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Les livres et moi, mes coups de coeur, mes découvertes, mes créations ou mes voyages : intellectuels, spirituels, botaniques ou culinaires...

Nos richesses / Kaouther Adimi

Seuil, 2017 Prix Renaudot des Lycéens

Seuil, 2017 Prix Renaudot des Lycéens

Dès votre arrivée à Alger, il vous faudra prendre les rues en pente, les monter puis les descendre. Vous tomberez sur Didouche-Mourad, traversée par de nombreuses ruelles comme par une centaine d'histoires, à quelques pas d'un pont que se partagent suicidés et amoureux.
Descendre encore, s'éloigner des cafés et bistrots, boutiques de vêtements, marchés aux légumes, vite, continuer, sans s'arrêter, tourner à gauche, sourire au vieux fleuristes...

 

Ainsi démarre ce roman...la voix du narrateur guide ainsi nos pas de lecteur, à travers le dédale des rues, vers une destination inconnue. Que vous le vouliez ou pas, dès le début, vous faites partie du voyage !

 

Grâce à sa construction originale, le roman de Kaouther Adimi nous propose donc de suivre les pas d'Edmond Charlot, qui en 1935, à l'âge de 21 ans,  décide de créer rue Hamani (ex- rue Charras) à Alger, une petite librairie faisant également office de maison d'édition et de prêt. Il a des rêves plein la tête pour cette ville qui est la sienne et qu'il aime...

La librairie s’appellera "Les vraies richesses" en hommage à Giono qui en devient une sorte de parrain.

Pour lancer son catalogue, Edmond Charlot publie un auteur inconnu de tous, Albert Camus. Puis il fera connaître au public Emmanuel Roblès, Kateb Yacine, Henri Bosco, Gide et d'autres auteurs, puis bien plus tard, il publiera aussi "le silence de la mer" de Vercors dans une période difficile où la censure gronde. Car, durant la Seconde Guerre mondiale, la librairie donne la parole à ceux qui résistent, et devient en cachette, le lieu de débats et de réflexion. 

 

L'auteur nous permet d'entrer ainsi dans la grande Histoire en nous racontant la petite...une petite histoire qui recoupe celle des libraires de l'époque, de leur difficulté à vivre, des problèmes liées à la guerre où personne ne trouvait plus de papier pour publier, à la censure, aux années noires et à la difficulté d'émerger d'un milieu compliqué où les grands éditeurs étaient les maîtres.

 

En parallèle, le lecteur retrouve en 2017, Ryad, un jeune homme chargé de vider la librairie et de la repeindre, dans le cadre d'un stage "ouvrier" obligatoire pour valider son diplôme. Il se moque de la littérature et encore plus de savoir que le local de la librairie vient d'être racheté pour devenir une boutique de beignets.

Mais Ryad sera obligé de se plonger dans l'histoire du lieu avant de pouvoir réaliser sa tâche, car tout le quartier se ligue contre lui et il ne pourra trouver aucun pot de peinture à acheter. 

Il lui faudra d'abord faire connaissance avec le vieux Abdallah qui a continué à ouvrir la librairie, devenue une annexe de la bibliothèque nationale, jusqu'à ces jours derniers.

Tout les oppose, mais la réalité sera tout autre. 

 

Ryad est angoissé par tous ces livres. Il n'aime pas les mots qui s'agglutinent sur une même ligne, une même page, qui l'embrouillent. Il regarde ces caractères noirs imprimés sur le papier blanc, et pensent aux acariens...

 

L'histoire de Ryad alterne avec la voix du narrateur, le récit des habitants du quartier, les souvenirs d'Abdallah et des extraits du journal d'Edmond Charlot dans lesquels il décrit ses débuts d'éditeur, ses rencontres, les auteurs qui l'entourent, les soucis quotidiens, les trahisons, les plasticages, et les exceptionnels moments de succès, mais aussi le douloureux moment où il lui a fallu abandonner sa librairie pour retourner à Paris.

27 février 1938
Chaque semaine, j'hésite à changer les livres ou les oeuvres d'art de place, mais la librairie est si petite que l'espace ne le permet pas.

28 janvier 1948
Nous ne pouvons plus imprimer de livres, nous n'avons plus un sou. Je ne trouve pas de capitaux et aucune banque ne veut m'octroyer de prêts.

