Les livres et moi, mes coups de coeur, mes découvertes, mes créations ou mes voyages : intellectuels, spirituels, botaniques ou culinaires...
Où étais-tu, ma mère, quand j'étais seul dans l'immensité du silence ? Où t'envolais-tu quand j'avais besoin de toi ?
...Il se laisse dériver le long des courants de son monde intérieur, entre les laminaires des songes, les phosphorescences et les coraux où cristallisent les mots qu'il n'a pas encore attrapés, ceux qu'il désire comme l'insaisissable baleine blanche. De sa mère, il ne dit rien, pas un mot. Sa mère si peu sienne, ce territoire retranché derrière les barbelés de l'enfance dont il ne s'approche pas, de peur de disperser ces miettes d'amour volées à la distraction qui lui ont permis de supporter de grandir.
Voici un livre dont j'ai entendu parler en bien, à plusieurs occasions depuis sa sortie, et que je languissais d'emprunter à la médiathèque...
Le précédent livre de l'auteur "La part des flammes" est toujours dans ma longue liste de livres à lire. Il me reste encore à le découvrir donc.
"Légende d'un dormeur éveillé" n'est pas un roman mais une biographie romancée d'un poète que j'aime beaucoup, Robert Desnos. En quatre parties bien distinctes, l'auteur nous révèle les principaux événements de la vie de ce grand poète, des années 20 à l'Occupation.
Tout le monde connaît Robert Desnos, et a appris à l'école au moins une de ses poésies ("Une souris de dix-huit mètres avec un chapeau sur la tête"...ça vous parle ?!). Mais Desnos ne se réduit pas à cette image que l'on a de lui, ni à ce poème que les petits apprennent encore à l'école.
Sa vie est finalement peu connue, même si tout le monde sait que le poète est mort en déportation.
Le récit débute alors que Desnos vient de rentrer de Cuba. Nous sommes en 1928.
Nous faisons avec lui des haltes fréquentes à Montparnasse, nous écrivons dans son atelier de la rue Blomet, nous croisons des noms connus comme Antonin Artaud, Jacques Prévert, Louis Aragon, Paul Eluard, mais aussi Pablo Neruda, Picasso, Garcia Lorca...et bien d'autres.
Nous buvons un coup au café des "Deux magots" ou passons la nuit à débattre avec les artistes surréalistes, ou bien encore à danser au Bal Nègre...
Nous traversons les années auprès de lui et de ses amis ! Une impression étrange de promiscuité, comme si nous étions là nous-aussi, à chaque instant, en train de discuter avec ses amis...
Robert Desnos est toujours hanté par Yvonne (la chanteuse Yvonne George) qui a contractée la tuberculose et se noie dans l'opium entre deux séjours au sanatorium. Mais il finit par tomber amoureux fou de Youki Foujita, qui deviendra son grand amour et à laquelle il restera attaché toute sa vie.
Mais toutes deux le feront beaucoup souffrir...car elles sont volages et instables, mais d'un autre côté, elles seront source d'inspiration pour le poète.
Dans ce milieu d'artistes parisiens de l'avant-guerre, tout le monde ne pense qu'à s'amuser, à boire, à manger, à discuter mais aussi à abuser de drogues diverses et à mélanger le tout dans un cocktail détonant.
C'est bien l'image que j'avais des années folles à Paris !
Mais dans ce milieu intellectuel particulier, la fête n'empêche pas les artistes d'être également très réalistes. Tous voient très vite les dangers de la montée du nazisme en Europe...
Robert Desnos, dans ses chroniques, continuera à écrire et à dire ce qu'il pense, sans présager qu'un jour tout cela pourrait se retourner contre lui, et cela ne l'empêchera pas non plus de s'engager dans la résistance, ce qui causera sa perte...
J'ai eu du plaisir à découvrir ce récit romancé, mais cela ne m'empêche pas moi aussi, de rester lucide et critique...
L’été 1930 est reparti comme un voleur, emportant sur son dos un sac de mauvais présages. Robert, Youki et Foujita ont regardé les files s’allonger aux portes des soupes populaires, entendu les clameurs montant des ventres affamés. Cette rage qui tourne comme un fauve à la recherche d’un défoulement, fût-il brutal et aveugle. Occuper des journées blêmes, sans horizon. La valse sans fin de gouvernements interchangeables, dont on ricane pour ne pas en pleurer. L’impuissance devant ces marionnettes qui n’ont que patrie et morale à la bouche. Réarmer ou pas, dévaluer le franc ou pas. Faire confiance à l’Allemagne ou redouter cette ennemie de toujours. Fermer les frontières de décrets en motions et en quotas, ou demeurer fidèles à une tradition d’accueil vieille de plusieurs siècles. Un jeu d’échecs où le peuple des crève-la faim est toujours mat, quelle que soit la stratégie retenue.
