Les livres et moi, mes coups de coeur, mes découvertes, mes créations ou mes voyages : intellectuels, spirituels, botaniques ou culinaires...
Petit à petit, je dois moi-aussi apprendre à grandir, grandir une deuxième fois avec ma fille, apprendre à cacher certaines de mes émotions, certaines babioles, les empiler sur l'écume de la mer de mes souvenirs et les voir se faire emporter une à une par les rouleaux d'une plage lointaine.
A ce moment-là de l'histoire, j'ai du mal à respirer. Ce jeune homme qui ne vivait que dans mon imagination semble désormais pousser la réflexion plus loin que prévu et ses pensées, une fois traduites en mots et tissées en intrigues, se font plus vivantes...
Parfois, je suis un peu perdu et je me demande si ce jeune homme dont je parle n'affronte pas réellement ces gens et ces événements dans sa vie. Je suis comme un spectre qui hante son âme...
Ce roman, traduit pour la première fois en français par Lucie Modde et préfacé par Gwennaël Gaffric, vient de sortir fin novembre chez l'Asiathèque que je remercie ici pour cet envoi.
C'est la dernière lecture de l'année que je vous présente sur mon blog...
L'histoire
Un professeur d'histoire et un jeune homme vivent une existence tranquille mais profondément ennuyeuse, malgré la présence de leurs proches. Ils s'installent donc au clavier pour se changer les idées et oublier leur quotidien.
Mais ce qu'ils ignorent, c'est que chacun d'eux est en train d'imaginer la vie de l'autre...à moins que ce ne soit la leur, ou que les deux personnages n'en forment qu'un seul !
Le premier est au chevet de sa mère gravement malade et arrivée en fin de vie, son père est parti il y a bien longtemps, les abandonnant tous deux ; le second a une femme et une fille, réelles ou fantasmées...
Lequel des deux a réellement des frères jumeaux imaginaires...ou une fiancée qu'il appelle la "fille de Néruda".
Cette jeune fille aimante qui l'a abandonné, a-t-elle seulement existé ?
Le narrateur parle-t-il de lui quand il évoque ses souvenirs, ou du héros de son livre ?
Comme Pluton, la célèbre planète qui n'en est plus une depuis 2006, notre histoire, notre mémoire est sans cesse réécrite au vue des souvenirs et de nos ressentis d'aujourd'hui et de ce que les événements présents nous permettent de nous rappeler....
Les hommes ont-il réellement marché sur la Lune ?
L'empereur des Etats-Unis a-t-il existé autrement que dans l'esprit de l'écrivain ?
Les jumeaux sont-il nés uniquement dans l'imaginaire d'une mère qui les a fortement désirés ?
Ainsi en est-il de ces deux personnages mystérieux et décalés dont les vies se confondent, nous entraînent dans leurs réflexions, nous détournent de la réalité, et nous permettent de voir coexister plusieurs vérités probables ou improbables, mais qui nous obligent en tant que lecteur à nous impliquer dans leur histoire, et à les suivre... pour suivre les cheminements étranges de leur pensée et participer à leur incroyable destin.
Voilà un premier roman tout à fait singulier et déroutant où le lecteur peut se perdre tant la construction narrative est complexe, et faite de retours en arrière, à moins qu'il n'arrive à se laisser bercer par les mots, par les souvenirs réels ou inventés, par le ressenti des personnages, par les dialogues parfois poétiques, parfois crus et dérangeants mais le plus souvent très réalistes...
Ce que j'ai aimé
- Les moments où il (l'écrivain ? le héros du livre ?) évoque ses souvenirs d'enfance...même si ceux-ci sont parfois douloureux.
- Les moments où le lecteur doute de l’identité de celui qui parle et c'est fréquent mais des indices sont semés sur notre chemin.
- Les histoires qu'il raconte à sa mère pour lui faire oublier la maladie et la faire rêver un peu.
- Les dialogues pleins de tendresse qu'il (l'écrivain ? le héros du livre ?) a avec sa fille.
Et surtout la poésie qui se dégage de ses réflexions existentielles incessantes...
Ce que j'ai moins aimé...
Certains passages m'ont carrément choqué comme ceux où il (lui ou son personnage ?) évoque les jumeaux et la façon dont la mère en parle. Le rapport à la mort est sans nul doute différent du nôtre en Orient mais je reste choquée par l'usage du sac plastique. Je n'en dirai pas plus pour ceux qui désirent lire le livre. En plus l'auteur en reparle plusieurs fois.
La relation à la mère est aussi par moment très violente. Mais là par contre je peux la comprendre, car lorsqu'on a vécu ces événements-là, il y a un mélange de colère, de désespoir et de tristesse qui peuvent expliquer les propos de l'auteur.
Ce roman, paru en 2012 à Taïwan a été acclamé par la critique dès sa sortie. Je sais d'avance qu'il faudra faire un effort au public français pour l'apprécier...
Si vous voulez mieux connaître Taïwan, je vous invite à aller visiter le blog de Sylvie qui y vit et nous le présente joliment...
Dans cet optique, les suicides en hausse constante, les homicides toujours plus originaux, la pollution galopante ainsi que la natalité en chute libre des pays industrialisés pourraient être des moyens pervers de contrôle démographique mis en oeuvre par l'humanité...
Je ne me suis pas trompé, un nouveau village s'est construit à la place de l'ancien en ruines, et il est possible d'écrire ce qui n'est pas encore arrivé.
Ces bouts de passé peuvent remuer très fort et laisser sans voix, une courte seconde suffisant à faire éprouver douleur ou douceur. On comprend alors que sortir se promener puisse être dangereux, vu ce passé qui erre dehors, à l'affût...
Né en 1981, à Taïwan, Huang Chong-Kai est diplômé d'histoire. Il est l'auteur de trois romans et de deux recueils de nouvelles et a obtenu plusieurs prix littéraires.
Ses œuvres sont considérées comme d'inspiration post-modernes et je pense qu'il faut davantage connaître l'histoire de Taïwan pour comprendre les nombreuses références qu'il fait dans ses écrits à sa culture et à son histoire...
La préface nous informe déjà à ce sujet. L'auteur en effet appartient à la génération des "fraises" c'est-à-dire de ceux qui sont nés dans les années 80, considérés comme des "gâtés, égoïstes et trop sensibles à la pression sociale et professionnelles".
Evidemment tout écrivain est marqué par sa génération et l'histoire de son pays, et il ne peut que s'engager dans ses écrits par rapport à son vécu.
Un auteur à découvrir pour les passionnés...