Les livres et moi, mes coups de coeur, mes découvertes, mes créations ou mes voyages : intellectuels, spirituels, botaniques ou culinaires...
J'ai quand même posé la question, par cruauté ou par innocence, peut-être, je ne sais plus.
"Il va revenir aujourd'hui, papa ? "
A six ans, jouer l'ignorance quand on a parfaitement compris.
Mourir n'empêche pas un père de revenir à la maison. Mourir est un acte comme un autre.
Voilà un court roman-récit d'une centaine de pages qui se lit très vite...
Lorsqu'à six ans la narratrice perd son père, personne parmi ses proches ne lui explique ce qui se passe...Alors c'est facile pour elle de feindre l'ignorance. D'autant plus que sa mère, écrivain, s'enfonce dans le déni et le silence, et qu'elle plonge dans l'écriture comme dans le seul salut possible pour continuer à vivre.
C'est facile pour une petite fille de six ans de penser qu'être mort n'implique pas forcément, ne plus revenir à la maison.
Elle se sent abandonnée et invente son propre monde où son père est encore vivant.
Est-il parti en voyage ?
A-t-il mystérieusement disparu ?
A-t-il fondé une autre famille avec une autre femme et peut-être d'autres enfants ?
Tout est possible quand on a six ans.
Pendant le jour, la narratrice contemple le contenu d'une boîte contenant milles petits objets ayant appartenu à son père, elle reproduit son écriture en recopiant ses lettres... et la nuit c'est dans les bras de sa mère qu'elle se réfugie en une étreinte fusionnelle.
Dans ce récit, tout réside dans l'ambiance et dans les mots employés par l'auteur, la poésie de certaines phrases, la fusion mère-fille où toutes deux trouvent un réconfort et ce silence qui les relie parce que les mots n'ont pas de place pour dire leur souffrance...
C'est un beau texte très doux et intimiste, autobiographique d'un(e) auteur(e) que j'avais découvert en lisant "J'ai longtemps eu peur de la nuit" en 2016.
A découvrir...
Nous vivions muettes, les mots n'avaient pas leur place ici...
La mer écumait le bord des mots, raturait les lettres inutiles...
La disparition de mon père avait inspiré ses plus beaux poèmes, mais la vie tout entière était devenue à ses yeux une strophe de poème où le mot "mort" est sans cesse paraphrasé...
J'ai dessiné un graffiti sur la table, un cœur sans doute, à l'aide de mon index...
elle dessina deux autres cœurs sur la table à proximité du mien. Je compris ce qu'elle voulait me dire. Sans un mot je traçai une ligne séparatrice qui lui signifiait que l'un d'eux était passé de l'autre côté.
Yasmine Ghata est d’origine libanaise par sa mère, la romancière et poète Vénus Khoury-Ghata, et franco-bulgare par son père, le médecin et chercheur Jean Ghata.
Elle a étudié l’Histoire de l’Art à la Sorbonne et à l’Ecole du Louvre. Spécialisée dans les arts de l’Islam, elle a travaillé dans le milieu de l’expertise des objets d’art.
Elle a connu un grand succès avec son premier roman, La Nuit des Calligraphes (Fayard, 2004), inspiré par la vie de sa grand-mère paternelle, et a été très remarqué par la critique.
Premier roman traduit en treize langues et couronné par le Prix de la découverte Prince Pierre de Monaco, le Prix Cavour (Italie), et le Prix Kadmos (Liban) et le Prix des Lecteurs d’Herblay 2005.
Je la voyais rétrécir chaque jour, s'amoindrir. C'est le sommeil qui me la rendait. Je m'agrippais à elle, blottie contre sa poitrine, nos jambes entremêlées, humant son odeur jusqu'à ce qu'elle disparaisse. Moments de fusion qui me remplissaient à ras bord jusqu'à la nuit suivante. À nouveau, je m'accrochais à elle, enserrant sa taille, mon mollet posé sur le sien comme on clôture la terre pour signifier qu'elle vous appartient. J'ajustais mon ventre, emboîtais mes cuisses cernant chacun de ses membres avec exactitude. Ma mère n'était qu'à moi, rapports exclusifs et inconditionnels. Nous avions remplacé le père, elle et moi, l'une envers l'autre.
Voilà encore un roman qui entre, sans que je l'ai fait exprès, dans le challenge de Philippe, "Lire sous la contrainte".
Le titre du roman devait être...