Les livres et moi, mes coups de coeur, mes découvertes, mes créations ou mes voyages : intellectuels, spirituels, botaniques ou culinaires...
Dans chaque famille, il y a toujours quelqu'un qui paie son tribut pour que l'équilibre entre ordre et désordre soit respecté et que le monde ne s'arrête pas.
Voilà un roman que j'ai déjà lu lors de sa sortie et que j'ai été incité à relire suite à la sortie du film, très critiqué que je n'ai pas vu, et aux discussions animées que nous avons eu sur l'auteur dans le cercle de lecture auquel je participe.
C'est le premier roman de Milena Agus qui a été traduit en français.
Quelle est la part de vérité et de fiction dans ce que l'on nous raconte sur nos ancêtres ? Connaissons-nous véritablement les êtres qui nous sont les plus proches ?
Le dimanche, quand les autres filles allaient à la messe ou se promenaient sur la grand-route au bras de leur fiancé, grand-mère relevait en chignon ses cheveux et elle se rendait à l’église demander à Dieu pourquoi, pourquoi il poussait l’injustice jusqu’à lui refuser de connaître l’amour, qui est la chose la plus belle. En confession, le prêtre disait que ces pensées constituaient un grave péché et que le monde offrait bien d’autres choses, mais pour grand-mère elles étaient sans intérêt.
La narratrice nous emmène en Sardaigne autour des années 30, dans les pas de sa grand-mère qu'elle a adoré.
Jeune, sa grand-mère est plutôt jolie avec de grands yeux noirs et des cheveux longs magnifiques, mais tout cela ne lui sert à rien car son destin est tout autre et le mal de pierres (les calculs) dont elle souffre, l'empêche de trouver un mari. Enfin pas que...
En fait, c'est peut-être parce qu'elle est trop sensuelle pour l'époque et à la recherche du grand amour.
Alors forcément un mariage arrangé ne peut pas lui offrir cet amour-là avec un grand A.
Ou bien c'est peut-être parce qu'elle est un brin décalée ou folle, si vous préférez, et qu'elle fait fuir tous ses prétendants.
Ou parce qu'elle leur écrit des lettres exaltées qui font rougir de honte sa famille.
Mais peut-être aussi est-ce parce qu'un jour où on l'a enfermé dans le grenier, elle a coupé ses beaux cheveux noirs avec une vieille paire de ciseaux, ou alors parce qu'elle s'est tailladé les bras, ou alors encore parce qu'un jour, elle s'est jetée de désespoir au fond du puits.
Vous ne le saurez pas...
Encore vieille fille à 30 ans, ce qui pour l'époque ne manque pas de faire parler les gens du village, elle finit pourtant par se marier avec un veuf venu se réfugier dans le village après avoir perdu tous les siens lors du bombardement de Cagliari. Il accepte de ne pas consommer le mariage car il fréquente abondamment depuis toujours les filles de joie et s'en contente. Elle accepte son sort et la vie à deux...
Mais son désir d'enfant la ronge et la détruit. Elle va alors accepter de se rendre sur le continent pour une cure censée améliorer son mal.
C'est là-bas qu'elle rencontre celui qu'elle appellera dans ses carnets, "le Rescapé" et dont elle va tomber amoureuse...
Grand-mère connut le Rescapé à l'automne 1950. C'était la première fois qu'elle quittait Cagliari pour aller sur le Continent. Elle approchait des quarante ans sans enfants, car son "mali de is perdas", le mal de pierres, avait interrompu toutes ses grossesses. On l'avait donc envoyé en cure thermale, dans son manteau droit et ses bottines à lacets, munie de la valise avec laquelle son mari, fuyant les bombardements, était arrivé dans leur village.
Et dans son coeur, pour la première fois, elle avait remercié Dieu de l'avoir fait naître, de l'avoir sortie du puits, de lui avoir donné de beaux seins, de beaux cheveux et même, ou plutôt surtout, des calculs aux reins.
C'est un roman simple et dépouillé, pour ne pas dire minimaliste mais qui en dit long sur la condition de vie des femmes et le peu de considération qu'on leur prêtait.
La narratrice dévoile par petites touches, au fur et à mesure qu'elle découvre les carnets laissés par sa grand-mère, la personnalité de son aïeule. Le ton est toujours juste mais souvent empli de nostalgie. Le destin de la grand-mère est révélé avec tendresse, un grand sens du détail et beaucoup de poésie.
Au coeur de l'histoire, la Sardaigne prend beaucoup de place. Le lecteur découvre ainsi cette région isolée, avant et après la guerre, ce qui fait de ce roman une sorte de témoignage à la fois social et historique.
Dans ses carnets secrets où elle satisfait son désir irrépressible d'écrire, la grand-mère livre sans pudeur ses désirs les plus fous, ses fantasmes, son manque criant d'amour, son innocence face aux exigences sexuelles de son mari et surtout, réinvente sa vie.
Elle nous décrit la place de la femme dans la société de l'époque, la vie quotidienne, le rejet dont elle fait l'objet car elle est différente. Le lecteur découvre ainsi tous les membres d'une famille, sur trois générations.
Mais quelle est la part de vérité et de rêve dans ses écrits ?
Cette femme sensuelle et libre qui réclame l'amour à corps et à cris mais dérange sa famille et les bien-pensants de l'époque ne peut que nous émouvoir quand le lecteur prend connaissance de son tragique destin.
C'est un roman, sans doute en partie autobiographique, qui nous poursuit longtemps, la preuve en est que depuis plus de 10 ans que je l'avais lu pour la première fois, des lambeaux de phrases me revenaient en mémoire au fur et à mesure de ma lecture. Quoi qu'il en soit, impossible de fermer le livre en cours de (re)lecture...
Chroniqué sur ce blog et du même auteur "La comtesse de Ricotta".
Je l'avais peut-être aimé de la bonne façon...Quand je rentrais de voyage, elle était déjà dans la rue à m'attendre, je courais à sa rencontre, on s'embrassait et on pleurait d'émotion comme si je revenais de la guerre et pas d'un voyage d'agrément.
La nostalgie, c'est de la tristesse, mais c'est aussi un peu de bonheur.