Les livres et moi, mes coups de coeur, mes découvertes, mes créations ou mes voyages : intellectuels, spirituels, botaniques ou culinaires...
Je voulais passer la société tout entière par le chas de l'aiguille photographique. Savoir ce que nous disions de ces images et ce qu'elles disaient de nous. J'étais convaincu d'avoir compris l'étendue du pouvoir de la photographie, d'être celui qui pourrait révéler ses vérités cachées. Je décryptais, comme on dit.
J'avais juste oublié l'essentiel.
Parce que si je me suis souvent demandé pendant ces entretiens, ce qu'avaient ressenti ceux qui avaient pris ces photos, je me suis rarement interrogé sur ce qu'avaient éprouvé les photographiés au moment du déclic.
...
Aujourd'hui, je m'interroge : combien de mémoires avons-nous insultés de la sorte ?
Olivier et Héloïse travaillent ensemble. Olivier est historien. Il a quitté son poste d'enseignant à l'Université, pour se consacrer à son émission télévisée. Héloïse l'aide, en tant que documentaliste, à la préparer en recherchant dans les archives les photos les plus marquantes des événements passés.
Alors qu'ils vont déjeuner, la rame de métro dans laquelle ils se trouvent, explose brutalement.
Est-ce un accident ? un attentat ? Qu'importe...Olivier sort en hurlant de l'enfer en tenant dans ses bras, Héloïse grièvement blessée et qui se vide de son sang. Par cet acte fou, il va lui sauver la vie...
Ne restera de ces instants de violence inouïe, que de terribles souffrances physiques, des moments d'angoisse insurmontables, des nuits d'insomnie, la culpabilité d'être vivants quand tant d'autres ont péri et ...une photo de leur évacuation, impudique et dérangeante qui va faire la une des médias et que tous leurs proches vont voir, faisant voler leur vie en éclat.
Tous deux après des semaines de silence durant lequel ils consolident peu à peu leur corps meurtri, vont décider de tout faire pour réparer les dégâts qu'elle va causer dans leur vie, et de se "venger" à leur manière de ce photographe qui a vendu le cliché à Scoop-Images...
La femme est inconsciente, ses cheveux noirs pendent dans le vide et son visage, contrairement à celui de l'homme, est exempt de toute expression, tellement inerte que l'on se demande dans quelle mesure, l'appareil n'a pas enregistré l'image d'un cadavre.
Le photographe ne réfléchit pas. Il sait qu'il s'est trouvé par hasard au bon endroit, que jamais il ne sera plus proche...
Aucun d'eux n'a fait allusion à la photo.
C'était comme respirer de l'oxygène après un long confinement, être rendue à la vie d'avant.
Au-delà de l'histoire émouvante et prenante de ces deux êtres meurtris, le roman est une étude intéressante de l'impact des photographies sur la vie des victimes.
Sous prétexte de la liberté de l'information et de la presse, de nombreux journalistes se transforment en "voyeurs", oubliant que derrière les victimes ainsi exposées, il y a des êtres humains blessés, des familles meurtries, voire des enfants qui se retrouvent ainsi propulsés sur le devant de la scène... alors qu'ils n'ont rien demandé.
Le roman dans une voix off, se fait l'écho de l'utilité de ces photos pour informer ceux qui sont loin, ne pas oublier les dégâts d'une guerre, comprendre les conflits ethniques, ou autres raisons toutes importantes bien sûr, car il ne s'agit pas de critiquer le travail formidable que font les photographes, les reporters de guerre, les médias... mais bien de réfléchir sur les limites de cet art, lorsqu'il atteint la dignité des personnes.
J'avais beaucoup aimé lire "Eux sur la photo" du même auteur...
Dans celui-ci, encore une fois, elle nous bouleverse tout en nous faisant réfléchir sur l'actualité. Elle sait particulièrement bien analyser la complexité des relations humaines.
Elles nous rend les personnages attachants et nous les fait aimer autant par leurs faiblesses que par leurs forces, tout en nous montrant avec beaucoup de délicatesse et de pudeur, leur ressenti...
Elle aborde ici un sujet grave qui n'a pas fini, dans le monde d'aujourd'hui, de faire parler de lui, car il fait partie de notre quotidien. Elle nous incite à réfléchir sur le pouvoir des images.
Qui, parmi les membres de ma génération, pourra oublier un jour, cette terrible photo prise durant la guerre du Vietnam... celle de cette petite fille brûlée au napalm, entièrement nue, entourée de quatre autres enfants, courant sur une route en hurlant de douleur et de peur (1972).
Il est vrai qu'il n'y avait pas de mots dans le code pénal pour décrire ce geste très particulier qui consiste à violer la douleur avec un objectif.