Les livres et moi, mes coups de coeur, mes découvertes, mes créations ou mes voyages : intellectuels, spirituels, botaniques ou culinaires...
Notre âge d’or était là, dans ces soirs où un peu moins voûté que la veille je passais sans entraves au travers des forêts, m’en allant retrouver ma reine le visage plein de sueur et de gratitude, ma reine qui avait jeté ses études aux orties et m’attendait nue dans notre chambre austère, avec un petit sourire en coin.
Vingt-ans après que sa femme Lily, soit partie avec leurs enfants, un homme se rappelle des derniers mois de leur vie commune.
Alors qu'elle a refait sa vie, et qu'il ne sait plus rien de ses trois fils, il ne peut effacer de sa mémoire, son amour pour elle qui occulte toute sa vie d'aujourd'hui. Mais il ne lui en veut pas, il l'aime toujours...
Dans les années 80, ils s'étaient installés dans ce petit hameau de montagne avec leurs deux enfants en bas âge. Lui est élagueur et un enfant du pays. Elle s'occupe des enfants, ayant abandonné ses études sur un coup de tête.
Un bébé est en route quand elle a un accident, nécessitant une courte hospitalisation, mais heureusement la grossesse se poursuit sans encombre. Lui mesure la perte qu'il aurait pu avoir, cela le déstabilise, elle à partir de ce jour-là, ne sera plus jamais la même.
Mais est-ce bien sûr que tout ait démarré à cause de ce jour-là ? Ou bien est-ce lorsque Lily revoit cette amie d'enfance à qui tout réussit et chez qui elle fait une "fugue" de quelques jours...
Lily est une jeune femme intelligente et sensible, mais instable et fragile. Le plus souvent sous médicaments (des barbituriques), en cachette de sa famille. Elle traverse sa vie sans la voir vraiment, s'appuie sur lui qui a des épaules solides pour deux, gère tout ce qu'il peut, la protège, s'occupe des enfants quand elle n'y arrive pas, en plus de son travail au-dehors. Il peut compter sur les grands-parents, mais elle les rejette alors qu'elle a besoin d'eux.
Elle s'isole, décide de reprendre des études pour passer un concours, s'installe dans les combles qu'il aménage pour elle, révise et s'absente de plus en plus souvent.
Leur couple est en péril mais il ne le comprend pas. Elle a tout abandonné pour lui depuis son adolescence où ils ont tout bravé pour avoir le droit de s'aimer, mais le quotidien l'étouffe à petit feu et elle rêve d'un ailleurs loin de là...sans lui !
Ils se sont connus à l'adolescence et ont bâti leur vie sur des motivations opposés sans le savoir, et pour combler les manques de leur propre histoire familiale. Mais Lily souffre au plus profond d'elle-même et passe par des hauts et des bas de plus en plus insurmontables. La remontée est de plus en plus difficile et par peur de se noyer définitivement, elle programme son départ.
Il ne voit rien venir...
Resté seul dans sa jolie maison de pierre aménagée pour elle, au coeur des montagnes, il n'éprouve aucune rancoeur mais n'arrive pas à vivre...
Pourquoi a -t-elle voulu le quitter ?
Et lui... pourquoi n'a-t-il jamais cherché à revoir ses trois garçons ?
Elle avait toujours un pied dans ses limbes, des absences que les gosses lui faisaient remarquer quand à table, elle en oubliait de manger, toute prostrée devant son assiette. Thierry surtout qui lui réclamait alors un bécot de sa petite voix de souris.
Dans cette vie en dent de scie, il arrivait que Lily souffrit trop pour s'occuper correctement de deux enfants à la fois.Soit elle pressentait son angoisse et le matin me demandait de faire un crochet par la maison de ses parents, soit le plus souvent, elle luttait hardiment jusqu'à la dernière minute et dans un sanglot s'emparait du téléphone en décomptant mentalement les six ou sept cent secondes qui la séparaient désormais de sa prise de cachets ; et que ce fût son père ou sa mère à l'autre bout, l'échange était plus que lapidaire...
C'est un premier roman empli de douceur et de tendresse, paisible, mais très mélancolique et parfois même pesant. Il est très réaliste et sonne toujours juste.
J'ai eu du mal à entrer dans l'histoire au début et j'ai trouvé quelques longueurs ici ou là, mais la poésie du texte, les descriptions des paysages, les bruits de la vie quotidienne assourdis par la neige, les passages où le narrateur relate l'amour de son métier, sa vie avec le groupe d'élagueur et son union avec les arbres et la nature, m'ont conquise.
Ce jeune couple isolé en apparence est en péril, parce que incapable de gérer seul ses failles. Tous deux sont tout à fait attachants d'autant plus que le lecteur entre dans leur vie privée, au coeur des relations familiales, avec les grands-parents, les amis, les collègues de travail, les gens du village qui les entourent et sont très présents dans le roman.
Par exemple, il y a beaucoup de digressions autour de la gestion de la forêt, des touristes qui envahissent la vallée, des difficultés de l'entreprise d'élagage, et de celles privées des collègues de travail, mais aussi de leurs projets personnels ou professionnels. Les pages où le narrateur parle de la relation, toute faite de confiance mais sans paroles, qui se noue avec son patron sont parmi les plus belles du roman.
Il n'y a pas de suspense puisque le lecteur connaît l'issue dès le départ, mais l'auteur fait une analyse très juste et très fine de la psychologie des personnages.
Aucune violence ne filtre jamais à travers les propos de cet homme délaissé.
Où quelle soit, quoi qu'elle fasse, il est heureux de son bonheur et ne désire rien d'autre.
N'est-ce pas la plus belle preuve d'amour qui puisse exister ?
Une belle leçon de vie, en tous les cas, et un jeune auteur à découvrir...
J'avais beau savoir que j'étais blessé et que ma blessure parlait à ma place, il y avait désormais ce soupçon logé en moi qui heure après heure devenait plus lourd, plus ramifié : à savoir que sevrée du Nembutal, la vraie Lily était fade, inconsistante ; que ces récits n'étaient que du vent et que je m'étais trompé...que des années durant j'avais aimé un leurre, un mirage...