Les livres et moi, mes coups de coeur, mes découvertes, mes créations ou mes voyages : intellectuels, spirituels, botaniques ou culinaires...
Elle voulait porter la paix dans les pays qui avaient connu la guerre. Elle pensait, disait-elle, faire régner l'harmonie par sa seule présence en robe de mariée. Ce n'est pas la grâce ou la bêtise de son intention qui m'a intéressée, c'est qu'elle ait voulu, par son geste, réparer quelque chose de démesuré et qu'elle n'y soit pas arrivée. Une robe blanche suffit-elle à racheter les souffrances du monde ? Sans doute pas plus que les mots ne peuvent rendre justice à une mère en larmes.
A défaut de pouvoir les comprendre, il faut prendre au sérieux les gestes les plus fous.
Je n'avais encore rien lu de Nathalie Léger lorsque j'ai trouvé ce roman sur l'étagère des nouveautés de la rentrée de septembre 2018 et forcément, vous me connaissez maintenant, j'ai tendu la main !
Dans ce petit roman de 140 pages à peine, l'auteur nous parle du tragique destin d'une artiste milanaise de 33 ans, partie arpenter les routes en robe de mariée, emportant avec elle son seul trousseau. Elle s'appelait Pippa Bacca, de son vrai nom, Giuseppina Pasqualino di Marineo.
Partie de Milan en autostop, pour se rendre à Jérusalem, en passant par les Balkans, la Bulgarie, la Syrie, la Jordanie et le Liban, la jeune femme qui désirait porter un message de paix dans les pays en guerre, sera retrouvée violée et assassinée...
Mais en chemin, elle filme tout !
Cette histoire que l'auteur a trouvé bouleversante quand elle l'a découverte en 2008...est doublement tragique.
D'abord parce que cette jeune femme avait conçu un projet fou, balayer avec sa traîne les horreurs de la guerre et que ce projet s'est mal terminé...mais tragique aussi, parce qu'elle n'a pas réussi à porter son message, à réparer la paix et l'entente entre les hommes, par sa seule présence en robe blanche...
C'est alors que le lecteur suit les méandres de cette histoire peu banale, qu'il découvre que le texte devient prétexte à décrire une autre histoire plus intime et que l'auteur va révéler par petites touches pudiques, mais non moins touchantes...
La mère de la narratrice chez qui elle passe quelques jours, lui demande une requête impossible et excessive : réparer les torts qu'elle a subis, l'échec de son mariage, l'abandon par le père, l'injustice et la déchirure de son divorce sans consentement mutuel qui était la règle dans les années 70 et lors duquel elle n'est pas arrivée à se défendre...
Mais peut-on demander à son enfant de réparer les torts de la vie, même en écrivant tout simplement son histoire ?
Ne lui donne-t-on pas ainsi un fardeau trop lourd à porter ?
Peut-il exister une réparation pour les peuples meurtris ?
Peut-on endosser le malheur d'autrui comme on se vêtirait d'une simple robe ?
Dans ce court roman, l'auteur aborde également, le sujet de l'art et de son impact sur le monde.
Parce qu'il nous fait découvrir un regard différent, nous permet-il pour autant de voir le monde autrement ?
Et peut-il rendre justice ?
Elle aborde aussi le problème du pardon, de la difficile relation mère-fille...quand la mère est envahissante et destructrice.
La narratrice (l'auteur ?) se dit "empêchée d'écrire" par sa mère, mais le roman est là pour nous prouver le contraire...
En racontant d'autres vies que la sienne, elle se raconte.
Elle refait des gestes faits par toutes les femmes avant elle.
Elle revit le passé comme une mémoire des mots confiée à ses soins.
Une belle façon de parler des femmes meurtries et violentées.
Voici donc, une oeuvre singulière, poétique et tragique à la fois...
Tout se passe dans un subtil équilibre entre le récit du voyage de Pippa et la pression exercée par sa mère sur la narratrice.
Un "roman" très littéraire qui me fait découvrir encore une fois, une belle plume pudique et profonde...