.
Les colons réquisitionnaient de force les fils des notables les plus influents de la brousse et les envoyaient dans cette école ou certes, ils recevaient de l’instruction, mais en échange cela leur assurait la fidélité des pères et de tout le village et étouffait dans l’œuf toute idée de contestation.
Les enfants par contre en sortaient avec des diplômes et une place dans l'administration, mais se retrouvaient formatés aux valeurs et aux coutumes occidentales.
Très vite, Wangrin est nommé moniteur de l'enseignement primaire, puis directeur d'école à Diagaramba. Quand il arrive à la ville, il découvre alors qu'il est reçu par le commandant en personne, que son interprète parle le "forofifon naspa" c'est-à dire le français du tirailleur, un français sans verbes conjugués, avec des noms sans adjectifs, sans nombre ni genre.
Il décide de le remplacer et monte son premier stratagème pour arriver à ses fins...
Il se mettra dans la poche les griots, qui sont les communicants pour le peuple car ils savent comme personne retranscrire les volontés des colons et de leurs chefs.
Il usera aussi des marabouts qui avec de la magie, peuvent dévier le cours du destin de bien des hommes, toutes croyances oh combien fascinantes pour nous.
C'est à cette époque qu'un changement subtil s'opéra dans le comportement de Wangrin...
Il se mit subitement à aimer la chasse. Il partait dans sa nouvelle torpédo à la tombée de la nuit et ne revenait parfois qu'à l'aurore, tuant les animaux par plaisir, s'éloignant ainsi un peu plus de la pure tradition africaine qui veut que la chasse soit rituelle et utilitaire, et non aveugle et gratuite...
Toute sa vie, il va monter des arnaques pour à la fois tromper les colons français, mais aussi ses compatriotes trop naïfs et incapables de parler la langue des blancs. Ainsi, il va asseoir son influence et s'enrichir…
Il faut dire aussi que Wangrin a choisi de se placer très jeune, sous le signe du dieu «Gongoloma Soké », dieu bizarre et ambigu car « à la fois bon et mauvais, sage et libertin » donc un "grand confluent des contraires".
Les arnaques ne sont pas très graves pour les hommes... Il s’agit juste pour lui de détourner l’argent des colons français pour s’enrichir et le redistribuer autour de lui. Il s'adonne donc à des trafics de bétails, d'ivoire, ou d'alcool, pour ne citer que quelques exemples. Il utilise pour arriver à ses fins, la crédulité de ses semblables, l'orgueil démesuré de ses adversaires, la cupidité des colons, le charme de jolies demoiselles et bien entendu la sincérité et la confiance de ses amis, qu'il remercie toujours avec générosité.
C’est au fond un fin psychologue qui analyse de près les hommes et sait frapper là où ça fait mal...
- qu'est-ce qu'un "papier carbone"?
- C'est un papier fait avec une matière magique colorante, généralement noire. On place ce papier entre deux feuilles blanches. Il vomit sur la feuille placée sous lui tout ce qui est imprimé, à la main ou à la machine, sur la feuille placée au-dessus de lui.
Mais ce merveilleux papier garde sur lui tout ce qu'il a vomi. Et c'est là sa magie...
Mon avis
Nous sommes au temps de la colonisation et dans une période qui se situe autour de la Première Guerre Mondiale, où ne l’oublions pas des milliers de tirailleurs africains viendront se faire tuer en France. Le récit se termine vers 1930.
Le récit mêle à la fois, les frasques de Wangrin, les détails de sa vie quotidienne et de celle des colons, les descriptions de ses stratagèmes, les réactions des personnes impliquées dans chaque nouvelle arnaque, mais aussi les coutumes et modes de vie du pays.
C’est un livre difficile à raconter comme la plupart des récits car il est d'une grande richesse, tant en détails qu'au niveau des différents personnages. Il se lit comme on ferait un voyage au cœur de l’Afrique, tout en étant non pas touriste, mais intégré dans ces villages tels qu’ils sont décrits par l’auteur.
C'est un récit drôle et émouvant, qui nous fait entrer dans la culture africaine avec quelques rares longueurs, car au bout de 200 pages, on voit Wangrin venir de loin, même si on ne devine rien de ce qu'il va inventer à nouveau pour arriver à ses fins !
La découverte des différentes expressions tellement imagées (et expliquées dans les notes de fin d’ouvrage) rend la lecture très plaisante. Beaucoup sont compréhensibles dans le seul contexte de l’histoire. Il m'a néanmoins fallu un peu de temps pour entrer dans l'histoire et m'habituer au style de l'auteur.
Ce récit fait entrer en contact deux mondes de cultures différentes.
L’auteur montre le colonialisme et les colons avec réalisme et sans ni les idéaliser, ni les critiquer, avec donc beaucoup d’objectivité. On sent qu'il sait très bien ce que la colonisation a apporté à son pays. Mais il montre aussi les travers, les erreurs, les malentendus qui résultent de la cohabitation, ainsi que les défauts mais aussi les qualités des différents protagonistes. Le lecteur apprend d’ailleurs beaucoup de choses sur la colonisation_comme l'existence de ces « écoles des otages » par exemple dont je ne connaissais pas l’existence.
Le lecteur découvre à quel point les chefs locaux ont perdu à la fois leur prestige et leur richesse lors de la venue des colons. Les têtes de bétails, l’or, les pierres précieuses…deviennent des possessions coloniales.
Nous découvrons les coutumes et les croyances des peuls, leur mode de pensée, l’importance de la magie pour contrer ou expliquer les événements qui leur semblent négatifs.
L'auteur porte donc un regard intelligent sur son peuple, et l’Afrique nous apparaît dans sa simplicité, telle qu'elle est, sans aucun apitoiement possible.
Wangrin, le personnage central, nous apparaît toujours plus sympathique malgré ses frasques. Il se met dans des situations ubuesques, et qui ne manquent pas d'humour. Il ne cherche qu’à gagner plus d’argent quitte à faire commerce de bœufs, ou de défenses d’éléphants mais finalement il ne fait que reproduire ce que font les colons français aux dépens des peuples africains.
Lui au moins, distribue ses richesses et en fait profiter les plus pauvres. Dès son arrivée dans un village, il n'a de cesse d'offrir des cadeaux de bienvenu, comme c'est la coutume, mais aussi d'aider les plus démunis et de distribuer de l'argent autour de lui.
Finalement tout cela est très moral : le colonialisme est seul responsable des actes de Wangrin qui connaît bien les travers des blancs et s’en sert contre eux. Il combat les colons avec leurs propres armes et combat en même temps ceux de son peuple qui les soutiennent de trop près !
Ce récit nous emmène en Afrique. Il est imprégné de la chaleur, de l’odeur de la brousse et des cris des animaux sauvages. Il y a aussi un certain suspense et le lecteur a envie de savoir comment tout cela va se terminer.
Un livre qu'il faut prendre le temps de savourer... car il faut un certain temps pour le lire.
Hélas, il suffit d'une petite fourmi rouge dans la trompe d'un éléphant pour incommoder à en mourir le plus gros gibier de la terre.