16 septembre 1961
Ma librairie a été entièrement saccagée. J'ai tout perdu : les notes de lecture de Camus, ma correspondance avec Gide, Amrouche et des autres. Des milliers de livres, de documents, de photos et de manuscrits soufflés. Mes précieuses archives ont été réduites à néant !
...
Quel est le message ? Qu'ont-ils voulu détruire ? Qui ont-ils voulu atteindre ?

 

Le lecteur est happé dès les premiers instants de lecture par cette histoire insolite et richement documentée, par ce désir intense d'Edmond Charlot de construire un pont entre ces deux peuples et ces deux cultures qu'il aime pareillement. Il voudrait tant que, grâce à la littérature, sa librairie devienne ce lieu d'échange et de rencontres...comme la librairie parisienne d'Adrienne Monnier. 

Pour nous tous, Edmond Charlot est un illustre inconnu. J'avais entendu son nom lors de mes études de bibliothécaire car nous avions toute une partie du programme qui portait sur l'histoire de l'édition mais je n'en gardais pas un souvenir précis. 

Or j'ai découvert que la littérature française d'aujourd'hui lui devait beaucoup.

Il a inventé certains des concepts de l'édition d'aujourd'hui, comme par exemple les rabats à l'intérieur de la seconde et troisième de couverture sur lesquels nous lisons souvent une biographie de l'auteur ou d'autres renseignements parfois même le résumé lorsque celui-ci n'est pas sur la quatrième de couverture.

De plus, Edmond Charlot a permis de relier édition, librairie et bibliothèque de prêt.

 

L'auteur en profite aussi au passage, pour nous conter l'histoire de l'édition et de ce patrimoine culturel incommensurable que représentent les livres. Un patrimoine qui peut être un véritable trait d'union entre les différentes générations et les peuples. 

Elle nous montre aussi à travers le personnage de Ryad, une jeunesse désabusée qui a perdu le contact avec ses racines, qui préfère consommer sans réfléchir aux conséquences, ni chercher à savoir ce qu'a été la vie de leurs ancêtres, quels ont été leurs projets ou le pourquoi des valeurs qu'ils ont voulu leur transmettre...

Un beau roman qui mérite son prix Renaudot des Lycéens et qui montre bien que la littérature peut nous sauver.  

 

Nous sommes surtout des tirailleurs, de la chair à canon. On nous impose de combattre pour une nation dont nous ne faisons pas partie.
...
Nous sommes arrêtés, emprisonnés, torturés ou exécutés. Ceux d'entre nous qui survivent à la faim, aux bombes, aux camps, tout en ayant laissé femmes et enfants dans la misère en Algérie répètent, la nuit, avec ferveur : "La Mère Patrie n'oubliera pas au Jour de la victoire tout ce qu'elle doit à ses enfants de l'Afrique du Nord".

Nous nous rendons compte de nos richesses qu'une fois que nous les perdons.

 

Vous pouvez lire l'avis de Sandra, ci-dessous...

