Les livres et moi, mes coups de coeur, mes découvertes, mes créations ou mes voyages : intellectuels, spirituels, botaniques ou culinaires...
Mon père avait travaillé avec des catholiques, il m'avait dit qu'ils n'étaient pas différents de nous. Qu'ils étaient plutôt moins guindés. Ils aimaient manger, boire, chanter et s'amuser. A l'entendre, on aurait presque pu croire qu'il les enviait.
Je regardais ma mère, elle hocha discrètement la tête.
"Les couleurs jurent parfois quand elles sont côte à côte, Monsieur".
Il fronça les sourcils, de toute évidence il ne s'attendait pas à cette réponse...
Parce que son père, faïencier, a perdu la vue suite à un terrible accident, la jeune Griet tout juste âgée de 16 ans, est placée comme servante au sein de la famille du peintre Vermeer.
Nous sommes à Delft, en Hollande, au XVIIe siècle et la vie n'est pas tous les jours faciles pour une servante nouvellement arrivée dans une grande famille de six enfants. C'est difficile de trouver sa place et d'arriver à se faire apprécier par les femmes de la maison. Il y a Catharina, l'épouse, Maria Thins, la belle-mère du peintre, mais aussi Tanneke, la vieille servante qui a toujours vécu au sein de la famille.
Très vite Griet va remarquer qu'elle est en fait privilégiée : elle est la seule à avoir le droit de faire le ménage à l'intérieur de l'atelier du peintre et bien sûr, elle a comme consigne de ne jamais rien déranger...
Peu à peu, le maître va manifester de l'intérêt pour cette toute jeune fille sensible et intelligente. Il va lui accorder sa confiance, lui demander de l'aide pour préparer ses couleurs, l'envoyer quérir quelques commissions chez l'apothicaire, puis l'installer dans son atelier...où elle va devenir, bien malgré elle, son modèle.
Mais la tension et la suspicion règnent au sein de la famille. Pire pour elle, la rumeur se propage dans la ville : Vermeer prétend faire un tableau d'elle ! Le scandale éclate, mais Griet qui a la tête sur les épaules, sait très bien que malgré l'intimité qui s'est installée entre eux, elle n'est pas de son monde.
J’appris que plus les matériaux étaient finement broyés, plus la couleur était intense. A partir de grains rugueux et ternes, la garance devenait une belle poudre rouge vif puis, mélangée à de l’huile de lin, elle se transformait en une peinture étincelante. Préparer ces couleurs tenait de la magie...
L'auteur, fascinée par le tableau de Vermeer, "La jeune fille à la perle" surnommé "La Joconde du nord", nous dépeint une version fictive de son histoire.
Car en effet, on ne sait rien sur celle qui a inspirée le peintre.
On sait juste que celui-ci a beaucoup peint ses proches dans ses tableaux et comme pour beaucoup d'artiste de l'époque, on ne sait pas non plus grand chose de sa vie à lui.
L'auteur s'est rigoureusement documentée pour nous décrire l'ambiance de la ville, le contexte historique, la précarité des femmes, les relations maîtres-domestiques, les différentes croyances religieuses (Greit vient d'une famille protestante), les différences de classe sociale, mais surtout, ce qui est le centre du récit, l'environnement du peintre, la genèse de la création, sa vie personnelle et artistique.
Vermeer était-il pour autant cet artiste humble et dépourvu d'ambition qu'elle nous dépeint ? Refusait-il d’asseoir sa notoriété et de gagner davantage d'argent ?
Était-il réellement prêt à refuser un contrat même avec ses plus proches mécènes, pour peindre ce qu'il aimait ?
Le lecteur n'en saura rien...
Voilà un tableau que j'aime beaucoup...en tant qu'oeuvre d'art.
J'aime aussi l'interprétation que nous en donne Tracy Chevalier. J'aime les intentions qu'elle voit dans le regard de la jeune fille, dans son désir d'être aimé, dans son regard empli d'admiration et de fraîcheur, dans sa force et sa fragilité...
Ce roman est une pure merveille...
Je l'avais découvert lors de sa sortie en 2000 et j'ai adoré le relire ! Une relecture permet toujours de redécouvrir des choses entraperçues (ou pas) lors de la première fois.
J'ai envie de croire à cette version des faits concernant la genèse de ce magnifique tableau.
Un film du même nom a été tiré de ce roman. Je ne l'ai jamais vu et j'aimerai pour une fois, le découvrir un jour...
Et vous, vous relisez parfois des romans qui vous ont plu ?
"Je n'aurai jamais cru que je pourrai apprendre quelque chose d'une servante", finit-il par dire.
Il y eut un long silence.
"Non, c'est vrai, dit-il, mais je refuse de vous représenter en servante.
- Comment alors voulez-vous me représenter, Monsieur ?
- Telle que je vous ai vue la première fois, Griet. Seule."
Il approcha une chaise du chevalet, face à la fenêtre du milieu. Je m'assis. Je savais que ce serait là ma place.
Il me regardait comme s'il ne me voyait pas, comme s'il voyait quelqu'un ou quelque chose d'autre. Comme s'il regardait un tableau.
Il étudie la lumière sur mon visage et non pas mon visage lui-même, me dis-je. Voilà toute la différence.
J'aurais pu presque ne pas être là.