Les livres et moi, mes coups de coeur, mes découvertes, mes créations ou mes voyages : intellectuels, spirituels, botaniques ou culinaires...
Un corps sans enfant qui s'y cramponne. Un corps sans poussette qui le prolonge. ça lui a paru étrange lors de ses premières sorties. Elle s'était sentie nue, vulnérable. Comme si on l'avait amputée de quelque chose, d'une extension quasi naturelle d'elle-même.
Elle ne pouvait se permettre aucune erreur, aucun écart. L'enfant et elle devaient filer doux, afficher zéro défaut, ne laisser aucune prise à la société. A tout instant ils risquaient d'être étiquetés "famille à problèmes". Ils étaient hors norme, ils étaient fragiles, ils étaient suspects.
"Tenir jusqu'à l'aube" comme le fait courageusement Blanquette, dans le conte que nous connaissons tous, "la petite chèvre de Monsieur Seguin"... c'est ce que l'héroïne de ce roman se force à faire.
"Elle" (dont on ne connaîtra jamais le prénom) élève seule son fils de deux ans, et c'est la galère.
Elle est graphiste et a la chance de pouvoir travailler chez elle, mais elle n'y arrive plus, car elle n'a pas obtenu de place en crèche, n'a pas assez d'argent pour se payer une nounou, et elle doit garder son fils toute la journée. Quand le soir arrive, elle n'arrive plus à se concentrer sur son travail quand le petit dort enfin. Elle est épuisée. Elle tente de survivre depuis que le père est parti. Elle espère mais ne sait pas s'il reviendra un jour...
Pourtant elle a tout fait pour que tout se passe bien, et elle s'est même éloignée de sa propre famille pour venir s'installer à Lyon, sa ville à lui. Mais rien ne s'est passé comme elle l'avait prévu. Maintenant, l'enfant réclame sans cesse son père, et lui, ne cherche pas à le revoir.
Parce qu'elle étouffe dans cette vie étriquée, mais aussi parce qu'elle veut sortir de la relation fusionnelle qu'elle a avec son fils, qui est devenu, au fil du temps, un véritable petit tyran, elle s'offre un court instant de liberté en sortant quelques minutes le soir, quand il dort. Mais un jour, ces quelques minutes ne lui suffisent plus et elle part, la nuit, de plus en plus loin de la maison.
Combien de temps va-t-elle tenir ainsi ?
Je n'avais jamais rien lu de Carole Fives mais lu beaucoup de critiques positives sur ses romans. J'ai donc découvert son écriture vive et percutante, avec ce court roman d'un peu moins de 180 pages.
L'auteur nous livre ici un écrit tout en pudeur et dresse un portrait sans concession de la vie de cette jeune femme d'aujourd'hui, à laquelle notre société moderne ne fait pas de cadeaux.
Certes, elle a fait des choix qui peuvent paraître discutables, comme s'éloigner de sa propre famille. Elle doit donc les assumer coûte que coûte, mais quand elle réalise que peu à peu elle perd pied, ce n'est plus possible pour elle de revenir en arrière.
De plus, personne ne l'aide, même quand elle le demande dans son voisinage, et elle n'arrive pas à se faire des amis.
L'auteur ne nous épargne rien des drames liés aux séparations, de la vie difficile des femmes seules, de l'indifférence de l'entourage...
Parfois, ce sont les hommes aussi qui souffrent lors des séparations, je ne l'oublie pas, mais il me semble que dans ce cas, ils sont davantage aidés par leurs proches, voire admirés, et en tous les cas beaucoup moins critiqués et culpabilisés s'ils élèvent seuls leurs enfants.
Je me suis sentie très concernée par le destin de cette jeune femme, sans porter aucun jugement sur ses actes...
En effet, personnellement je n'ai jamais laissé mes enfants seuls et je ne l'aurai jamais fait mais le sujet principal n'est pas là, mais bien dans ce besoin de liberté qu'elle éprouve et cette envie de vivre, qui entrent en contradiction absolue avec ses obligations de mère, la nécessité de travailler pour subvenir à leurs besoins, et l'amour immense qu'elle porte à son fils.
L'auteur nous livre ici une vérité toute crue : la monoparentalité ne doit pas devenir un enfermement néfaste à l'épanouissement de l'enfant, et à celui de son parent. Rien de bon ne peut sortir d'une telle relation.
Elle nous invite à nous demander jusqu'où nous aurions tenu, nous...dans une telle situation. Et aussi à regarder autour de nous, au lieu de fermer les yeux comme le font les voisins.
Il suffirait parfois de tendre simplement la main et de mettre un peu d'humanité dans nos relations pour que le monde change enfin...
Voilà un roman parfait pour célébrer la journée internationale des droits des femmes aujourd'hui !