Les livres et moi, mes coups de coeur, mes découvertes, mes créations ou mes voyages : intellectuels, spirituels, botaniques ou culinaires...
L'avenir appartient à ceux qui croient à la beauté de leurs rêves.
La vie est un train qui ne s'arrête à aucune gare. Ou on le prend en marche, ou on le regarde passer sur le quai, et il n'est pire tragédie qu'une gare fantôme.
Quand on ne trouve pas de solution à son malheur, on lui cherche un coupable...
Voilà un roman magnifique que je voulais relire depuis longtemps et, je dois reconnaître, que si le sujet de l'Algérie n'avait pas été à l'ordre du jour lors d'une de mes dernières réunions lecture, j'aurais oublié de le faire et cela aurait été vraiment dommage !
Ce livre raconte l'histoire de Younes et de sa vie quotidienne de petit garçon, puis de jeune homme et enfin d'homme mûr...dans une Algérie déchirée par les passions et la guerre.
Au début du roman nous sommes en 1930. Le petit Younes n'a que 9 ans lorsqu'il voit les champs de son père partir en fumée quelques jours à peine avant les moissons. Et il voit pleurer son père pour la première fois...
La famille, ruinée, n'a plus qu'à signer et partir. La propre terre de leurs ancêtres ne leur appartiendra plus jamais.
Ils vont s'installer à Oran dans le quartier misérable de Jenate Jato, et le père, empli de courage, ne tarde pas à trouver du travail et à se tuer à la tâche pour nourrir sa famille. Là, le jeune Younes découvre l'entraide, la misère qu'il croit inéluctable, mais aussi l'espoir qui anime tous les habitants du patio.
Mais rien ne se passe comme prévu, et le mauvais sort semble s'acharner sur la famille, d'autant plus que le père très orgueilleux refuse toute aide extérieure...
Le père accepte finalement que le jeune Younes soit pris en charge par son frère qui a réussi et est devenu pharmacien. Il a même épousé une française, Germaine. Tous deux n'ont pas d'enfants et vont désormais considérer Younes comme leur propre fils, et assurer son éducation tout en le choyant. Pour tous, il devient alors Jonas. Il ne reverra plus jamais les siens...
Le jeune garçon va être pour toujours divisé entre ses origines et son éducation à la française.
Parce qu'il est intellectuellement solidaire de la cause nationale en train de se propager dans les milieux lettrés de la ville, l'oncle est arrêté. Lorsqu'il sera relâché, il ne sera plus jamais le même et la famille partira s'installer en dehors de la ville, à Rio Salado (aujourd'hui El Malah).
Jonas va peu à peu s'y faire des amis et s'intégrer à la communauté roumis de la ville.
Il vit des jours heureux avec ceux qui lui deviendront indispensables. Ils s'appellent Simon, Jean- Christophe, ou bien Fabrice. Ils partagent leurs rêves d'adolescents privilégiés et regardent de loin l'arrivée de la seconde guerre mondiale et la montée du nationalisme algérien...et les filles commencent à les intéresser de près.
Mais Jonas va découvrir aussi la morsure du racisme, les colons français qui traitent mal leurs employés et les laissent vivre dans des conditions inhumaines.
C'est Emilie, une beauté exceptionnelle qu'il a connu alors qu'il était plus jeune, qui va diviser les amis devenus grands. Elle est revenue s'installer au village. Elle s'éprend de Fabrice, puis le quitte pour Jean-Christophe mais c'est Jonas qu'elle aime.
Mais à cause d'une promesse qu'il a faite à la mère d'Emilie, avec qui il a eu une très très brève aventure, il ne peut s'abandonner à aimer Emilie...qui épousera finalement Simon.
Jonas ne veut pas non plus trahir ses amis, ce qui le fera souffrir toute sa vie durant et lui donnera le sentiment d'être seul et incompris.
La lutte de son pays pour l'indépendance le cueillera alors qu'il n'arrive pas à s'engager et à prendre parti. Il lui faudra aider son peuple, parce qu'il n'a pas d'autre choix, mais il ne s'engagera pas pour autant.
Dans la violence et la haine, l'Algérie coloniale vit ses derniers instants et tandis que les trois amis se déchirent pour l'amour d'une femme, les deux peuples se déchirent autour d'un pays que tous aiment à la folie...
Je n'ai jamais revu ma mère ni ma sœur. J'ignore ce qu'elles sont devenues, si elles sont encore de ce monde ou si elles ne sont plus que poussière parmi la poussière. Mais j'ai revu plusieurs fois mon père. A peu près tous les dix ans. Tantôt au milieu d'un souk ou bien sur un chantier ; tantôt seul, au coin d'une ruelle ou sur le pas d'un hangar désaffecté...Jamais je n'ai réussi à l'approcher.
