Les livres et moi, mes coups de coeur, mes découvertes, mes créations ou mes voyages : intellectuels, spirituels, botaniques ou culinaires...
C'est vers ce moment-là que la porte s'est mise à battre. Le bois tremblait sous les coups. Le rabat intérieur de la boîte aux lettres, en plaqué laiton, a tremblé lui aussi. Même les fourchettes et couteaux, dans leur tiroir ouvert, et la vaisselle dans l'égouttoir, ont comme vibré un instant. Personne ne venait jamais à une heure pareille. Début de soirée, par le mois d'août le plus chaud de mémoire humaine.De l'autre côté de la porte, sur le seuil au milieu de nulle part, se tenait une histoire que tout le monde connaissait déjà. Et la forme que prenait cette histoire, le soir en question, comme on dit ? Essoufflée, la peau sur les os, une fille d'une douzaine d'années. Elle avait le ventre, le sternum et la naissance des côtes à l'air.On aurait dit quelqu'un qui n'a pas mangé correctement ni respiré d'airfrais depuis des années. Elle avait les dents jaunes, les ongles noirs et trop longs. Sa peau était brûlée par le soleil, à l'exception de lignes blanches à l'emplacement des bretelles. Elle était marquée par endroits, aussi, sa peau : des égratignures, des plis, des stries de crasse et des mots.
Ce qu'elle avait dit était vrai. Elle préférait être entourée des affaires des autres....
Les affaires des inconnus avaient une histoire, lui expliquait-elle. Cette histoire nimbait les objets d'une sorte de bruit.Elle préférait ce bruit d'occasion au silence du neuf. Il était rassurant.
Ça lui faisait mal de penser qu'un jour il arrêterait, ou qu'elle arrêterait, et qu'ils ne se reverraient plus jamais, ne se parleraient et ne se toucheraient plus jamais. Un jour, après tout ce qu'ils auraient traversé ensemble, l'un d'eux s'en irait, partirait pour ne plus revenir, tandis que l'autre remplirait les jours restants en parcourant l'espace laissé vide.
Ça continuait. La lumière de la terrasse qui ne marchait pas, les contours d'un visage au fond du jardin, les chambres où il faisait trop chaud pour dormir correctement la nuit. Elle crut même entendre les cigales. Il était parfaitement impossible qu'il y ait des cigales par ici.
La gamine nous a regardé tous les quatre. Cela devait faire un drôle d'effet qu'on vous demande de lire à voix haute, devant une assemblée d'inconnus, des mots inscrits sur votre corps.
C'est l'été. Il fait terriblement chaud dans cette petite ville fantôme d'Irlande...
Dans un lotissement poussiéreux qui ne sera jamais achevé et où aucune maison n'est terminée, au milieu donc du chantier en cours, des poubelles et des gravats, vit une famille pauvre et isolée. Ils arrivent tout juste d'un pays lointain (l'Allemagne sans doute). Il y a les parents, Paul et Helen et leur fille, et Martina, la sœur jumelle d'Helen.
Le jour des portes claquent sans cesse et l'eau est mystérieusement coupée ; le soir, l'électricité ne fonctionne qu'occasionnellement ; la nuit, des visages apparaissent à la lisère des bois, des bruits perturbent le sommeil des résidents, pourtant ils sont seuls à habiter à cet endroit.
Et puis le mystère s'épaissit quand un à un, les membres de la famille disparaissent sans laisser de traces...
D'autres personnages traversent le roman comme Slatery, l'ancien propriétaire du terrain qui se croit encore chez lui, Flood, le promoteur, et son neveu Marcus qui est vigile et vit à deux pas du lotissement en chantier, dans une caravane.
C'est Flood qui a permis à la famille de s'installer-là, avant que la maison soit investie par une famille qui doit arriver d'ici quelques semaines.
Un soir, le narrateur entend des coups violents frappés à sa porte. Il ouvre sur une gamine de 12 ans complètement affolée, décharnée, avec des mots écrits sur tout le corps : son père vient de disparaître lui-aussi. Elle est seule, tous les membres de sa famille sont partis à présent.
C'est un prêtre : il appelle aussitôt les flics. Mais ceux-ci ne veulent pas placer la gamine ce soir-là. C'est le week-end et, vu son traumatisme, ils pensent que ce serait pire encore et que le père va peut-être rentrer.
Le prêtre n'a pas d'autres choix que de garder la petite chez lui, une nuit, puis deux...et elle disparaît à son tour.
Il sera accusé... de quoi exactement, le lecteur émet des hypothèses au fur et à mesure que le narrateur, mis à l'écart dans un endroit isolé de tous, nous raconte sa propre vision des choses. Le lecteur plonge alors dans l’histoire surprenante de cette famille pas comme les autres, qui enchaîne les drames familiaux.
Voilà un premier roman étrange, voire inquiétant où tout est dans l'ambiance. Les non-dits s'accumulent...tout se joue dans les détails, par petites touches qui insidieusement nous rapprochent d'une vérité toujours remise en question.
L'écriture est toute en ressenti et émotion. Le lecteur est aux aguets. Il attend la révélation qui ne vient pas. Il imagine, tire ses propres conclusions, devance l'enquête en cours.
Le lecteur ne saura jamais, ni le prénom exact de la petite fille qui se fait appeler comme sa mère, ni où et pourquoi tous les membres de sa famille sont partis... ni où elle-même s'en est allée.
Tout ce que l'on sait c'est que pour cet homme d'église, la vie a basculé, le soir où la petite fille est venue frapper à sa porte. Rien ne sera plus comme avant...
C'est surprenant mais addictif. Un auteur à découvrir et que je suivrais avec grand plaisir. Une belle découverte de ce début d'année...
Je savais déjà qui elle était quand elle est apparue à ma porte. Je connaissais l'histoire dans tous ses détails. Il y avait les parents des filles, partis comme on sait, et puis les sœurs, qui avaient émigré. Ça avait fait grand bruit, localement, quand elles avaient fini par rentrer, bien plus qu'elles semblaient s'en rendre compte.
Alors j'ai écrit ce que j'ai bel et bien vu, ce que je crois avoir vu et ce que je sais avoir entendu. Mais je ne serai pas l'homme qu'ils veulent que je sois. Je ne porterai pas la couronne d'épines de leur bouc émissaire. Pourtant, plus j'en dis sur la vérité, plus je parais décidé à m'inscrire plus près du centre d'une histoire qui n'aurait jamais dû être la mienne.
Elle était très touchante. Ce n'était qu'une petite fille. Je me suis senti aussitôt protecteur avec elle. Si d'un côté je ne voulais pas d'elle ici, de l'autre j'aurais voulu qu'elle ne s'en aille jamais.
Conor O'Callagnan est né en Irlande du Nord en 1968. Il enseigne à l'Université de Sheffield et vit à Dublin. Poète reconnu dans son pays, il a déjà publié cinq recueils. "Rien d'autre sur terre" est son premier roman
Accrochez-vous à une histoire assez longtemps et l'histoire ne vous lâchera plus. Elle est devenue comme un jardin privé où je retourne dans ma tête et m'assieds, seul. J'y apporte des modifications de temps en temps : je taille ici, plante ailleurs. J'ai tellement retouché que je ne peux plus discerner avec certitude entre les fleurs qui étaient là et celles que j'ai introduites...
À quoi ressemblait-elle ?
Elle ne ressemblait à rien d’autre sur terre.