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É
Un trou de mémoire!!! Voilà c'est bien le livre que je cherchais!!!François Brunnel avait reçu dans son émission "la grande librairie" Kaouther Adimi .... Je ne l'ai pas encore lu!
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M
Tout à fait ! J'ai vu aussi l'émission de la grande librairie...Je lirai ton avis sur ce livre avec plaisir. bises
L
Pour moi aussi cet homme est complètement inconnu au bataillon. Je vais noter le titre du roman car l'histoire me plait. <br /> Merci pour le partage.
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M
Tu me diras si tu as aimé. bisous
V
c'est un beau roman comme tu dis mais que j'ai trouvé inégal. J'ai aimé les passages concernant la librairie mais les notes du journal étaient trop épisodiques, j'aurais voulu en savoir plus.
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M
Merci de me donner ton ressenti. C'est bien si tu as voulu en savoir plus, non ? On trouve plein de détails de la vie d'Edmond Charlot sur le net...Bonne journée
M
Il m'a l'air intéressant ce livre, je le note donc dans mon carnet sans spirales ;-)<br /> Merci Manou, bonne soirée!<br /> Bisous
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M
Le mien se remplit de plus en plus et il faut bien que de temps en temps je barre une référence :) Bises et une belle fin de journée
P
Je ne connais pas du tout, mais ça doit être intéressant.<br /> Bon dimanche.
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M
Il devrait t'intéresser en effet. Bon dimanche à toi aussi
C
Tel que tu nous le présentes ce livre paraît très intéressant, on ressent à quel point tu l'as aimé ! Edmond Charlot c'est la première fois que j'en entend parler ! Mais c'est fou comme à plusieurs périodes sombres de l'histoire on s'en est pris aux livres ...<br /> Belle soirée, bisous !<br /> Cathy
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M
C'est exactement ça...on apprend encore des choses que l'on ignorait en lisant ce roman. Bon dimanche. Bisous
G
coucou ; j'ai envie de lire un tas de choses, mais je n'ai pas le temps, hélas, bisous
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M
En travaillant c'est bien normal je te rassure. Quand j'avais ton âge c'était pareil pour moi et en plus j'étais déjà maman :) Mais tu fais déjà plein d'autres choses intéressantes et tu en peux pas être partout sur tous les fronts. Bises et bon dimanche
K
Merci de nous l'avoir si bien présenté !! Je note car il devrait me plaire...<br /> Bisous Manou
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M
Super ! Si tu le lis je lirai ton avis avec grand plaisir. Bisous et bon dimanche
B
Je suis contente que tu aies aimé !! (Et merci pour la mention de mon billet !) Je ne savais pas que tu avais fait des études de bibliothécaire, et ça ne m'étonne pas du tout :) Ce roman nous entraîne, et ce dès la première phrase dans un voyage dans le temps et j'ai adoré découvrir ce jeune éditeur courageux et visionnaire qui a su déceler tant de grands écrivains.
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M
C'était normal pour la mention :) Tu mérites d'avoir davantage de visites sur ton blog ! Oui j'ai été au cours de ma vie bibliothécaire, puis j'ai passé le CAPES de doc, j'avais presque 40 ans et je suis entrée dans l'EN pour être enseignante-doc et puis maintenant je suis à la retraite, je n'ai plus 20 ans...Voilà tu sais tout ! Moi aussi j'ai adoré découvrir la vie d'Edmond Charlot et ses passions :) Bon dimanche
D
Fort intéressant et très belle conclusion, MERCI
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M
Merci Domi...c'est un sujet passionnant. Bises bon dimanche
D
Une très belle histoire qui mérite amplement son prix, d'après ce que tu en dis. Et en plus de parler des liens parfois difficiles entre générations, ce roman met le livre au coeur de son histoire. A lire !
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M
Tu le liras un jour je n'en doute pas entre deux lectures d'ado ! Bon dimanche
M
Je me suis promis de lire bientôt ce livre, tant l’histoire m’attire (forcément on y parle de livres) surtout parce que pour moi, elle sera un prolongement naturel du roman que je viens de terminer et que j’ai adoré « l’art de perdre, d’Alice Zeniter ». Jeter des ponts entre la France et l’Algérie est important et nécessaire pour essayer de comprendre notre histoire commune.
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M
Alice Zeniter est sur ma liste...mais la file d'attente est bien longue je trouve et donc je patienterai ou bien je l'achèterai en poche un jour...Cette rentrée littéraire offre encore un joli panel de livres sur deux sujets phares : l'Algérie et la Seconde Guerre Mondiale. Je viens de finir "ces rêves qu'on piétine"...j'en parlerai la semaine prochaine. Bises bon dimanche
É
Bonjour Manou. Merci pour cette belle chronique qui me donne très envie de lire ce livre. Hier, j'ai préparé ta tarte à l'oignon, un régal ! Bonne journée et bisous
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M
Super. Moi aussi je la cuisine souvent ! Si tu arrives à te le procurer je lirai ta chronique avec plaisir tu le sais. Bisous et bon dimanche
