Les livres et moi, mes coups de coeur, mes découvertes, mes créations ou mes voyages : intellectuels, spirituels, botaniques ou culinaires...
Pour moi, ils n’étaient pas tout à fait morts. Ils n’étaient plus dans la vie. Ce n’était pas la même chose.
Notre vie n’est en rien une figure linéaire. Elle ressemble plutôt à l’unique exemplaire d’un livre, pour certains d’entre nous composé de quelques pages seulement, propres et lisses, recouvertes d’une écriture sage et appliquée, pour d’autres d’un nombre beaucoup plus important de feuillets, certains déchirés, d’autres plus ou moins raturés, pleins de reprises et de repentir.
Dans ce roman philosophique très évocateur, l'auteur donne la parole, à un quinquagénaire qui, arrivé au mitan de sa vie, a peur de vieillir... Il a un beau métier : il est cinéaste et écrivain, mais il est inquiet pour l'avenir.
Sa vie va être bouleversée lorsqu'il apprend que son meilleur et unique ami a une maladie grave. Il laisse alors libre cours à ses peurs, à ses regrets et à ses pensées.
Son ami Eugène est producteur de cinéma et il aime la vie. Il a eu cinq enfants avec cinq femmes différentes, parce qu'il n'a jamais pu s'empêcher de tomber amoureux.
Sa maladie est plus grave qu'il n'y paraît, mais il va tenter de prendre ça avec légèreté et de continuer à vivre.
Comment le narrateur, pourra-t-il accepter de vieillir, d'être moins aimé , de ne pas réussir tout ce qu'il entreprend dans la vie et surtout de perdre aussi rapidement, en tout juste un an, son ami de toujours ?
"Pourquoi tombe-t-on malade", se demande-t-il ?
Qu'est-ce qu'être vivant ?" Respirer ? Etre amoureux ?
C'est qu'avant, il y a déjà eu Agathe, l'enfant mort-né qu'il a eu avec Florence, sa femme. Malgré l'amour immense qu'ils avaient l'un pour l'autre, leur couple n'a pas résisté.
Et maintenant, qu'en sera-t-il de celui qu'il forme avec sa jeune voisine Elena...
En Indonésie, il existe une île où les habitants, le peuple Toraja, perpétuent une tradition séculaire : ils enfouissent au coeur d'un tronc d'arbre les petits corps des enfants trop tôt décédés et qui n'ont pas vécu au delà de quelques mois. Ainsi, ils continuent à grandir en même temps que l'arbre...
Cette pratique est le point de départ de ce dernier roman de Philippe Claudel, un auteur que j'apprécie beaucoup qui a écrit des livres très forts et qui encore une fois, bouscule les idées reçues, ici sur la mort..et la vie.
Une cavité est sculptée à même le tronc de l'arbre. On y dépose le petit mort emmailloté d'un linceul. On ferme la tombe ligneuse par un entrelacs de branchages et de tissus. Au fil des ans, lentement, la chair de l'arbre se referme, gardant le corps de l'enfant dans son grand corps à lui, sous son écorce ressoudée. Alors peu à peu commence le voyage qui le fait monter vers les cieux, au rythme patient de la croissance de l'arbre.
Philippe Claudel nous offre-là une longue méditation philosophique sur la place que la mort occupe dans notre vie, ou comment sa présence modifie notre perception des choses.
Au fil du récit, le lecteur comprend qu'Eugène accompagne le narrateur, aux côtés des autres disparus et qu'ensemble, ils l'aident à accomplir son oeuvre...
Au-delà des sujets douloureux qu'il aborde, c'est un roman très positif qui parle surtout de la vie, de l'amour, de l'amitié, de l'attachement aux êtres qui nous entourent...et aussi de ce que nous sommes pour les autres et ce que les autres sont pour nous, mais aussi de que nous garderons de nos proches et qu'ils garderont de nous...
Y-a-t-il une part de vécu dans ces propos ? Certainement, même si l'auteur s'en défend. Car, c'est en ayant à l'esprit la vie et la mort de son meilleur ami, l'éditeur Jean-Marc Roberts, décédé en 2013, que Philippe Claudel a imaginé les personnages de ce roman.
Écrit avec une belle plume, pudique, facile et même souvent légère et poétique, ce roman est lui aussi une sorte d'arbre du pays Toraja, un hommage à ceux qui ont disparu mais surtout un hymne à la vie, très différent et beaucoup moins noir que les précédents romans de l'auteur.
Ce très beau livre est cependant à lire à un moment de votre vie où vous avez le moral, bien que je pense qu'il puisse aider à "faire son deuil" d'une certaine façon.
La mort d'Eugène ne m'a pas seulement privé de mon meilleur et seul ami. Elle m'a aussi ôté toute possibilité de dire, d'exprimer ce qui en moi s'agite et tremble. Elle m'a également fait orphelin d'une parole que j'aimais entendre et qui me nourrissait, qui me donnait, à la façon dont opère un radar, la mesure du monde que, seul désormais, je ne parviens à prendre qu'imparfaitement.
Poursuivre sa vie quand autour de soi s’effacent les figures et les présences revient à redéfinir constamment un ordre que le chaos de la mort bouleverse à chaque phase du jeu. Vivre, en quelque sorte, c’est savoir survivre et recomposer.