(...)
J''avais fini par comprendre qu'il n'était pas de chair et de sang...
Ce roman a été élu Meilleur livre de l'année par le magazine Lire, en 2008 et, il a obtenu le Prix France Télévisions, la même année. Il a obtenu le Prix des Lecteurs corses en 2009 ; le Prix "les Dérochères" au Canada en 2010 et la même année, le Prix de la Littérature internationale à Berlin.
C'est un roman magnifique et empli de poésie et d'humanité. Le point de vue de ce jeune garçon, partagé entre la communauté qui l'a vu naître et celle où il a été élevé, est une voix inoubliable. Le lecteur ne peut que s'attacher aux personnages, à leurs passions, à leurs pays.
Avec en toile de fond l'histoire de l'Algérie coloniale de 1930 à 1962, ce roman nous parle d'un pays "disparu", de ses paysages, de ses souks animés, de ses couleurs, de ses odeurs et de sa chaleur humaine...
C'est un roman vivant et très imagé et l'ambiance est difficile à décrire tant il contient de vie, de passions et d'émotions.
C'est aussi une histoire d'amour impossible et une histoire d'amitié où les valeurs de loyauté, de franchise, de parole donnée, ont toute leur place, un roman qui montre la complexité humaine, ses rancunes et ses rancœurs, et le poids du passé qu'on ne peut renier.
Le personnage de Jonas peut paraître énigmatique car il semble vivre sa vie en spectateur, suit son destin comme s'il était tout tracé et le lecteur a parfois envie de le secouer pour le voir réagir. Il refuse par exemple de s'engager mais, en même temps, refuse de voir les raisons, enfouies en lui-même, qui l'empêchent de le faire.
Il nous reste une sensation de gâchis lorsqu'on tourne la dernière page, et l'impression qu'il a vraiment raté sa vie...
Mais c'est aussi un livre empli de sagesse où beaucoup de choses sont dites entre les lignes.
Car finalement la passivité de Jonas est le reflet exact de la passivité du peuple colonisé, et c'est peut-être ce qui doit ressortir avant tout de cette lecture. Younes a vu sa vie bouleversée. Certes son oncle pensait faire une bonne action en l'adoptant pour l'envoyer à l'école et lui donner une autre éducation, mais il l'a arraché à sa culture, à sa famille, à l'amour de sa mère...il a détruit leur famille, a fait plonger le père dans le désespoir puisqu'il s'est senti à jamais inutile et sa mère dans le chagrin en lui enlevant sa raison de vivre.
Voilà une des raisons pour lesquelles Younes n'a jamais pu être heureux et a été hanté par l’absence des siens au point de ne jamais vouloir trahir les valeurs qui lui avait été données.
La fin nous laisse un espoir de réconciliation et d'oubli...
Ce roman a été porté à l'écran par Alexandre Arcady en 2012. Je n'ai pas eu l'occasion de le voir mais si je peux, je le ferai un jour prochain.
Ce pays nous doit tout...Nous avons tracé des routes, posé des rails de chemin de fer jusqu'aux portes du Sahara, jeté des ponts par-dessus les cours d'eau, construit des villes plus belles les unes que les autres, et des villages de rêve au détour des maquis...Nous avons fait d'une désolation millénaire un pays magnifique, prospère et ambitieux, et d'un misérable caillou un fabuleux jardin d'Eden...
Et vous voulez nous faire croire que nous nous sommes tués à la tâche pour des prunes ?
(...)
Il y a très longtemps, monsieur Sosa, bien avant vous et votre arrière-arrière grand-père, un homme se tenait à l'endroit où vous êtes. Lorsqu'il levait les yeux sur cette plaine, il ne pouvait s'empêcher de s'identifier à elle. Il n'y avait pas de route ni de rails, et les lentisques et les ronces ne le dérangeaient pas...
Cet homme était confiant. Parce qu'il était libre. Il n'avait, sur lui, qu'une flûte pour rassurer ses chèvres et un gourdin pour dissuader les chacals
(...)
On lui confisqua sa flûte et son gourdin, ses terres et ses troupeaux et tout ce qui lui mettait du baume à l'âme. Et aujourd'hui, on veut lui faire croire qu'il était dans les parages par hasard, et l'on s'étonne et s'insurge lorsqu'il réclame un soupçon d'égards...