Les livres et moi, mes coups de coeur, mes découvertes, mes créations ou mes voyages : intellectuels, spirituels, botaniques ou culinaires...
Ce roman, paru en 1941 en Hongrie, a été traduit pour la première fois en français en 2015 par Sophie Képès. Il a obtenu le Prix Bagarry-Karatson pour sa traduction !
C'est un petit roman que j'ai emprunté en Médiathèque tant le titre m'a intrigué...
En effet comment un assassin peut-il être innocent ?
L'auteur nous propose d'entrer, pour une journée seulement, dans une maison bourgeoise quelque part en Hongrie durant la première moitié du XXème siècle.
Mais ce ne sont que des déductions de ma part, car de tout cela, il ne vous dira rien !
Le début de l'histoire peut d'ailleurs paraître déroutant pour le lecteur. Une ambiance particulière règne en effet dès les premières pages du roman.
L'auteur fait tout ce qui est en son pouvoir, pour nous présenter les personnages un à un, durant leurs occupations quotidiennes, avant de nous laisser faire le lien entre eux et parfois de les nommer.
Parfois en début de chapitre, on ne sait pas qui parle, car chacun s'exprime à son tour...
Peu à peu le puzzle se met en place, dans un décor réfrigérant, car non seulement il neige au dehors, mais il fait un froid très éprouvant partout ; la maison est sombre et les enfants sont livrés à eux-mêmes ; la nourrice est d'une rigidité déconcertante ; la décoration intérieure est si austère qu'elle ajoute son ombre au tableau.
Dans cette maison bourgeoise où les heures s'égrènent les unes après les autres, va se dérouler un drame dont l'enquête se résoudra en huis-clos...
L'ambiance est tendue : tous les membres de la famille ou leur entourage ont quelque chose à se reprocher...
Le père tout d'abord qui a ouvert un club privé de jeux et s'expose ainsi à des poursuites, vient de passer une nuit épouvantable mais a pu sauver in extrémis de la mort, un jeune écervelé, neveu d'un de ses amis qui avait tout perdu en jouant.
La mère Magda, a pour seule hantise celle de vieillir prématurément et d'être délaissée par son amant, le merveilleux Robert, un ami de son mari, qui gâte tous ses caprices...
Poupée, surnommée ainsi par sa famille, a 14 ans et profite de son temps libre pour fréquenter en cachette, Pista, le fils du gardien, un ado pauvre mais au coeur d'or qui s'est engagé avec ses amis dans la révolution...
Et puis il y a Petit, le plus jeune de la famille qui cherche, malgré ses douze ans, à attirer l'attention de ses parents parce qu'ils ne sont jamais là et ne s'occupent jamais de lui...
Beaucoup de tensions, de non-dits entourent cette famille bourgeoise mais bien sûr toute parole déplacée est aussitôt retenue. Même la nourrice n'ose pas dire ce qu'elle pense de leur façon de vivre.
C'est alors que Robert Gedeon, l'ami de la famille et amant de Magda, est retrouvé assassiné...
Tous peuvent être coupables !
Péterffy, le policier chargé de l'enquête va devoir démêler le vrai du faux et étudier de près les mensonges par omission de ceux, volontaires, visant à protéger tel ou tel membre de la famille.
Ecrivant lui-même des romans policiers sous le pseudonyme d'Archibald Cross, il n'aura de cesse d'entrer dans la psychologie des personnages et de déjouer leurs plans afin d'établir l'identité de l'assassin.
Mais au delà de l'enquête menée avec brio et intuition, il a du mal à se détacher de l'écrivain qui sommeille en lui, et cherche à chaque instant l'événement qu'il pourra coucher sur le papier et immortaliser dans son prochain roman.
Finalement lorsque les preuves se referment sur l'assassin, le lecteur découvre, ébahi que le titre n'avait pas menti : seul celui-ci est véritablement innocent, tous par leurs actions et leurs attitudes l'ont peu à peu amené à effectuer son geste !
Quelque chose de pesant, d’angoissant flottait dans l’air de l’appartement. Quelque chose de tellement épouvantable et sinistre qu’on aurait voulu hurler de terreur, comme si des fauves inconnus se tenaient aux aguets quelque part aux environs, prêts à bondir, avides de sang frais et de tiède chair humaine.
C'est un roman qui sort de l'ordinaire tant sa construction est originale et proche d'une oeuvre de théâtre...
Plutôt lent au départ, ce roman, à la fois thriller psychologique et roman policier, prend sa vitesse de croisière dès l'annonce du meurtre pour se dérouler ensuite en huis-clos, au sein d'une famille désunie, mais qui tient absolument à sauver les apparences.
La façon dont l'auteur entre dans la psychologie de ses personnages, en particulier celle du couple, est tout à fait fascinante. L'auteur met à jour leurs faiblesses sans concession ni émotion.
Leur relation est très particulière et le lecteur se sent parfois en position de voyeur, ce qui renforce son malaise...
Le lecteur entre dans le jeu et soupçonne tour à tour chacun des personnages qui eux-même se soupçonnent entre eux ! Cette situation renforce la tension omniprésente, liée au huis-clos mais aussi le suspense, et il faut bien le dire, ne manque pas d'humour...
Mais le dénouement reste tragique et la façon dont chacun des personnages va se mettre à nu, particulièrement éprouvante.
Un thriller intéressant, à réserver cependant aux adultes, car je ne crois pas que les ados adhèrent au démarrage un peu lent du roman.
Mais bien sûr je peux me tromper !
Qui est l'auteur ?
Née à Budapest, Julia Székely (1906-1986) est une écrivaine et une pianiste douée. Elle fut l'élève de Béla Bartók et de Zoltán Kodály.
Elle est l'auteur de dix-sept ouvrages, romans, pièces de théâtre et biographies (sur Beethoven, Liszt, Bartók, Chopin notamment) dont
Sa première oeuvre à l'avoir propulsé sur le devant de la scène est "Rue de la Chimère" paru en 1939 (Buchet-Chastel, 2005) qui a connu un immense succès.
Publié en 1941, son deuxième roman, "Seul l'assassin est innocent", confirme son immense talent et en fait l'égale de son compatriote, Sándor Márai (1900-1989).