Les livres et moi, mes coups de coeur, mes découvertes, mes créations ou mes voyages : intellectuels, spirituels, botaniques ou culinaires...
PASSANTE
Elle a promené dans les villes
Le pas qui tremblait sur les eaux
Une chanson la déshabille
Son silence est né d’un oiseau
Elle illumine la lumière
Comme l’étoile du matin
Quand tout le ciel est sa paupière
Embellit le jour qui l’éteint
Mais l’astre d’où le ciel s’envole
Sait-il où nos vœux sont allés
Quand mon cœur bercé de paroles
Se meurt de la chanson qu’il est
Quel mal trouvait-elle à me plaire
Qu’un aveu me l’ôte si tôt
Mouillant ses regards de sorcière
Des pleurs qu’il a pris au ruisseau
Hélas ne pleurez point madame
Si j’ai mes jolis soins perdu
Près d’un enfant aux yeux de femme
Qui joue à l’amant qui n’est plus
Extrait du recueil "La connaissance du soir" (1947)
Joe Bousquet est un poète du début du XXe siècle originaire de l'Aude.
Né en 1897, il est mort en 1950, à l'âge de 53 ans seulement. Son père était médecin-major dans l'armée. Joe Bousquet passe son bac en 1912 puis fait un voyage en Angleterre qui le marquera durablement. Il mène une vie agitée et s'initie à diverses drogues dont il restera accro jusqu'à sa mort.
Durant la Première Guerre mondiale, il devance l'appel, reçoit la croix de guerre, la médaille militaire et la légion d'honneur, avant d'être grièvement blessé à la colonne vertébrale, par une balle ennemie lors de la bataille de Vailly (dans l'Aisne).
Ayant perdu l'usage de ses jambes, il restera alité le restant de sa vie dans une chambre obscure de la rue de Verdun à Carcassonne.
Seul, couché dans mon lit, j’ai atteint des hauteurs telles, que j’ai creusé le ciel. Enfermé dans ma chambre, enfermé dans mon corps, je rayonne dans cette lumière immobile. Le mal comme le bien a son ciel en moi; et je connais la voluptueuse satisfaction de n’être médiocre en rien. Chaque jour je redécouvre que j’ai été blessé, que je suis blessé et je dois à cette blessure d’avoir appris que tous les hommes étaient blessés comme moi.
Cependant le poète n'est jamais seul : peintres, poètes et philosophes se succèdent à son chevet dans sa chambre close.
Tout ce que le XXe siècle comptait de créateurs y défile.
Il entretiendra une correspondance assidue avec certains d'entre eux, écrivains ou peintres connus comme Paul Éluard, Max Ernst ou encore Jean Paulhan.
La maison où le poète a vécu, lui est aujourd'hui entièrement consacrée. On y trouve la Maison des Mémoires, un musée à sa mémoire, qui est le siège d'une exposition permanente, permettant de redécouvrir la personnalité du poète, sa vie, son oeuvre et l'influence qu'il a exercé sur les milieux littéraires du début du XXe siècle.
Le Centre Joe Bousquet est consacré à la poésie et accueille la Maison des écrivains.
Joe Bousquet fonde en 1928 la revue "Chantiers" sous l'impulsion de ses amis surréalistes, dont Paul Eluard qui se rapproche du groupe de Carcassonne.
Ci contre la réimpression intégrale de la revue.
Puis dans les années 40, la revue "Les Cahiers du Sud" lui demande de s'occuper d'un Cabinet de lectures qu'il va mener à bien avec Francine Bloch.
Survivre, surmonter, passer par-dessus, vivre en creux, savoir dans sa chair que tous les feux, sur la mer, chantent qu’un homme est seul, après tout, et seul avec ce qui le mène, mais ne pas s’isoler, être plus que jamais parmi les hommes, un homme très différent, un homme-chien, plus qu’un homme, moins qu’un homme, le dernier des hommes et le meilleur des chiens.
