Les livres et moi, mes coups de coeur, mes découvertes, mes créations ou mes voyages : intellectuels, spirituels, botaniques ou culinaires...
J'ignore, cher lecteur, à quoi tu ressembleras, et pourtant j'ai l'intuition que tu liras mes mots...
Plus tard, j’essaierai de t’expliquer ce que signifie la faim, mais vu que j’essaie de te présenter mon récit de la manière la plus structurée que possible, je vais laisser de côté cette sensation qui ressemble à un triangle.
La peur pour en revenir à elle, te creuse des ravines dans le corps. Elle pénètre progressivement tous tes organes et s'installe au fond de tes tripes, devenant une sorte boule au ventre aux dimensions extensibles. En ça elle diffère de la faim qui se dissipe dès que tu as pu t'en libérer par l'action de manger, et qui ne laisse pas dans la mémoire de traces durables.
Mon frère avait beaucoup changé, ce n'était plus le garçon souriant que j'avais aimé, capable de partir dans de grands éclats de rire avant de rouler avec moi sur la natte de plastique...
Il avait troqué ses yeux rieurs d'autrefois pour d'autres bien plus durs.
J'ai voulu emprunter ce roman à la médiathèque parce qu'il aborde, ce qui est un fait plutôt rare en littérature, la guerre en Syrie. Je ne le regrette pas car c'est un roman-témoignage, tout à fait bouleversant, mais attention tout de même car il peut être traumatisant.
Vous voilà prévenus !
L'auteur a choisi de nous parler de la guerre à travers le regard et le ressenti d'une jeune fille, Rima qui a un handicap particulier puisque dès qu'elle est sur ses deux pieds, elle n'a qu'une envie c'est de marcher, marcher et encore marcher jusqu'à l'épuisement.
Elle n'y peut rien, c'est indépendant de sa volonté. Sa mère la croit folle mais les médecins la rassurent et confirment que son cerveau fonctionne normalement.
C'est d'ailleurs Rima qui nous raconte sa propre histoire en s'adressant au lecteur ou peut-être parfois, à un interlocuteur imaginaire. Elle est réfugiée dans un souterrain et elle se souvient de sa petite enfance et des événements qui l'ont amené à se terrer à cet endroit-là et... pour ne pas oublier, elle écrit.
Depuis qu'elle est toute petite, sa mère n'a qu'une solution pour pouvoir aller travailler tranquillement, c'est de l'attacher avec une corde liée à son poignet.
De plus, depuis que son père est parti, Rima ne parle plus. Elle n'a donc que sa mère et son frère aîné, Saad, pour prendre soin d'elle.
C'est une fille intelligente. A l'âge de 5 ans sa mère la confie à la bibliothécaire de l'école en cachette de la directrice, pendant qu'elle y fait le ménage. Sett Souad lui apprend à lire et à écrire et, ce qu'elle ne peut dire avec des mots, Rima va apprendre à l'exprimer en dessinant ou en écrivant...
De plus, elle déborde d'imagination et elle voit le monde en couleurs ! Mais elle n'aura pas la chance de pouvoir vivre et grandir tranquillement car la guerre est là.
Un jour où sa mère l'emmène dans son école, le bus est stoppé par un barrage. Rima qui a peur se sauve. Sa mère qui la poursuit est abattue sous ses yeux.
Rima a été blessée elle-aussi et elle va être emmenée dans un hôpital pénitencier où elle a peur, car elle ne comprend pas ni ce qui lui arrive, ni que sa mère est morte et ne viendra jamais la chercher.
C'est alors son frère qui la prend en charge et la conduit dans un foyer, éloigné de leur quartier.
Ce sont les jours les plus heureux de sa vie. Elle apprend aux enfants à dessiner. Ils sont protégés par Oum Saïd. Mais l'horreur va les rattraper et ils devront s'enfuir à nouveau, ne sachant plus où être en sécurité.
Un jour, c'est au tour de Saad de ne pas rentrer... C'est alors Hassan son ami qui va s'occuper de la jeune fille. Il l'avait promis à Saad, mais la guerre en décide autrement...
C'est un livre terrible dont on ne sort pas indemne, mais inutile de se voiler la face. La descente aux enfers dans ce quartier de la Goutha se produit inexorablement que le lecteur le veuille ou non, il reste attaché lui-aussi à la corde...
Il y a des longueurs dans ce roman-récit-témoignage, on se perd dans les digressions et bien oui c'est vrai, et j'ai envie de dire...heureusement !
Heureusement, que le lecteur se perd dans les méandres de la pensée de Rima, les circonvolutions de son esprit tourmenté, ses ressentis "en différé" quand elle ne veut surtout pas mettre des mots sur ses peurs, sur la faim, sur la solitude, sur l'abandon...
Heureusement, qu'elle s'invente des planètes comme le fait le Petit Prince dont elle connaît l'histoire par cœur et se réfugie dans un monde imaginaire comme Alice au pays des merveilles...
Heureusement, qu'elle met des couleurs à chacun des événements de sa vie et qu'elle se souvient des mille petites choses qui ont fait son bonheur...
A chaque instant, le lecteur souhaite qu'elle puisse enfin retrouver sa voix, pour pouvoir hurler et pour que tout le monde l'entende, mais elle est tragiquement isolée dans ce souterrain où on l'a emmené pour la protéger, terriblement seule face au bruit des avions qui larguent leur bombe, sans rien à manger car les maigres provisions sont depuis longtemps épuisées...
Je n'ai pas à juger ni de la qualité littéraire, ni de celle de la traduction ou du style d'écriture, je ne me le permettrais pas vu le sujet, vu le courage de l'auteur pour pouvoir parler des horreurs vécus par ses concitoyens.
Toute la force du texte est dans ce décalage entre l'horreur de la guerre et la candeur de cette jeune fille, qui ne veut pas grandir car elle a besoin de se réfugier dans son monde pour survivre.
Ainsi la lectrice que je suis, ne peut qu'être révoltée par plusieurs passages... C'est révoltant en effet de penser, par exemple, comme cela est décrit dans le roman, qu'après une attaque chimique, il y a davantage de femmes et de jeunes filles qui meurent uniquement parce qu'on ne peut pas...les déshabiller et que pourtant c'est le seul moyen de pouvoir les sauver, leurs vêtements étant imprégnés de produits toxiques.
Mais je peux juste vous dire, si vous avez le cœur bien accroché, lisez-le car c'est avant tout un témoignage poignant et criant de vérité.
Je n'ai pas dit pour autant qu'il était facile à lire...d'ailleurs je l'ai lu en novembre et c'est à peine aujourd'hui que je me décide à vous en parler. C'est dire le temps qu'il m'a fallu pour trouver les mots.
L'amour, c'est une série de petites planètes mouvantes qui dansent avec leurs bras longs et effilés, puis fusionnent dans un maelstrom de lumière éblouissante.
L'amour, c'est quand tous les muscles de mon corps deviennent aussi muets que ma langue.
Les choses n'ont pas d'existence tant que tu ne les as pas toi-même ressenties.
L'auteur Samar Yazbek est née en Syrie en 1970.
Journaliste et romancière elle est exilée à Paris depuis 2011.
Elle a publié entre autre "Un parfum de cannelle" (2013), "Feux croisés, journal de la révolution syrienne" (2012) et "les Portes du néant" (2016).
Son dernier livre n'est pas un véritable roman, bien qu'elle en fasse mention, mais bien un récit car des Rima il y en a des milliers en Syrie, que nous avons tendance à oublier au fond de leur souterrain, dans une guerre qui n'en finit pas et qui dure depuis plus de 7 ans.