J'ai trouvé très longue la première partie. Or c'est justement celle qui permet au lecteur d'accrocher avec le récit et les différents personnages...
Les petits potins de l'époque, les amours trahis des uns ou des autres, les excès en tous genres, j'avoue qu'ils ne m'ont pas spécialement passionnés.
J'ai trouvé aussi que l'auteur insistait beaucoup trop sur la discorde entre André Breton et Robert Desnos qui a abouti au reniement de ce dernier qui se considérait pourtant comme un véritable surréaliste. Cependant, l'intransigeance d'André Breton, son besoin d'être le centre du mouvement et que tous le suivent sans discuter est bien rendu. Je ne savais pas cependant que Breton ne supportait pas, que Robert Desnos continue à écrire en tant que journaliste et surtout, gagne sa vie grâce à la "presse bourgeoise".
Robert sort en claquant la porte. Marcher, c'est la seule chose à faire quand il n'est que rage. Marcher, tandis que son esprit martèle au rythme de ses pas les mots auxquels plus tard il lâchera la bride. Sa colère est un miroir traversé d'un poing sanglant qui l'étoile en milliers d'éclats meurtriers. Il y a des mois qu'il s'est éloigné du groupe surréaliste, et il sait que la survie du clan repose sur le rejet des individus qui cessent de croire en lui. Mais il n'a pas mérité un tel rejet.
La seconde et la troisième partie nous font découvrir ce poète impétueux, mais si sensible et ses multiples facettes.
Il a donc été écrivain et poète, journaliste et chroniqueur littéraire, ça nous le savions déjà, et le lecteur découvre comment il est devenu animateur de radio, scénariste. Il crée avec Antonin Artaud, à Radio Paris, suite à la sortie d'un nouvel épisode de la série Fantomas, "La complainte de Fantomas" qui deviendra un classique.
Mais bientôt, le poète rebelle et libre, est mobilisé. Il ne ne peut plus poursuivre son activité radiophonique et redevient journaliste...mais à cause de la censure, il est obligé de ruser pour poursuivre ses activités.
Sa colère, celle qu'il avait du mal à canaliser parfois et qui l'a amené souvent à se battre dans sa jeunesse, il apprendra à l'exprimer avec des mots et ce sont ces mots qui serviront la Résistance.
La Résistance parlons-en justement, elle fait l'objet de la troisième partie qui se termine quand Desnos est arrêté. Il commencera par faire des faux-papiers puis s'engagera dans des actions plus directes et destructrices...
Il publiera sous son nom ou sous de nombreux pseudonymes, des poèmes engagés...comme "Maréchal Ducono" qui n'est autre que la critique du maréchal Pétain. Il fallait oser...
Maréchal Ducono se page avec méfiance,
Il rêve à la rebiffe et il crie au charron
Car il se sent déja loquedu et marron
Pour avoir arnaqué le populo de France.
S’il peut en écraser, s’étant rempli la panse,
En tant que maréchal à maousse ration,
Peut-il être à la bonne, ayant dans le croupion
Le pronostic des fumerons perdant patience ?
À la péter les vieux et les mignards calenchent,
Les durs bossent à cran et se brossent le manche:
Maréchal Ducono continue à pioncer.
C’est tarte, je t’écoute, à quatre-vingt-six berges,
De se savoir vomi comme fiotte et faux derge
Mais tant pis pour son fade, il aurait dû clamser
J'ai aimé la personnalité très attachante du poète, sa façon d'aimer, son désir de justice et sa liberté d'action et de ton. Ce désir de liberté, d'être maître de sa vie, de ses actes et de sa pensée, explique son éloignement du groupe surréaliste qui voulait l'enfermer dans une idéologie dans laquelle il ne se reconnaissait pas (et lui faire obligatoirement prendre sa carte au parti communiste).
Il est non seulement un amoureux fidèle (bon à peu près je devrais dire) mais c'est aussi un ami sincère et généreux, qui n'hésite pas à partager ses maigres possessions.
Toute oeuvre d'art porte une vision du monde, observe Robert que cette discussion passionne même si les traducteurs peinent à en suivre le rythme. Les despotes entendent imposer la leur, et nous leur opposons une multiplicité de regards et de points de vue qui leur est odieuse. Pour eux, il ne peut y avoir qu'une seule vérité, qui devient un catéchisme. La culture est un enjeu. Quand on permet à ceux qui en sont exclus d'accéder à l'art et à la connaissance, on sème une graine de liberté qui peut les soustraire à la toute-puissance des tyrans.