A
Encore une belle lecture que tu nous propose, tu as de la chance d'avoir une médiathèque bien fournie, hier je suis allée pour me procurer "La serpe" et aussi la correspondance entre Camus et Maria Casarès ainsi que la suite de "Au revoir Là-haut" mais ces livres ne sont même pas en commande, par contre j'ai emprunté un livre tout neuf que j'ai ouvert et refermé tellement l'histoire est insipide et le style plat , laborieux et scolaire "Le murmure du vent de Karen Viggers". Je ne comprends vraiment pas les choix de cette médiathèque. J'ai aussi commandé à la BDP la suite en BD "du vent dans les saules" qui a pour titre "La vent dans les sables et la BD de Najda que tu nous as proposée. Mon seul refuge pour l'instant c'est "Le tour du monde du roi zibeline". Quand je vais voir les critiques et le nombre d'étoiles sur Babelio, je ne comprends vraiment pas comment on peut attribuer le même nombre d'étoiles à ce roman si passionnant, si bien écrit, qu'à celui de Karen Viggers tout juste digne de la collection Harlequin. Les critiques ne sont vraiment pas honnêtes ou alors ce sont de faux critiques payés par l'éditeur, ce n'est pas possible!!<br /> bises et bonne journée et encore merci
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M
C'est vrai que ma petite médiathèque est de mieux en mieux. Je suis encore inscrite en ville mais je trouve plus souvent les nouveautés dans la petite (ou la liste d'attente est moins longue). Par contre si je veux des auteurs étrangers peu connus (par exemple le dernier Nobel) je vais trouver toutes ces oeuvres en ville et seulement une dans mon village, mais comme toi je peux les demander à la BDP.<br /> Ce que tu me dis sur Babelio m'interpelle. C'est vrai que c'est très subjectif car chacun note en fonction de ses propres goûts de lecture et non une norme établie. Il faut donc toujours regarder ce que la personne publie pour mieux savoir ce qu'elle aime. Même moi je reconnais que parfois je manque de cohérence. Mais quand je teste un livre envoyé par un éditeur je cherche la sincérité avant tout (eux préfèrent aussi que ce soit le cas pour l'instant !) Bises et bon dimanche
N
Très jolie et fidèle présentation de ce livre que j'ai beaucoup aimé.
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M
C'est amusant que nous l'ayons lu "presque" en même temps ! Bises et bon dimanche
P
Un livre qui me tente beaucoup, à ajouter à ma liste.<br /> Biz et bonne journée Manou
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M
Il ne te décevra pas...Il y a de l'espoir dans nos jeunes qui priment de la belle littérature et une belle histoire. Bises et bon dimanche
M
Bonjour chère Manou,<br /> Il y a eu du beau monde dans cette maison d'édition.<br /> Je ne connais pas Edmond Charlot.<br /> Encore très tentant ce livre ! Comme toujours tu en parles si bien, je prends note, ma liste perd la boule, tellement il y a de livres !<br /> Philippe et toi, de vrais dévoreurs de livres !<br /> Je lis tous les jours, mais pas aussi vite, je manque de temps.<br /> Un livre rien de mieux pour s'évader.<br /> Je te souhaite un merveilleux week-end.<br /> Bisous tout doux.♥
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M
Je ne peux pas laisser passer une journée sans lire au moins une heure, au moins le soir avant de dormir. C'est normal que tu manques de temps. Quand je travaillais, je lisais beaucoup pour mon boulot donc des livres pour les ados ! C'est vite lu ! Mais j'étais frustrée de ne plus lire pour moi que pendant les vacances parce que je n'arrivais pas à faire les deux. Maintenant je me rattrape :) Tu le feras un jour aussi...C'est ainsi ! Bisous et bon dimanche
M
Moi non plus je ne lis pas aussi vite que toi, je suis impressionnée par le nombre de livres que tu engloutis ! Mais j'ai à ma décharge que je travaille. Je lis deux à trois livres par mois. Je note le titre de celui-ci, qui je pense me plaira.
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M
Pourtant je ne lis souvent que le soir ! Mais c'est vrai aussi que je regarde très peu la TV et sort moins le soir qu'avant donc ceci explique sans doute cela :) Toi aussi tu travailles et j'imagine que le soir tu n'as pas envie de lire longtemps...Bises et bon dimanche
R
Oh tu as toujours de bonnes suggestions mais je ne lis pas aussi vite et autant que toi :)<br /> Bonne journée
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M
Chacun fait ce qu'il peut ma douce Rose. J'ai toujours beaucoup lu et il le fallait pour mon métier aussi je ne peux plus m'en passer :) Je regarde peu la TV et j'ai la chance de ne pas m'endormir en lisant même le soir ! Bisous bon dimanche
D
Je pense que les lycéens ne se sont pas trompés, j'ai lu hier sur un blog une rubrique aussi positive que la tienne.<br /> Un livre à lire sans aucun doute, merci à toi pour cette page.<br /> Bonne journée, bises
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M
Oui je l'ai vu aussi chez Nassy. C'était marrant (et je le lui ai dit) parce que je venais juste de relire ma chronique et de la programmer pour aujourd'hui. Bises et une bonne journée