Joe Bousquet est l'auteur de nombreux romans, de correspondances, d'essais et d'un recueil de nouvelles ("Le fruit dont l'ombre est la saveur", Éditions de Minuit) ainsi que d'un recueil érotique ("Le cahier noir", Albin Michel).
De nombreuses oeuvres ont été éditées à titre posthume.
Pour lui rendre hommage, de nombreuses rues portent son nom dans l'Aude.
Récemment, un CD "Il s'en faut d'une parole" lui est consacré dans lequel la chanteuse originaire de l'Aude, Yvette Yché, interpète treize poèmes du poète qu'elle met en musique avec Gilles Baissette. Ces poèmes sont extraits de "La connaissance du soir" (gallimard, 1947).
Elle est interviewée à ce sujet dans l'Epervier incassable.
Récital musical d'Yvette Yché (extrait)
Retrouvez sa biographie complète et d'autres informations sur le poète sur les sites suivants...
- le site de la Maison des écrivains de Carcassonne.
- le site de Villalier.
- Joe Bousquet sur le site "Esprits nomades".
- Joe Bousquet / Mystique sur le site de la Revue remue.net littérature.
- L'hommage de la ville de Carcassonne.
A noter : le poète écrivait constamment son prénom "Joe" au lieu de "Joë" comme on le voit parfois écrit. Nous avons donc écrit dans cette chronique le prénom selon son désir...
Joe BOUSQUET ou le mouvement paradoxal (11 mars 1977)
-Lettre posthume à G-
3 heures
Je suis très fatigué, l'estomac, une sueur gelée sur le front, j'ai ôté mes lunettes qui me pesaient -cela doit s'appeler être de sang froid- je ne t'avais jamais écrit dans ces conditions.
Je ne dirai pas : je te voudrai près de moi. Je dirai : ton absence est la même blessure, que ma vie me porte ou que je lutte pour la retenir. Tu es ma chair. C'est parce qu'il est possible que tu ne puisse vivre sans moi que j'ai des genoux, des jambes. C'est parce que tu vis que ma pensée n'est pas la haine de la vie, mais l'amour même.
Je ne t'ai menti qu'une fois. C'est quand je t'ai dit que je pouvais vivre sans te voir. Même si tu tombais dans une déshonorante folie, je te garderais près de moi. Je n'imagine l'avenir qu'à travers la douceur de le recevoir de ta présence. Et cette douceur est tout ce qui me tiens au monde. Ma vie n'a pas de contenu, n'en aura plus, tu n'es pas en elle, elle me vient de toi, je n'existe que pour la surprise de naître à chaque instant de la femme que tu es... Le reste n'est qu'un corps rompu et le contact quotidien avec des maux physiques que tu n'imagines pas.
Cloches
J’ai quitté mon nid de pierres
Sur un bel oiseau d’airain
Vos douleurs me sont légères
Je suis la mort des marins
J’apprends la tendresse aux hommes
Que j’étreins sans les briser
Je suis l’amour d’un fantôme
Que se souvient d’un baiser
L’hiver conduit mon cortège
Et pour singer ses façons
J’ai mis ma robe de neige
Je suis la mort des chansons
Les cœurs d’amants pour nous suivre
Ôtant leurs manteaux de rois
Prennent des robes de givre
Les morts habitent le froid
Dans un haut grenier de pierres
Où la lune nous attend
Au galant que je préfère
Je souris avec les dents
Les baisers que je lui donne
Sont muets comme les lys
Dont la pâleur l’emprisonne
Au fond des jours abolis
Cloches d’or cloches de terre
Sonnez en vain dans le sang
J’ai des ciseaux de lumière
Je suis l’oubli des absents
J’ai semé sur votre face
Les iris couleur de temps
Qu’avec mes ciseaux de glace
Mes mains coupent dans le vent
La fleur sans ombre des larmes
A fait s’ouvrir dans les cieux
Au jour qui jette ses armes
Un ciel plus froid que vos yeux
Ainsi j’efface une voile
Et rends au vent sa pâleur
Qui pleure avec les étoiles
Dont elle effeuille le cœur.
Joe Bousquet