J'ai aimé que le texte soit étayé de vers du poète, sélectionnés juste au bon moment et avec une grande justesse.
J'ai aimé l'écriture de l'auteur, les recherches poussées qu'elle a effectuées pour écrire cette biographie et la façon, emplie de respect et d'admiration, avec laquelle elle nous parle de ce poète.
J'ai aimé l'amour immense de l'auteur pour la capitale, un amour qu'elle nous fait partager et qui nous donne envie de prendre immédiatement le TGV pour marcher dans ses pas et, voir ou revoir, ces lieux tels qu'ils étaient autrefois...
J'ai aimé la façon dont l'auteur nous décrit le contexte historique, nous fait entrer dans la grande Histoire en passant par la guerre d'Espagne, le Front populaire, la montée du nazisme et la guerre : cela donne beaucoup de force au texte. Se placer du côté des artistes, permet en effet de mieux comprendre les conséquences de l'Occupation pour leur vie intellectuelle et en particulier, les effets de la censure.
J'aurai aimé que soient davantage développés, les idées du poète, son ressenti, son besoin de liberté et tout ce qui a fait de lui un être à part.
Je suis restée sur ma faim, car le lecteur ne sait plus à un moment donné ce qui relève du réel et de la fiction. Si les noms des personnages et les faits historiques sont bien réels, qu'en est-il des dialogues, des rencontres, des sentiments supposés. Est-ce bien ce Desnos-là qui a réellement existé ? Était-il réellement comme l'auteur nous le décrit ? Ses pensées, ses motivations sont-elles pure fiction ou réalité ?
J'ai moins aimé la quatrième partie du récit qui cite des extraits du journal (supposé ou réel ?) de Youki. Desnos a été arrêté et il n'est plus là. C'est à cet instant qu'elle s'aperçoit à quel point il comptait pour elle...mais bon, le sujet n'est pas là. Le lecteur vit le calvaire de Desnos de son arrestation à sa déportation en passant par sa fin de vie où atteint du typhus, il s'éteint à Térezin. C'est bouleversant bien sûr, mais j'ai eu un sentiment mitigé à cette lecture. C'est de trop je trouve...
Donc vous l'aurez compris, ce livre n'est pas facile à lire et c'est une lecture exigeante qui demande du temps : cela fait très longtemps que je l'ai commencé mais je n'ai pas pu lire ses 500 pages à la suite, ce qui est rare chez moi.
Il m'a fallu du temps pour entrer dans le récit, m'habituer à l'époque, me retrouver dans les personnages dont il n'y a parfois que le prénom, relire entre temps une biographie abrégée pour mettre un visage et un nom complet sur certains.
J'aurais aimé finalement un livre plus court car il y a des passages où je me suis presque ennuyée (surtout au début) et où j'ai eu envie d'abandonner la lecture. Quel dommage aussi d'avoir envie de sauter des pages quand on a tout le temps requis pour s'imprégner d'une lecture et que le froid ne nous permet que de faire de brèves balades au dehors.
J'ai donc un avis mitigé sur cette lecture que par moment j'ai trouvé trop longue, par moment passionnante, émouvante et très vivante, mais qui en tous les cas, donne envie de se replonger dans les poèmes de Desnos...C'est déjà ça !
Tu diras au revoir pour moi à la petite fille du pont
à la petite fille qui chante de si jolies chansons
à mon ami de toujours que j’ai négligé
à ma première maîtresse
à ceux qui connurent celle que tu sais
à mes vrais amis et tu les reconnaîtras aisément
à mon épée de verre
à ma sirène de cire
à mes monstres à mon lit
Quant à toi que j’aime plus que tout au monde
Je ne te dis pas encore au revoir
Je te reverrai
mais j'ai peur de n'avoir plus longtemps à te voir
En définitive ce n'est pas la poésie qui doit être libre, c'est le poète.
Cette biographie romancée entre encore dans le challenge de Philippe "Lire sous la contrainte".
Le titre de mon livre devait contenir un des sons ci-dessous...
Vous pouvez aussi relire mon article écrit sur Robert Desnos à l'occasion du Printemps des poètes 2015...
Robert Desnos, le "prince du surréalisme" alias "Robert le diable" - Dans la Bulle de Manou
Je ne pouvais pas terminer ma modeste contribution au Printemps des poètes, sur le thème de "l'Insurrection poétique" sans parler de Robert Desnos dont on célèbre, cette année 2015, les 70 an...